Bollywood, mon amour

14 janvier 2007 - 17h23 - Culture - Ecrit par : L.A

Les films populaires indiens ont bercé les yeux et les oreilles de trois générations de Marocains. Et l’idylle n’est pas près de s’éteindre… Les Marocains, fous de cinéma de Bollywood, ont désormais leur Mecque : Marrakech. Et leur période de pèlerinage : la semaine que dure le Festival international de cinéma.

Tout a commencé en 2002 quand, dès sa deuxième édition, le FIFM s’est mis à barboter dans les eaux du Gange. Invité de la manifestation, l’acteur Amir Khan a fait un carton lors de sa présentation au public de la place Jamaâ El Fna et provoqué une émeute lors de sa visite de courtoisie au Cinéma Rif. L’année suivante, ce fut au tour d’Amitabh Tabashan de déclencher l’hystérie des fidèles. Une bonne pioche pour le festival marrakchi, qui se félicitait d’avoir enfin trouvé le moyen de pallier l’indifférence populaire qui accompagne le défilé des stars internationales… souvent totalement inconnues du public marocain.

Et une nouvelle pierre a été posée à l’édifice cette année, avec le baptême du lieu du culte : le Taj Mahal ou la section du cinéma indien. On y retrouve des œuvres d’auteur pour cinéphiles bien élevés. Mais aussi quelques hosties épicées : des films “masala” aux couleurs flashy et aux romances cousues de fil blanc. Et le clergé cinématographique marrakchi ne pouvait faire la sourde oreille à des chiffres ô combien parlants. En nombre d’entrées, le cinéma Rif de Marrakech se classe juste après le complexe Mégarama de Casablanca. Avec une seule salle, le Rif vend plus de 164 000 tickets, contre près de 490 000 pour les 14 salles du Mégarama. Mieux encore, Marrakech ne manque pas de cinémas populaires, puisque sept salles sur les huit que compte la ville prêchent le Bollywood. “Le cinéma indien est le point d’ancrage du festival dans la ville”, explique Mohamed Bakrim du Centre cinématographique marocain (CCM). Les dévots affluent même d’autres villes à l’instar de Fatim-Zahra et Imane, deux jeunes Rbaties, inconditionnelles des “masalas”.

Premiers émois

Élégamment vêtues de sari, elles attendent patiemment derrière les barrières du Palais des Congrès de Marrakech, l’arrivée imminente de la délégation indienne. C’est la soirée spécial Bollywood. Et les deux groupies ne sont pas venues les mains vides. “Nous avons préparé un discours de bienvenue en hindi, afin de présenter notre CD. Il contient des reprises de chansons et de danses tirées de Devdas”, souffle, toute excitée, Imane. Devant une glace, elles ont répété tous les mercredis et samedis deux années durant, avec le souci de reproduire le geste juste des chorégraphies du film. Comme la plupart des fans du genre, Fatim-Zahra est tombée très jeune dans le chaudron de Bollywood. Plus précisément à l’âge de sept ans, dans un cinéma de Rabat. Elle n’en est toujours pas sortie et ne s’en cache pas. Exubérante, les yeux écarquillés, elle agite son précieux disque dans la salle du Palais des Congrès, cherchant à attirer l’attention d’un producteur indien qui pose pour le “photo call” des photographes. “On trouve une pléthore de jeunes filles comme elles au Maroc. On raconte d’ailleurs régulièrement l’histoire de ces fans partis à pied à Bombay, s’imaginant que tout le monde y dansait et y chantait comme dans les films”, affirme Moulay Abdallah Alaoui, un avocat cinéphile, spécialiste du film indien. De là à penser que le sari marrakchi est l’équivalent du bikini des starlettes de Cannes, n’y aurait-il qu’un pas ?

Fatim-Zahra et sa copine ont été moins chanceuses qu’une autre Imane, qui a été choisie par la Fondation du festival pour accueillir la délégation indienne. “Quand j’ai appris que Kajol et Ajay Devgan seraient présents cette année, j’ai envoyé un mail aux organisateurs du Festival, qui les a touchés. Ils m’ont alors contactée pour me proposer de faire partie du comité d’accueil des deux acteurs”, raconte-t-elle, fébrile en attendant le couple star. En vain. Kajol et Ajay Devgan ont dû annuler leur périple marrakchi, à cause de la maladie de leur progéniture. Imane se consolera en chantant la bienvenue en hindi à de parfaits inconnus pour elle : le réalisateur et le producteur du film. Rien à voir avec la stature d’un Shahrukh Khan. La jeune fille n’a pas découvert l’acteur dans une salle enfumée par les volutes de joints des spectateurs des salles “spécialisées”. Elle est devenue fan chez elle, un dimanche soir où la chaîne d’Aïn Sebaâ diffusait en prime-time Devdas, avec l’acteur dans le rôle principal. Ce jour-là, 2M avait réalisé un joli taux d’audience et contribué au renouvellement incessant des aficionados de Bollywood. Imane appartient à la dernière génération en date. Mais biens d’autres l’ont précédée.

Une vieille romance

L’histoire d’amour entre la production pléthorique de Bombay et les Marocains remonte aux années 50. “Sorti sur nos écrans dans les années 50, Mangala a bercé deux ou trois générations de spectateurs. Il a fait fureur chez les Marocains car ils y ont vu un parallèle entre l’intrigue du film et l’exil de Mohammed V”, professe Moulay Abdallah Alaoui. Le succès tient aussi au fait que Mangala contenait déjà toute la palette du cinéma indien cher au public marocain : un générique en lettrines roses, de la démesure et du gigantisme à la Cecil B. De Mille. Et surtout, la sensation délicieuse de patauger dans un gâteau à la crème, filmé en technicolor. En vieux de la vieille, Moulay Abdallah Alaoui se souvient aussi de l’impact extraordinaire de Mother India, film de 1957, mais programmé dans les salles marocaines en 1968. Dans un Maroc encore traversé par les discours anticoloniaux, Mother India, “allégorie de la lutte d’indépendance de l’Inde”, arrivait en terrain conquis. Politique et essor du film indien intimement liés ? Il faut le croire : “l’Egypte a soutenu l’Algérie lors de la guerre des sables de 1963 contre le Maroc. Tout à coup, les films égyptiens ont disparu des écrans marocains. Ils ont été vite remplacés par des films indiens”, analyse Abdelilah El Jaouhari. Journaliste de profession, ce dernier est un passionné de longue date. Lors de la conférence de presse d’Amir Khan, au Festival de Marrakech en 2002, il a posé à la star une question en hindi. Amusement de ce dernier. Le lendemain, le festival confiait le soin à El Jaouhari de présenter Amir Khan au public du cinéma Rif de Marrakech. Un genre de cinéphiles qu’il connaît par cœur, étant tout simplement l’un des leurs. De la seconde génération de fans, plus précisément.

Durant son enfance dans les années 70, il allait voir des films de Bollywood deux fois par semaine, économisant l’argent hebdomadaire que lui remettait sa mère pour le petit-déjeuner, afin de se payer son ticket. “En rentrant du cinéma Bagdad de Fès, on chantait en groupe les chansons des films durant les sept kilomètres qui nous séparaient de notre quartier”, se souvient-il. El Jaouhari s’est définitivement converti au “masala” grâce à Sholay, classique des années 70. Inspiré des westerns spaghettis, ce film a fait d’Amitabh Tabashan une véritable icône au Maroc. Et le film est devenu depuis le Star Wars d’El Jaouhari, qui l’a visionné près d’une vingtaine de fois. À l’époque de la sortie de Sholay, les films indiens étaient déjà doublés en darija, par les bons soins de Brahim Saïh. Ce dernier possédait alors la seule société de doublage qui se chargeait de “marocaniser” les dialogues des acteurs indiens. Ce qui n’a pas manqué de provoquer des rencontres du 3ème type entre des expressions populaires bien de chez nous et le contexte bien exotique des films. Mais le doublage se gardait bien de toucher au sacré : les chansons n’étaient jamais traduites. “Cela aurait totalement dénaturé l’œuvre”, précise Brahim Saïh. Et, sans aucun doute, autant gâché le plaisir de chanter en chœur avec les acteurs.

Je t’aime, moi non plus

Brahim Saïh a un rôle-clé dans la mémoire auditive des Marocains, puisqu’il a fait doubler plus de 150 films indiens entre 1955 et 1975. Et souvent, par des acteurs marocains devenus entre-temps très célèbres. C’est ainsi que Hamidou et Tayeb Saddiki ont prêté leurs voix sur Mangala, le premier film doublé en darija dans les années 50. À la fin des années 60 et durant les années 70, on pouvait aussi entendre dans les films indiens Lalla Fatima, alias Khadija Assad, et son inséparable acolyte et mari, Aziz Saâdallah.

Malgré cette collaboration des acteurs marocains au cinéma hindi, on ne peut pas pour autant déclarer que les deux cultures cinématographiques filaient la parfaite idylle. Le divorce entre “l’establishment” du cinéma marocain et le film hindi ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 70, Moulay Abdallah Alaoui avait déjà été confronté au mépris des critiques de cinéma, suite à sa publication d’un ouvrage sur le cinéma indien. C’est pourtant bien Bollywood qui a procuré à bon nombre de réalisateurs marocains leurs premières émotions au cinéma. Ainsi, Kamal Kamal avoue avoir apprécié les films hindi dans son adolescence. Lors d’une visite à un studio à Bombay, bien des années plus tard, il a même demandé à rencontrer l’actrice Hema Malini, dont il était amoureux dans sa prime jeunesse. Avec l’âge, il semble en être revenu, au point de considérer désormais Bollywood comme trop caricatural. Le premier réalisateur marocain qui laissera éclater dans l’un de ses films son adolescence hindi sera peut-être une femme. En l’occurrence, Hind Oulmaddane, jeune réalisatrice marocaine de 29 ans qui a été “éblouie par cet autre monde” dès l’âge de sept ans. Elle, par contre, n’en est jamais revenue. Mieux même, Hind “l’Hindi”, comme on la surnomme, est partie étudier dans une école de cinéma de Bombay. “Là-bas, on dissèque Sholay comme un classique”. Osera-t-elle pour autant mélanger les genres ? “La danse, pourquoi pas ? Mais uniquement si c’est un élément utile à la narration”, affirme-t-elle. Décidément, la romance entre le Marocains et le masala n’est pas près de s’éteindre...

Salles obscures : Bollywood fait de la résistance

Sur les quelque 160 salles de cinéma que compte le Maroc, près de 120 font leur chiffre d’affaires exclusivement avec des longs-métrages “made in India”. Avec le complexe Mégarama, elles sont même les seules à faire de la résistance dans un secteur en crise. Mais la période des vaches sacrées et bien grasses semble révolue pour ces antichambres du rêve pastel. Comme leurs confrères des salles projetant des blockbusters américains, les gérants entonnent désormais la complainte du “c’était mieux avant”. Ainsi, le célèbre cinéma Rif de Casablanca ne fait plus le plein comme à sa grande époque. Avec à peine 40 000 entrées et des recettes guichet tout juste supérieures au million de dirhams, la salle se situe très loin de son homonyme marrakchie, qui cumule plus de 160 000 entrées et des recettes guichet de 2,5 millions de dirhams. “Commes les autres genres cinématographiques, Bollywood est victime du piratage”, confirme Mohamed Belghiti, président de la Chambre des propriétaires de salles de cinéma. Et pourquoi en serait-il autrement ? Qui dit cinéma populaire, dit marché informel du DVD à 10 DH et présentoirs de Derb Ghallef gavés de nouveautés hindi. En amont, le piratage a déjà laissé sur le carreau London films, distributeur marocain de films hindi, qui a baissé le rideau l’année dernière. Amal films, l’autre grand opérateur du secteur, est quant à lui en stand by. En attendant une éclaircie. Comme on n’en voit qu’à Bollywood, lorsque le jeune premier se relève miraculeusement de ses blessures...

TelQuel - Hassan Hamdani

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Sujets associés : Cinéma - Inde - Festival International du Film de Marrakech

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