Diachronie tamazighte ou berbère

19 juillet 2002 - 23h24 - Culture - Ecrit par :

Chercheur dans la culture berbère depuis plus d’une vingtaine d’années et auteur de plusieurs articles, le professeur Allati Abdelaziz, Docteur d’Etat ès-Lettres et professeur de linguistique à l’Université Abdelmalek Es-Saâdi, faculté des Lettres et des Sciences Humaines à Tétouan depuis 1986, vient de publier un important ouvrage sur la diachronie dans la langue tamazighte : Diachronie tamazighte ou berbère (300 pages, publication de l’Université Abdelmalek Essaâdi, Tétouan).

Cet ouvrage vient à point nommé vu les phénomènes qui caractérisent l’émergence de l’amazighité ou la berbérité qui s’est accompagnée d’un regain d’intérêt institutionnel que connaît cette langue dans les pays de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, notamment).
“Que savons-nous sur l’état primitif et l’évolution de la langue tamazighte ou le berbère ? Telle fut la question initiale de l’investigation et des recherches menées dans le cadre du Programme d’appui à la recherche scientifique (PARS) et du Programme technique d’appui à la recherche scientifique (PROTARS). Ainsi est présenté l’état actuel des études diachroniques sur le berbère qui constitue le point de départ de cette étude, le premier travail d’ensemble consacré à la diachronie de cette langue, qui répond au besoin des chercheurs dans ce domaine en vue de combler une grande lacune en la matière.
Les études diachroniques se caractérisent par la convergence de deux éléments. D’une part, du fait que quatre langues (la langue tamazighte ou le berbère, le couchitique, le tchadique et l’omotique) sur six branches de l’afro-asiatique ou chamito-sémitique ne sont connues que par leurs formes modernes, on a étendu les traits les plus anciens connus du sémitique (l’absence de la notation de voyelles dans les textes anciens égyptiens a relégué les données de cette branche au second plan dans la reconstruction de cette famille) à toutes les autres branches créant ainsi une évolution qui va des formes les plus anciennes du sémitique à celles modernes des autres membres de cette famille.
Cette conception sémitisante de l’afro-asiatique et de son évolution est doublée d’autre part par une démarche instaurée, en berbère, par André Basset (cf. A. Basset, 1929, 1952), qui consiste à prendre les résultats des comparaisons interdialectales (ce qui est commun au berbère moderne) pour le proto-tamazighte ou berbère (cf. les travaux de Basset, Galand, Prasse, Chaker), donnant ainsi l’illusion d’une évolution qui, en réalité, ne concerne que leurs formes modernes.
La confrontation des résultats de ces deux démarches avec les données toponymiques de la Tamezgha ou la Berbérie et les résidus des formes anciennes, qui sont conservés dans le berbère moderne, mais également dans les autres branches de cette famille dont le sémitique, a mis en relief un fossé énorme entre les reconstructions proposées (l’outil de l’analyse) et les données dont on veut rendre compte.
Ces éléments ont poussé le chercheur à faire table rase des reconstructions existantes - qui sont présentées et discutées à différents endroits de ce travail - et à tout reprendre, en se fondant uniquement sur les éléments récalcitrants qui montrent l’inadéquation des reconstructions proposées aussi bien du proto-tamazighte ou berbère que du proto-afro-asiatique.
L’exploitation du matériel toponymique et des résidus des structures anciennes appartenant aux différents stades de la langue tamazighte a permis d’accéder au stade primitif de cette langue qui serait antérieure au VIII siècle av. J.C., stade au cours duquel sont reconstruites les structures phonologique, morphologique et syntaxique (chapitre I, II et III). Sont ainsi reconstruits, le système phonologique, la base et la composition du mot, les différents affixes (genre, nombre, négation, affixe aspectuel ...), leur mode de fonctionnement, et les relations existant entre les éléments de l’énoncé dans le proto-berbère. Ce qui a permis de dégager les traits structurels primitifs de cette langue, qui se caractérisent par une morphologie fondée sur la composition et l’agglutination des affixes, et une syntaxe ergative.
En l’absence de consonnes gutturales et d’une morphologie caractérisée par la composition et l’agglutination des affixes, s’ajoute une syntaxe ergative où les oppositions verbo-nominales (verbe - nom), de rection (sujet - objet), de personne ... sont inexistantes. En un mot, une forme du proto-berbère à laquelle on n’a jamais accédé et qui éclaire les traits d’une forme du proto-afro-asiatique à laquelle personne n’a songé auparavant, mais dont les traces apparaissent dans toutes les branches de cette famille dont le sémitique. Ces traces sont mentionnées, au passage et succinctement, pour éclairer les éléments berbères.
Les traits généraux du proto-afro-asiatique étant déterminés, ils ont permis de replacer ce qui est postulé proto-afro-asiatique sur la base des traits les plus anciens connus du sémitique, au stade auquel ils appartiennent, constituant ainsi une étape avancée de cette famille.
Les formes proto-berbères reconstruites sont reliées aux suivantes, ce qui met en relief l’adéquation et de la méthode utilisée et des formes reconstruites. La continuité historique des formes est l’argument décisif et le bien-fondé aussi bien de la démarche suivie que des formes reconstruites. Sont ainsi déterminés le processus de la dislocation du système proto-berbère, le type de changements qui l’ont affecté et sa réorganisation dans ses formes pré-modernes et modernes. On a présenté la formation de tous les éléments du système moderne (chapitre IV), dont les oppositions verbo-nominales ( et celles de leurs modalités : genre, nombre...), de personne, de rection..., formation qui montre à quel point notre connaissance de cette langue est, dans l’état actuel de la recherche, rudimentaire. L’auteur constate que malgré la quantité des travaux réalisés selon les modèles structuraliste et génératif, le résultat est, dans ce domaine, encore très insuffisant et on reste (hormis la terminologie), sur bien des points, au stade des études réalisées durant la période coloniale.
Ce faisant, on a montré, exemples à l’appui, comment on est passé d’une morphologie qui se fonde sur la composition, l’agglutination des affixes, et une syntaxe ergative au système moderne de cette langue dont la morphologie est flexionnelle, conjuguée à une syntaxe foncièrement accusative.
En définitive, l’intérêt de cette étude réside certes dans la reconstruction du proto-berbère et son évolution depuis ses origines à nos jours, mais également dans ses répercussions sur les études diachroniques afro-asiatiques qui, dans leur ensemble, avancent sur la bonne voie. Aussi ce travail ouvre-t-il un chantier nouveau et très prometteur dans ce domaine où le berbère occupe, selon l’expression de l’auteur, une place stratégique.

Source : libération

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Amazigh - Patrimoine

Ces articles devraient vous intéresser :

Des erreurs sur les panneaux d’autoroutes marocaines

Le député Kamal Ait Mik, membre du groupe parlementaire du Rassemblement national des indépendants (RNI) à la Chambre des conseillers, a relevé des erreurs dans l’écriture des mots amazighs sur les panneaux de signalisation routière.

Maroc : appel à déclarer férié le jour du Nouvel an amazigh

Quelque 45 ONG marocaines et de la diaspora demandent au roi Mohammed VI de déclarer férié le « Yennayer » ou Nouvel an amazigh, célébré le 13 janvier de chaque année.

Des lunettes signées Imaan Hammam pour port Tanger

La marque de lunette Port Tanger a lancé de nouveaux modèles, fruit d’une collaboration avec le mannequin néerlandais d’origine marocaine Imaan Hammam. La collection a été récemment mise en vedette par la star de 26 ans.

L’enseignement de la langue amazighe généralisé dans les écoles marocaines

Le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports vient d’annoncer son plan de généralisation de l’enseignement de la langue amazighe dans tous les établissements du primaire d’ici à l’année 2029-2030.

Les Marocains libres de choisir le prénom de leurs enfants, sous certaines conditions

Les officiers marocains de l’état civil sont à présent dans l’obligation d’accepter temporairement les prénoms déclarés, y compris ceux en contradiction avec la loi, contrairement aux pratiques antérieures, selon un décret qui vient d’être publié.

Maroc : moins de français dans les administrations

Les Marocains souffrent de la prédominance de la langue française dans les transactions informatiques des administrations marocaines. Tel est le constat fait par le groupe parlementaire du Rassemblement national des Indépendants (RNI), qui appelle la...

La chanteuse Fatima Tabaamrant menacée par un salafiste

Alors qu’elle fait l’objet d’attaques verbales de la part d’un prédicateur salafiste, l’icône de l’art amazigh, Fatima Tabaamrant, ancienne députée RNI, vient de recevoir le soutien du parti d’Aziz Akhannouch.

Maroc : de grands pas vers l’officialisation de l’amazigh

Le gouvernement d’Aziz Akhannouch franchit de grands pas vers l’officialisation de l’amazigh, mais des efforts considérables restent à fournir pour que la langue retrouve sa place qui lui est échue.

Maroc : l’Amazigh reconnue officiellement comme une langue de travail

Les autorités marocaines ont procédé mardi au lancement officiel des procédures qui vont permettre l’intégration de l’Amazigh dans les administrations publiques. La cérémonie a été présidée par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch.

Le Groupe Barid Al-Maghrib promeut la langue amazighe

Le Groupe Barid Al-Maghrib entend intégrer la langue amazighe dans ses services. Dans ce sens, il a signé une convention de partenariat avec l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM).