Echanges de vues au Festival du film de Marrakech

24 septembre 2002 - 15h58 - Culture - Ecrit par :

Sanctuaire presque intact d’un monde arabo-musulman de légende, la place Jemaa-el-Fna s’est métamorphosée pour partie en salle de cinéma à ciel ouvert.

Les conteurs, danseurs, chanteurs et autres bistrotiers n’ont pas pourtant renoncé à leurs prérogatives. Ils ont dû seulement composer, du 18 au 22 septembre, le temps du deuxième Festival international du film de Marrakech, avec un écran géant sur lequel étaient projetés gratuitement, à la nuit tombée, des dessins animés, des courts métrages marocains et, au soir du 20 septembre, Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, en présence de l’enfant du pays, Jamel Debbouze, et de l’un de ses comparses, Gérard Darmon.

Ayant constaté, chaque soir, au pied du grand écran, la ferveur de plusieurs centaines de Marrakchis, souvent adolescents, presque toujours des hommes, on se demande aussitôt si la vocation première du jeune festival créé conjointement en 2001 par André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI, et Daniel Toscan du Plantier, ambassadeur plénipotentiaire du cinéma français et ici grand ordonnateur des réjouissances, ne serait pas celle-là : permettre au plus grand nombre d’accéder à des films venus du monde entier dans un pays où le réseau de salles est encore balbutiant et le prix des places coûteux pour les cinéphiles.

Les promoteurs du festival ont pourtant choisi d’en faire une compétition, avec l’objectif de s’inscrire le plus rapidement possible dans une constellation formée par Berlin, Cannes, Venise et Toronto. Leurs moyens ? Un budget de 2 millions d’euros, essentiellement financé par les principaux partenaires de la manifestation, au premier rang desquels Peugeot, Altadis, TV5 ou Arte, et bien sûr la mobilisation totale du royaume, Mohammed VI ayant même convié à dîner dans son palais plus de mille professionnels et personnalités ravis de saluer le roi, sa femme, son frère et ses trois sœurs dans une cour sur laquelle régnaient exceptionnellement Jeanne Moreau, présidente du jury, et Catherine Deneuve elle-même.

"Le festival se veut sérieux et ambitieux", explique André Azoulay, enfant juif d’Essaouira devenu l’homme fort du développement marocain au côté d’Hassan II d’abord, puis de son fils. "Il s’inscrit dans une stratégie globale de notre pays et s’assigne plusieurs objectifs. Le premier est bien sûr le cinéma. Le Maroc et le cinéma enrichissent une destinée commune depuis les frères Lumière. Nous voulons que notre cinéma national, nos réalisateurs, nos acteurs et nos techniciens, soient confrontés au regard des autres. Le second objectif est économique. Le cinéma est ici une affaire sérieuse. En 2001, les tournages effectués au Maroc ont employé 40 000 figurants, des centaines d’acteurs et des milliers de techniciens. Nous parlons en millions de dollars et nous voulons faire encore mieux."

En favorisant par exemple la croissance des studios de l’Atlas à Ouarzazate, aux confins du Sahara, où Dino de Laurentiis et Baz Luhrman vont créer cet automne de nouveaux équipements sur plusieurs centaines d’hectares. "Le tournage d’Alexandre Le Grand devrait engendrer quelque 60 millions d’euros d’investissements au Maroc, reprend André Azoulay. Le festival est donc une opportunité exceptionnelle de faire connaître au monde notre lumière, nos décors naturels, nos professionnels et la compétitivité de nos installations."

"RÉPONDRE À LA HAINE"

Et le monde s’y intéresse de près. Deux grands Américains, parmi beaucoup d’autres, sont venus dire à Marrakech leur envie de cinéma et leur goût de l’échange, Francis Coppola et David Lynch. Le premier a même placé la barre haut, n’ayant pas assez de mots pour déplorer l’ignorance de ses compatriotes et la manière dont ils perçoivent le monde arabo-musulman. "Si j’étais une personne d’influence aux Etats-Unis, la première chose que j’aurais faite après la tragédie de Manhattan aurait été de faire connaître cette culture, à laquelle m’a initié très tôt ma grand-mère, née à Tunis, et mon frère, qui s’y intéresse de près, à la faveur d’un programme éducatif spécifique. Le seul moyen de répondre à la haine est l’amour et le cinéma peut exprimer ce sentiment que nous partageons tous."

En peu de mots, le cinéaste résumait l’esprit des débats qui ont lieu pendant cinq jours ici. Conviés par Arte, Canal+ ou la Chambre marocaine des producteurs, de nombreux artistes et intellectuels du Nord et du Sud ont passionnément discuté de leur responsabilité dans un monde chaque jour plus sectaire et violent. Ici, Bernard-Henri Lévy côtoyait Mgr Di Falco ou l’islamologue Malek Chebel ; là, Yasmina Benguigui rencontrait l’Israélien Amos Gitaï ou Patrice Chéreau. Ainsi se constituait, en terre arabe, une fraternité cosmopolite et pacifique. Voilà peut-être la force de ce Festival du film de Marrakech.

Car la programmation cinématographique est, par ailleurs, assez quelconque, l’immense majorité des films ayant été vus ailleurs. Quelconque et contestée par la communauté spontanée des réalisateurs du Sud qui se sont plaints d’être cantonnés dans une sous-section aux allures de réserve. Mais il y a, dans les échanges favorisés partout, les hôtels, les cafés, les salles de projections - dont la splendide cour du Palais Badii -, l’embryon d’un forum artistique mondial qui se tiendrait en terre musulmane, avec les musulmans. Un outil précieux.

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