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Petru Mari a créé l’émission El Kantara il y a 5 ans. Passerelle radiophonique entre la Corse et le Maroc, l’émission vient de s’ouvrir à l’Algérie, à l’Egypte et à la Tunisie. Grâce à des reportages et des débats autour de thèmes communs, elle se bat chaque semaine contre l’intolérance. Découverte.
El Kantara veut dire « le pont » en arabe. C’est aussi le titre d’une émission de radio réalisée entre la Corse (RCFM) et le Maroc (RTM) depuis 5 ans. Une passerelle radiophonique qui rassemble chaque semaine des milliers d’auditeurs des deux côtés de la Méditerranée. Rencontres et discussions autour d’un thème commun : l’émission œuvre pour une meilleure connaissance de l’Autre et des autres. Elle vient récemment de s’ouvrir à l’Algérie, à l’Egypte et à la Tunisie. Interview de Petru Mari, le créateur de l’émission. Il co-présente le programme, de Bastia, tandis que Hanane Laïmani est à Rabat.
Afrik : Pourquoi avez-vous créé El Kantara ?
Petru Mari : Nous sommes partis de plusieurs constats : en Corse, il y a beaucoup d’immigrés maghrébins. La proportion est importante par rapport à la moyenne nationale. Et ces immigrés viennent à 90% du Maroc. Autre constat : ces immigrés sont victimes d’exclusion, liée au racisme mais aussi à une exclusion de type social. Il fallait s’adresser à eux, les faire parler, leur permettre de s’adresser à leur pays d’origine et établir la communication entre les Corses d’origine marocaine et le Maroc. Il était aussi important pour la Corse de se mettre dans une perspective euro-méditerranéenne. L’avenir de la Corse se trouve dans son environnement méditerranéen, avec l’Italie, la Sardaigne et l’Afrique du Nord. L’émission a été créée pour mettre tous ces thèmes en valeur.
Afrik : Comment se déroule l’émission ?
Petru Mari : Le studio est à cheval sur la Méditerranée. C’est comme une table qui a un pied à Rabat et un autre à Bastia ou Ajaccio, reliés par des lignes numériques. On choisit un thème : les réalités économiques et sociales, le racisme mais aussi le flirt, les goûts vestimentaires, la cuisine... L’idée est de mieux se connaître les uns les autres. On a des invités des deux côtés et le but est qu’ils se parlent entre eux. On passe des reportages (entre 2 et 4 minutes), réalisés de chaque côté. L’émission est enregistrée, nous faisons le montage et le mixage en Corse et j’envoie l’émission prête à diffuser au Maroc par Internet où elle passe le vendredi. En Corse, un format de 55 minutes est diffusé le lundi à 19h, avec un extrait de 2 minutes le lundi matin et il y a une rediffusion le samedi, avec un format plus court de 27 minutes.
Afrik : Après avoir travaillé exclusivement avec le Maroc, vous avez élargi vos collaborations...
Petru Mari : Nous sommes passés à un autre stade. On a adjoint l’Algérie, une fois par mois, puis l’Egypte et, très prochainement, la Tunisie. Avec le même principe : des thèmes en commun et la table des deux côtés de la Méditerranée.
Afrik : Comment l’émission est-elle perçue en Corse ?
Petru Mari : Elle dérange la partie de la Corse la plus raciste. Mais, pour moi, les racistes sont aussi des victimes. Ils sont victimes de ce sentiment qu’ils n’arrivent pas à dépasser et qui découle d’une inculture et d’une ignorance. Il nous est arrivé de recevoir des lettres de menaces, de sentir des pressions, mais dans des proportions raisonnables ! Notre émission n’est pas militante car il aurait été trop facile de faire une émission militante. Notre but n’était pas de prêcher des convaincus mais d’être écoutés par les autres justement. C’est le degré supérieur du militantisme car il n’apparaît pas comme tel. C’est une émission qui s’adresse à tout le monde. Il y a une certaine densité de contenu mais, en même temps, c’est décontracté. Cette émission est très écoutée car nous avons des heures d’écoute différentes et touchons donc un public large. En général, nous avons des retours très positifs.
Afrik : Vous donnez donc largement la parole aux immigrés ou aux Corses d’origine immigrée ?
Petru Mari : Nous leur donnons la parole en priorité, que ce soit dans les reportages ou dans le studio. Mais le problème, c’est que les immigrés ne parlent pas ou peu. Ils sont peu organisés, ou alors de façon religieuse. Quand on les interroge, ils ont tendance à dire que tout va bien et qu’ils n’ont pas de problèmes... Une minorité a peur de parler mais la plupart sont surtout dans ce que j’appelle le « confort du ghetto » dont ils ne veulent pas rompre l’équilibre. Quand je parle de ghetto, je ne fais pas référence au problème des cités révélé par la récente crise des banlieues car, en Corse, les populations sont relativement mélangées, notamment dans les centre-villes. De nombreux immigrés habitent les quartiers historiques, comme à Bastia. Mais, pour survivre, ils se sont repliés sur eux-même, travaillent entre eux, boivent le café entre eux, se retrouvent entre eux sur la Place d’Armes. Il est difficile d’entrer dans leurs cercles. On voudrait qu’ils s’investissent, deviennent des citoyens à part entière, votent, se portent candidats aux élections. Pour le moment, ils n’ont pas intégré le paysage politique. C’est aux Corses de faire le premier pas, de prendre des mesures d’intégration.
Afrik : L’immigration marocaine en Corse est-elle ancienne ?
Petru Mari : Oui, assez. Elle s’est développée, comme pour le continent, à la fin progressive de l’empire colonial, avec l’appel à une main-d’œuvre immigrée. Pourquoi les Marocains sont-ils plus nombreux sur l’île que les Algériens par exemple ? Je ne sais pas ! Le fait est que la Corse a toujours eu des rapports privilégiés avec le Maroc. Mohammed V a même été exilé en Corse par le gouvernement français à la fin du protectorat, au milieu des années 50. Et puis, il y a eu très tôt une ligne aérienne entre Oujda et la Corse, ce qui a sûrement contribué à créer des liens. D’ailleurs, la majorité des Marocains de Corse sont originaires de la même région : le Nord-Est, le Rif, à la frontière avec l’Algérie. C’est l’une des plus pauvres du pays et ces gens sont déjà exclus chez eux...
Afrik : On a beaucoup parlé de la flambée de violence anti-marocaine du premier trimestre 2004. Y-a-t il vraiment eu plus d’actes racistes ou est-ce la presse qui a exagéré le phénomène ?
Petru Mari : Un peu des deux... Il y a un an, il y a réellement eu plus d’actes racistes. En fait, une petite minorité nationaliste a cru pouvoir récupérer le thème de l’immigration pour gagner des voix. Les attentats anti-maghrébins ont été commis par des soldats perdus du nationalisme. Les nationalistes eux-mêmes, et la société corse dans son ensemble, ont répondu à ces attaques et les choses sont rentrées dans l’ordre assez rapidement. La société a réagi avec des manifestations, des débats publics, nous avons été très présents avec notre émission, nous avons fait des directs dans la rue... Il y a eu une flambée de violence due à cette raison politique et aussi à des problèmes de cohabitation entre jeunes dans certains quartiers. Les faits ont été montés en épingle par les médias nationaux et internationaux. On a vu débarquer toutes les télés à la recherche de l’événement. Mais comme il ne se passait pas grand-chose, ils en ont été réduits à faire des interviews caricaturales. Il y a un problème réel mais bien plus profond et complexe que ce qu’en a dit la presse.
Afrik : On a vu beaucoup d’inscriptions « Arabi fora », les Arabes dehors...
Petru Mari : Je tiens à dire qu’il n’y a pas plus de racisme en Corse qu’ailleurs. C’est juste que ce racisme s’y manifeste de manière exacerbée, car tout est exacerbé ici ! L’état démographique de la Corse est délabrée. L’île vieillit et continue de se vider de ses jeunes. C’est une petite île, nous sommes enfermés. Du coup, les effets de l’immigration sont démultipliés. C’est ce qu’on essaie d’expliquer depuis 5 ans. On ne dit pas aux racistes que ce sont des imbéciles, on ne les agresse pas. On entre en contact avec eux en leur expliquant pourquoi ils se trompent... Et nous commençons à avoir des résultats. Je vois la société changer. Il y a quelques années, on se vantait d’être raciste, plus maintenant. On a lancé le débat dans la société et beaucoup nous l’ont reproché. El Kantara a permis de mettre le racisme en perspective.
Afrik : A l’instar du continent, y-a-t il beaucoup de mariages mixtes en Corse ?
Petru Mari : Les filles immigrées ou de parents immigrés trouvent facilement un mari corse. Mais les fils d’immigrés et les immigrés hommes, même s’ils sont beaux et charmants, auront du mal à faire de même. Le mélange se fait surtout dans un sens ! Ou alors, il faut que les hommes aient perdu leurs caractéristiques d’immigrés, qu’ils aient l’accent corse, parlent un peu la langue... ce qui arrive de plus en plus ! Les enfants d’immigrés vont dans les écoles bilingues corse-français et ont alors le même profil linguistique que les autres, surtout en milieu rural, où l’on parle plus corse. Le temps fait son œuvre ! Il y a aussi des cas d’intégration magnifiques et de coopération spectaculaires.
Olivia Marsaud - Afrik.com
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