Un jeune homme de 23 ans, médiateur culturel d’origine marocaine résidant à la Corogne, dans le nord-ouest de l’Espagne, a porté plainte, affirmant avoir été victime d’une agression racistede la part de deux videurs.
« Nous sommes tous musulmans et marocains. Il n’y a pas de différence entre Arabes et Berbères. Cette distinction a été faite par le colonialisme pour nous diviser. » Telle est la réponse de certains Marocains quand ils sont sollicités pour donner leur avis sur la discrimination qui existe envers la population berbère.
Or, selon les experts, les conquérants arabes du IXe siècle ayant été peu nombreux, la très grande majorité des Marocains est d’origine berbère, bien que la plupart soient devenus arabophones, plusieurs tribus berbères ayant été arabisées de force très tôt. Les experts se sont en effet accordés sur le fait qu’il n’y a pas eu de migration de masse venue du Moyen-Orient dans cette région.
Les Berbères sont présents au Maghreb depuis environ cinq mille ans. Cette communauté s’étend géographiquement sur une vaste région allant de la frontière égypto-libyenne à l’est, jusqu’à l’océan Atlantique à l’ouest.
Le mythe
Parallèlement à l’arabisation de la langue, une sorte d’arabisation de l’identité a eu lieu à travers des mythes mettant en exergue l’origine arabe des Marocains. Un observateur étranger remarquera l’insistance de certains habitants du royaume alaouite à affirmer leur identité arabe. Les Marocains vénèrent ainsi Idriss Ier, descendant de Ali, gendre du prophète Mahomet, venu d’Arabie et qui s’installa dans cette région au VIIIe siècle. « C’est grâce à lui que nous sommes aujourd’hui musulmans et arabes », affirment avec fierté les Marocains qui se considèrent « d’origine arabe ». Beaucoup plus tard, les alaouites fondèrent, au XVIIe siècle, la dynastie qui règne encore aujourd’hui. Moulay Ismaïl est le premier monarque de cette dynastie qui prétend, elle aussi, descendre du Prophète. Il gouverna pendant 50 ans (1672-1727), réorganisa le Maroc et en assura la pacification, après avoir mené une série d’expéditions militaires contre les tribus insoumises. Selon la légende, on lui attribue un harem de 500 femmes. Ce nombre impressionnant aurait, toujours selon la légende, des raisons politiques. Selon la légende, Moulay Ismaïl aurait en effet choisi une épouse dans chaque tribu berbère. Un moyen de pacifier le royaume.
Mais, dans la ville de Meknès, où se trouve le mausolée du roi, le visiteur remarquera qu’enterrés à côté de Moulay Ismaïl, ne se trouvent que son frère, son fils et son épouse. Questionné sur le sort des 499 autres femmes, un guide local reste bouche bée.
Outre la pacification du royaume, l’une des explications de ce mythe tient également en une volonté d’introduire du sang arabe au Maroc. Ainsi, malgré le nombre infime d’Arabes venus s’installer dans cette région, les partisans de l’arabité du pays peuvent s’appuyer sur ce mélange de sang, par alliance, pour affirmer « l’origine arabe des Marocains ».
Victime du nationalisme arabe
Fort de ses mythes, le Maroc, lors de son indépendance en 1956, proclame haut et fort son identité arabe. L’arabité, qui a alors le vent en poupe, est considérée comme un facteur d’unité, la diversité culturelle comme une source de division. Pendant plusieurs décennies, la spécificité berbère fut écrasée et opprimée au nom de l’arabité. Une pratique d’ailleurs courante dans d’autres pays dits arabes.
Le réveil berbère
Ce n’est qu’au début des années 90 qu’une revendication de l’identité berbère apparaît au Maroc. Le 5 août 1991, plusieurs associations réclament publiquement la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes. Le terme « amazigh », masculin, signifie « homme libre ». Le féminin « tamazight » lui est généralement préféré pour désigner la langue. Les Berbères préfèrent le nom qu’ils se donnent dans leur langue, les Imazighen.
Quelques années plus tard, une poignée de manifestants sont arrêtés par les autorités pour avoir défilé avec des banderoles rédigées en langue berbère.
Sous la pression de l’opinion publique nationale et de certains mouvements locaux, qui furent d’abord culturels avant de devenir politiques, le gouvernement marocain a proclamé son intention de développer une politique multiculturelle et a reconnu, avec plus ou moins de bonne volonté, la place tenue par l’identité berbère dans la composition de la nation marocaine.
Le 20 août 1994, le roi Hassan II a décidé que la langue des Berbères, le tamazight, parlée par plus d’un tiers de la population du royaume, serait désormais enseignée « au moins au niveau primaire ». Cette décision, qui fera date, a ouvert la voie à une réparation historique, même partielle, à l’égard de la communauté berbère, dont la langue, la culture, l’identité et les droits ont été longtemps méprisés.
En 2000, un groupe d’intellectuels diffuse un « manifeste berbère » signé par plus de 200 personnalités. Le texte, qui réclame à nouveau la réhabilitation de la langue, de la culture et de l’identité berbères, est remis au porte-parole du nouveau roi Mohammed VI. En 2001, le monarque signe un décret créant l’Institut royal de la culture amazighe « Ircam ». Son rôle consiste à conseiller le souverain sur tout ce qui concerne l’identité berbère. Sa priorité aujourd’hui est d’accompagner la mise en place de l’enseignement du tamazight dans les écoles.
Cette reconnaissance illustre ainsi par excellence le processus marocain de transition démocratique. Il s’agit, dans ce cas, d’une sorte d’interaction entre les propositions faites par la société civile, d’une part, et le pouvoir central, d’autre part.
Actuellement, les associations amazighes réclament que la monarchie aille plus loin : elles demandent la reconnaissance officielle de la langue berbère dans la Constitution, en faisant valoir que près de 40 % de la population du pays sont berbérophones. En attendant sa pleine réhabilitation, la « berbérité » s’affiche. La population s’organise à travers des associations sociales et culturelles de plus en plus nombreuses, alors que les festivals de musique amazighe attirent un public croissant.
Antoine Ajoury - L’Orient le Jour
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