Hassen et Naïma vont voter pour la première fois en France

3 avril 2002 - 21h06 - France - Ecrit par :

" Pour l’instant, on entend tout. Chacun dit sa parole, mais je ne peux pas savoir qui va tenir sa parole. C’est le dernier jour du vote, à la mairie, dans la salle, derrière le rideau, tout seul, que je vais décider " : Hassen Naji, comme sa femme Naïma, va voter pour la première fois en France. Ils sont tous les deux originaires de la région de Meknès. Lui a déjà voté au Maroc, elle, non. Pour le moment, elle est un peu évasive et semble confondre les sondages et le vote : " Moi je ne sais pas. Celui qui gagne, c’est tant mieux. Pour moi, c’est cool ", dit-elle, avant de reconnaître n’avoir aucune préférence pour l’instant. Ils parlent parfois politique. " Tu vois la télé, elle est sur la chaîne française. J’ai la parabole. On pourrait regarder le Maroc ou la Tunisie. Non. On est en France. " Evoquent-ils les élections avec leurs enfants ? " Non, très peu. Ce n’est pas la peine. Il y a plein de choses qu’ils comprennent mieux que nous, à cause de l’école ", dit Hassen. " Les enfants, c’est le Frigidaire plein et les études. C’est tout ", ajoute Naïma.

Hassen, 54 ans, est arrivé avec son père en 1975, après une étape par la Corse. Ils se sont fixés à Créon, à une trentaine de kilomètres à l’est de Bordeaux. Les vignes de l’Entre-Deux-Mers, vieille région viticole du Bordelais, entre Dordogne et Garonne, avaient besoin de bras. Quand il a quitté l’école, Hassen ne savait pas qu’il passerait toute sa vie professionnelle dans la vigne. Entre la taille et le travail des chais, elle l’occupe toute l’année.

Il est très fier du Château-de-Sours et du Château Richemont, à Saint-Quentin-de-Baron, où il travaille actuellement. Vous ne repartirez pas de chez lui sans qu’il vous offre une bouteille de ses crus favoris. Naïma, 42 ans, est aussi venue à Créon avec ses parents. Elle a quitté l’école après la quatrième et fait son apprentissage de couturière. " Puis j’ai rencontré monsieur ", dit-elle en montrant son mari et avant de parler de ses cinq enfants. Nordine, 19 ans, chauffeur dans le BTP ; Akim, 16 ans, lycéen à Bordeaux ; Karim, 14 ans, collégien à Créon ; Brahim, 8 ans, Nadia, 4 ans, sont à l’école primaire et à la maternelle de Créon. Et elle arbore un grand sourire pour dire : " Ils travaillent tous très bien. " Ils se sont mariés en 1981, mais au Maroc. Et puis la vie a continué. " Nous, on vivait ici. On se considérait comme des Français. Moi je faisais mon travail comme tout le monde. Je payais mes impôts. Il y a trente-trois ans que je vis en France. J’ai construit ma famille et ma maison. Je suis fier de mon pays. J’y retourne tous les ans. Mais nous nous considérions comme des Français. Là-bas, on nous prend pour des Européens. Quand j’ai acheté ma maison, il y a eu des gens pour s’étonner que ce soit un sale Arabe qui achète la dernière parcelle du lotissement. Personne ne me l’a jamais dit en face, mais ça existe. C’est à cause du racisme que j’ai décidé de demander la nationalité française. Nous, on ne veut pas que cela se passe comme ça. Il faut que tout le monde soit pareil ", explique Hassen.

C’était il y a cinq ans. Aujourd’hui, ils habitent le lotissement Bel-Air, près du collège de Créon, depuis quatre ans. Une belle maison avec son jardin, les fleurs et le silence tout autour. " C’est un bonheur d’habiter ici, avec des voisins aussi gentils. Si vous aviez vu comme ils ont été solidaires quand mon fils s’est cassé la jambe devant la maison ", dit-il. Les formalités pour obtenir leur nouvelle nationalité ont demandé plus de quatre ans. Leur fils, né en France, a eu sa carte d’identité avant eux. Mais jamais la moindre difficulté, à part des papiers qui manquaient tout le temps. Enfin, ils ont eu leur carte d’identité le 14 février. " Ils ont été toujours très aimables à la préfecture et, à la fin, ils nous ont bien accueillis, avec un buffet. Pour ça, on n’a rien à dire ", dit Hassen. Il ajoute : " Honnêtement, cela ne m’a rien fait tellement je me sentais chez moi. C’était comme si je revenais en France après un séjour au Maroc. Il faut bien comprendre, j’ai passé toute ma vie ici. " Retour aux élections. " Pour moi, celui qui dirige bien la France, c’est bon ! ", tranche Hassen, qui avoue n’avoir encore qu’une opinion assez floue sur la gauche, la droite et le personnel politique, sauf sur Jean-Marie Le Pen : " Je ne dis pas qu’il a tort tout le temps. Il dit des vérités quelquefois. Par exemple quand il parle des immigrés et du RMI. Mais il dit toujours les "immigrés". Qui c’est les immigrés ? Moi, je ne sais pas. Moi je ne me reconnais pas dans ceux dont il parle. "

lemonde.fr

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