Ni le lieu ni le moment n’avaient été choisis par hasard. C’est à Tétouan, ville du nord du Maroc, très traditionnelle et marquée par l’intégrisme, que le roi Mohammed VI a choisi d’annoncer, samedi 27 septembre, une réforme du dispositif religieux dans le royaume. Le souverain chérifien a dévoilé ce plan dans les heures qui ont suivi "la Nuit du destin", considérée comme la plus sainte de l’année par les musulmans car elle marque, quelques jours avant la fin du ramadan, la révélation du Coran au prophète Mahomet. Fort de sa fonction de "Commandeur des croyants" (chef suprême des musulmans), Mohammed VI a décidé la mise à niveau des institutions religieuses et un meilleur encadrement des prédicateurs du royaume.
Désormais, chaque province ou préfecture aura son Conseil local des oulémas, (théologiens relevant du ministère des affaires religieuses à Rabat). Leur rôle sera de répondre aux questions de la population et de contrôler les imams des mosquées, de " guider les gens et combattre les allégations mystificatrices colportées par les tenants de l’extrémisme".
La communauté marocaine à l’étranger - essentiellement en France - sera également concernée. En annonçant cette réforme, le souverain marocain "tente d’étendre sa politique de proximité, dont il se prévaut dans d’autres domaines, au champ religieux", souligne Mohammed Darif, islamologue et enseignant à l’université Hassan II de Mohammedia. Cette restructuration ne date pas d’hier. Amorcée par le roi Hassan II, qui voulait combattre dans les années 1980 les retombées de la révolution islamique iranienne sur le Maroc, elle se poursuit, par étapes, depuis que Mohammed VI est arrivé sur le trône. En 2004, au lendemain des attentats de Casablanca, les mosquées non autorisées avaient été interdites.
"Il s’agit pour le roi d’être la grande et seule autorité, et d’asseoir le prééminence du rite malékite à travers tout le royaume, pour contrer les autorités religieuses autoproclamées", explique Rachid Benzine, chercheur associé à l’Observatoire du religieux, à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. La reprise en mains annoncée par le souverain marocain intervient au lendemain du tollé provoqué par une fatwa (avis religieux) émise par un théologien du courant salafiste traditionnel qui autorisait le mariage des fillettes dès l’âge de neuf ans (alors que l’âge minimum légal au Maroc est de 18 ans). Cet homme, Mohammed Maghraoui, a été démenti, le 21 septembre, par le Conseil supérieur des oulémas, et son site Internet a été interdit.
Reste que les autorités marocaines sont assez impuissantes face à Internet et aux chaînes de télévision du Golfe, notamment la chaîne religieuse Iqra. Des prêcheurs, tel Amr Khaled qui prône un islam conservateur, connaissent un succès grandissant. "Ils opèrent comme les téléprédicateurs protestants. De la même façon que les chrétiens, les musulmans s’abreuvent à toutes les sources. Eux aussi font leur marché du religieux. Dans ces conditions, rien n’assure que les réponses apportées (par les pouvoirs politiques) aient des chances d’être entendues", souligne le chercheur Rachid Benzine.
Source : Le Monde - Florence Beaugé