Elle y est appliquée en aval à l’échelon international par le biais de l’ordre public, ou en amont comme règle de rattachement quand le système retient la loi nationale, ou comme loi d’application immédiate.
Aussi, avant d’apprécier les effets de cet empêchement, (III) convient il d’exposer ses fondements et ses aspects dans le droit marocain et d’autres droits maghrébins (II).
I.Fondements
Le droit musulman est la source principale des législations familiales au Maghreb. C’est ce qui justifie la présence de l’interdiction tenant à la disparité de culte précitée.
En effet, la doctrine dominante classique musulmane considère qu’il est totalement interdit à une musulmane de se marier avec un non musulman.
Parmi les effets qui découlent de cette interdiction, on peut citer la possibilité de faire répudier la femme musulmane de son mari apostat par le juge.
Les arguments avancés par cette doctrine pour justifier cette interdiction sont multiples. On a considéré que les versets coraniques suivants imposent expliciterment cet empêchement :
• “ô vous qui croyez ! Quand viennent à vous des croyantes émigrées, soumettez-les à examen ! Allah connaît (seul) très bien leur foi. Si vous les connaissez comme croyantes, ne les renvoyez point vers les infidèles... elles ne sont plus licites pour eux, ni eux licites pour elles...” (Coran, Sourate LX, verset 10).
• “Ne donnez point (vos) filles en mariage aux associateurs avant qu’ils ne croient...” (Coran, Sourate 2, verset 220).
Ces versets retiennent clairement l’interdiction du mariage de la musulmane avec “les infidèles” (les gens de la Mecque dans le temps) et “ les associateurs”, quant aux gens du livre (chrétiens et juifs), le Coran ne contient pas des textes les visant dans ce sens. Mais la doctrine classique a considéré que les versets de la première sourate les concernent aussi, vu qu’il y avait parmi la population de la Mecque des gens du livre.
La doctrine classique a avancé d’autres arguments d’ordre patriarcal pour renforcer cette intediction. Ainsi du moment que le père est le chef de famille et puisque en Islam les enfants suivent sa religion, l’autorisation du mariage de la musulmane avec un non musulman expose sa religion et celle de ses enfants à un danger.
Contrairement à cette interdiction, la doctrine musulmane classique a permis au musulman de se marier avec une “femme du livre” (chrétienne ou juive), car la religion du père et des enfants ne risque aucune influence, vu que ces mariages représentent une opportunité d’intégrer la femme à la religion islamique.
II.Aspects
La prohibition du mariage de la musulmane avec un non musulman a été introduite dans les règles juridiques internes des pays du Maghreb. Elle est appliquée aux relations privées internationales par l’intervention de l’ordre public. Cette interdiction est appuyée par la promulgation en 1960 d’un Dahir relatif au mariage entre Marocains et étrangers qui considère comme obligatoire le respect des “conditions de fond et de forme prévues par le code de statut personnel du conjoint marocain” dans tous les cas de mariages mixtes.
Toutefois au Maroc, l’interdiction peut être levée par la conversion du non musulman à l’Islam et la satisfaction de quelques conditions fixées par des circulaires du ministère de la Justice.[...>
III. Appréciation
Si l’interdiction du mariage de la musulmane avec un non musulman se trouve justifiée dans la logique du droit musulman classique, en tenant compte des données historiques de la prohibition, cela n’empêche qu’elle soit critiquable à plusieurs échelles.
Elle peut être considérée comme contraire aux dispositions des conventions internationales relatives au droit international privé comparé (b). Cette interdiction est dépassée par la réalité actuelle (c).
a. L’incompatibilité avec les conventions internationales des droits de l’Homme
Les conventiuons internationales des droits de l’Homme et surtout celle de l’élimination de toutes les formes de discrimination envers la femme, reconnaissent les mêmes droits à l’homme et à la femme, concrétisent les principes de liberté et d’égalité et refusent toute discrimination fondée sur le sexe.
C’est ainsi que l’application de l’interdiction du mariage de la femme musulmane avec un non musulman, même par le biais du mécanisme de l’ordre public est inacceptable du moment que cette règle est contraire aux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’Homme (déclarations, pactes, conventions) qui reconnaissent à la femme le même droit que l’homme dans le choix du conjoint.
b. L’incompatibilité avec les principes de droit international privé comparé
En droit international privé comparé, on aspire de plus en plus à l’objectivation des règles de conflits. Cette démarche consiste à donner aux lois des deux parties les mêmes chances d’être appliquées, et la possiblité de choisir un rattachement reposant sur une base objective : domicile des parties, leur résidence habituelle, la loi du tribunal saisie...
Le privilège de nationalité qui donne aux juges de certains Etats maghrébins la base juridique pour appliquer l’interdiction aux relations privées internationales, est contraire donc aux principes précités. Il privilégie la loi du conjoint national au détriment de la loi de l’autre partie.
c. Dépassement de cette interdiction
Une partie de la doctrine moderne dans les pays du Maghreb soutient la levée de l’empêchement. Les arguments avancés se rattachent à la réalité actuelle : dans les pays non musulmans, une grande partie de femmes musulmanes sont mariées avec des non musulmans et continuent à le faire sans se soucier de l’interdiction prévue par leur loi nationale. L’amour, la volonté de la personne sont parfois plus forts qu’une interdiction juridique, même d’inspiration religieuse. Evidemment, ces unions sont considérées comme nulles et sans effets par les législations nationales de la femme musulmane. Mais celle-ci ne pense pas à ces données tant qu’elle est domiciliée hors de son pays et tant que son mariage est stable.
* Khalid Berjaoui
Chef de département de droit privé à la Faculté de Droit, Souissi-Rabat Membre du Conseil d’Administration de la Chaire UNESCO “ La femme et ses droits ”
Khalid Berjaoui - Le Matin