Maroc : La polygamie, une réalité à plusieurs facettes

17 janvier 2007 - 21h09 - Maroc - Ecrit par : L.A

Même si le mode de vie urbain et l’environnement social ne constituent pas un terreau fertile pour la polygamie, elle existe toujours dans notre pays.

De nombreuses femmes dénoncent encore cette réalité. Suite à la réforme du Code de la famille, « la Moudawana », adoptée par le Parlement, un très grand nombre de modifications introduites émane en majeure partie des revendications des associations de femmes et des ONG des droits humains. La polygamie n’est pas abolie, mais elle est soumise à des conditions draconiennes. La raison est très simple, cette modification du code impose au mari qui désire prendre une seconde épouse d’avoir une permission écrite de sa première femme et l’autorisation du juge. Il doit aussi prouver qu’il est capable de subvenir aux besoins des deux femmes, garantir leurs droits, leur pension alimentaire, et leur logement. C’est ainsi que la femme peut conditionner ce mariage à un engagement du mari de ne pas prendre d’autres épouses et elle peut aussi invoquer la polygamie pour demander le divorce pour le préjudice subi.

Cependant, l’homme peut être polygame pour diverses raisons, notamment le prestige social. Mohammed Ben Al Hachmi, 49 ans, cheveux gris, coiffé de calotte de hadj, affirme que la polygamie est « un symbole de richesse ». Marié à deux femmes, il cohabite en alternance avec l’une et l’autre. « Il y a des jalousies étranges entre mes épouses. Parfois, l’une voudrait me garder plus longtemps juste à elle », explique-t-il dans un éclat de rire.

La jalousie n’est pas la seule scène familière associée à la polygamie. Il y a souvent de graves conflits entre les épouses et entre les enfants des différents lits. En effet, l’insalubrité de logements suroccupés, échecs scolaires des enfants, conditions catastrophiques des femmes sont aussi des conséquences sociales de la polygamie.

Fatiha, 36 ans, a vécu 8 ans avec un homme dont elle s’est séparée en 2005. Son mari voulait avoir une deuxième épouse, mais la Moudawana lui complique la démarche. Il lui demanda d’écrire une permission pour avoir l’autorisation du juge mais elle refusa avant d’obtenir son divorce. « Même si le foyer où nous résidions n’était pas assez grand, pour lui, avoir plusieurs femmes ne signifie qu’un supplément de virilité », raconte-t-elle, le souffle entrecoupé. Après maintes tractations inabouties entre son mari et elle, Fatiha ne revient pas sur sa décision. « J’ai dit non et je suis partie. Nous les femmes, nous ne voulons plus être des objets entre les mains des hommes », conclut-elle.

D’ailleurs, le milieu rural demeure foncièrement attaché à cette tradition considérée une liberté religieuse. Pour certains paysans, se marier avec deux, trois ou quatre épouses garantit à l’homme une main-d’oeuvre à bon marché et la survie de la famille. Des femmes à l’oeuvre, de l’aube au crépuscule, sont chargées des repas, du ramassage du bois de chauffage et de l’eau, ensemençant les champs au pic et à la pelle.

Et si la progéniture reste la principale richesse humaine, les hommes de la campagne ont souvent plusieurs femmes pour avoir de nombreux ascendants. A Ouled Haddou, à quelques kilomètres de Casablanca, ce ne sont pas les exemples qui manquent. Tahar, 61 ans, père de 9 garçons et 5 filles, s’est marié trois fois dans sa vie. Ses épouses vivent toutes au même foyer où il a réservé un petit pavillon pour chacune. « Pour perpétuer le nom de ma famille, et en assurer la pérennité, je me suis permis d’avoir trois épouses. Nos aïeux faisaient la même chose dans le même but. C’est un droit naturel que la religion favorise. » déclare-t-il avec sérénité. Par ailleurs, de multiples associations féministes revendiquent avec force, aujourd’hui, l’abolition de la polygamie. Elles estiment que tous les justificatifs et les raisons invoqués ne la cautionnent pas. Aicha Khamlich, membre du Conseil consultatif des droits de l’Homme, constate que la polygamie est toujours permise à condition qu’il y ait « une équité entre les épouses ».

Libération - Ayoub Akil

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