Connecté, le migrant n’est plus un « déraciné »

4 mars 2009 - 14h27 - Maroc - Ecrit par : L.A

Munie d’un téléphone portable et d’un ordinateur branché sur le Web, une personne qui a émigré n’a pas vraiment quitté son pays et sa famille. La sociologue Dana Diminescu montre cette nouvelle réalité de la migration

On se représente en général un immigré comme quelqu’un qui est parti de chez lui pour trouver du travail et qui est arrivé dans un pays où par chance il a pu se brancher sur le monde de l’emploi. Il a rompu ses liens familiaux et sociaux d’origine mais, étranger là où il est arrivé, il n’est pas intégré. On le voit absent de son pays d’origine, qu’il a quitté, et absent de son pays d’accueil, où il n’a pas de place évidente, sinon chez son employeur pendant la période du contrat s’il y en a un. Cette double absence, d’ici et de là-bas, a forgé toute une imagerie de la migration, qui tourne autour du malheur, de la rupture d’avec là-bas, et du besoin d’intégration ici. Le migrant est un « déraciné » qu’il faut stabiliser par des mesures adéquates. Sédentariser le nomade.

Cette vision de la migration, construite au temps des voyages longs, du téléphone cher, du ­courrier postal lent et des attaches nationales contrôlées, ne correspond cependant plus entièrement à la réalité vécue par les migrants. Plusieurs études montrent que ceux-ci sont de plus en plus insérés dans une nouvelle culture de la mobilité. « Il n’y a jamais eu par le passé autant de gens capables d’envisager comme allant de soi le fait qu’eux-mêmes et leurs enfants seront conduits à vivre et travailler ailleurs que sur leur lieu de naissance », dit la sociologue Dana Diminescu. Le nomadisme se répand, qu’il s’agisse de migrations à but économique, du voyage comme mode de vie, du tourisme qui finit par l’adoption d’un nouveau lieu de résidence… Tous ces nomades seraient-ils des déracinés ?

Tout au contraire, affirme Dana Diminescu. Dans cette « modernité liquide » décrite par Zygmund Baumann, qui est caractérisée par une circulation généralisée des hommes, des biens, des informations, « les migrants d’aujourd’hui sont les acteurs d’une culture de lien qu’ils ont fondée eux-mêmes et qu’ils entretiennent dans la mobilité. » Grâce aux technologies de l’information, « il est de plus en plus fréquent que les migrants parviennent à maintenir à distance des relations qui s’apparentent à des liens de proximité ». Ils sont présents auprès de leur famille restée là-bas, présents auprès d’autres migrants de même origine disséminés dans le monde, y compris dans le pays où ils résident, présents aussi auprès de la société dans laquelle ils vivent grâce aux réseaux d’amitié ou d’intérêt qu’ils créent. « Grâce à ce nouvel environnement technologique, il est plus facile aujourd’hui de vivre à la fois chez soi et dans le pays d’accueil ou ailleurs, et cela d’une manière quotidienne », dit Diminescu.

Ses recherches sur l’usage des nouvelles technologies par les migrants, dans le cadre de la Maison des sciences de l’Homme à Paris et à Télécom ParisTech, ont conduit la sociologue à dessiner le profil d’une nouvelle figure de la migration : le « migrant connecté ». Au lieu des fractures qui marquaient sa vie, c’est, progressivement, la continuité qu’il faut essayer d’observer. Au lieu de sa double absence – ni ici, ni là-bas –, c’est sa participation à une variété de réseaux sociaux, nationaux et transnationaux qu’il faut prendre en compte.

Pour comprendre le migrant connecté, dit Diminescu, il faut commencer par l’inventaire des objets qu’il porte sur lui et qui lui donnent l’accès à ses réseaux d’attachement : à un pays par le passeport avec puce ou le visa biométrique, à sa famille et ses amis par le téléphone mobile et Internet, aux institutions par les cartes d’accès, aux réseaux de transport par le Navigo, aux banques et corridors de transfert par la carte bancaire, aux services sociaux par la carte de santé, etc. Cet « habitel », comme a été baptisé ce capital d’accès, est pour Diminescu un excellent indicateur de la mobilité et de la connectivité des gens et, finalement, du degré d’intégration des migrants.

L’Internet joue un rôle particulier, explique la chercheuse. Si le Web1.0 installait un corridor de communication entre le pays de départ et le pays d’accueil, le web 2.0 fait éclater cette relation bilatérale en une multitude de connexions diverses par-delà les frontières. Avec Skype, YouTube, Yahoo ! Messenger, des communautés de migrants internautes de diverses origines se constituent à travers des sujets d’intérêt de plus en plus intercommunautaires. (Ci-dessous.)

L’enjeu d’une telle recherche ? Pour Diminescu, le passage du migrant déraciné au migrant connecté change complètement l’approche politique des migrations, tant dans les pays de départ que dans les pays d’accueil.

Avec le transfert des documents d’identité du papier vers des supports électroniques qui laissent des traces, on assiste à l’installation d’un système qui vise à contrôler toute forme de mobilité. Les pays de destination étudient ces techniques dans l’espoir de trouver un instrument de contrôle et de lutter contre la mondialisation des flux migratoires ; les pays d’origine, conscients du profit économique et politique qu’ils peuvent tirer de leurs communautés transnationales par l’introduction des cartes d’identité multifonctionnelles, tentent d’accroître leur influence géopolitique et d’accumuler le capital social et financier provenant de Ces populations disséminées dans le monde.

Les Philippines, par exemple, ont créé une carte électronique qui fait office de passeport, de carte bancaire, de carte de soins médicaux dans les pays d’accueil, de carte électorale.

Le Maroc, la Turquie, la Colombie, le Mexique, l’Inde ont créé « le réseau des réseaux » sur la Toile dans l’espoir de pérenniser et de capitaliser, de canaliser les interactions de leurs ressortissants. « L’Etat-nation ne meurt pas avec la globalisation, dit la chercheuse, il s’y adapte en se donnant les moyens d’y résister. » Il cherche ainsi à conforter une présence au pays dans un espace qui n’est plus délimité par les frontières territoriales.

Etre intégré, aujourd’hui, dit Dana Diminescu, consiste à être connecté, et surtout « rester connecté » grâce à tous les systèmes digitalisés qui facilitent la vie : trouver un emploi, trouver un logement, trouver un conjoint, bouger, etc.

Des programmes existent pour répondre à cette demande, notamment à l’Union européenne et au niveau local. Mais ils sont encore à l’état balbutiant et, selon la chercheuse, ils ne reflètent pas encore l’entier du changement qui se produit sur la scène migratoire. Le migrant connecté n’a pas encore remplacé sur la scène du débat la figure du migrant déraciné qu’il faut sédentariser et assimiler.

Source : Le Temps - Joëlle Kuntz

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