La frontière entre l’Algérie et le Maroc a été exceptionnellement ouverte cette semaine pour permettre de rapatrier le corps d’un jeune migrant marocain de 28 ans, décédé par noyade en Algérie.
En planchant, deux jours durant les 3 et 4 mars à Rabat, les 57 experts européens et africains du processus de Rabat sur la problématique de la migration et du développement n’ont pu avancer significativement sur la voie d’un partenariat d’intégration en prélude à la 2ème Conférence ministérielle de Paris en octobre prochain. Beaucoup reste à faire pour dissiper un fort climat de méfiance réciproque retardant l’échéance d’une intégration des flux migratoires.
C’est le sentiment qui s’est dégagé à l’écoute des travaux des experts en réunion préparatoire pour faire activer le processus de Rabat engagé lors de la première conférence ministérielle euro-africaine sur la Migration et le Développement tenue dans le Royaume les 10 et 11 juillet 2006. Un sentiment de « sur place » pour des discussions qui piétinent en constatant que les représentants des deux rives, malgré toute leur bonne volonté d’aller de l’avant, semblent beaucoup plus camper sur leurs positions respectives en se souciant davantage des volets sécuritaire et répressif pour endiguer l’établissement illégal ou hors-quota des immigrés dans les pays d’accueil.
Pour l’observateur qui assiste à une séance entière d’échanges d’experts, au moment où les peuples et les gouvernements qui les ont mandatés sont en droit d’espérer des recommandations « partenariales » bien définies et aptes à devenir opérationnelles, celui-ci se montre plutôt déçu de relever que les échanges achoppent, pour une part non négligeable en temps et efforts, sur des demandes de clarification, d’éclaircissements, de mises au point…Bref, nous avons l’impression que ces experts se rencontrent pour la première fois sur la thématique de la migration pour exprimer leur besoin de clarification alors que la Déclaration de Rabat, datant de bientôt deux années, avait planté le décor et préconisé un partenariat stratégique durable entre les deux continents ciblant l’organisation et l’amélioration des conditions de l’immigration organisée ou légale d’une part, et revendiquant le concept de co-développement qui est loin d’entrer dans les faits et que seule la France a repris dans ses nouvelles structures gouvernementales, d’autre part.
Sinon, comment expliquer que le délégué égyptien, par exemple, a insisté pour réclamer une clarification du concept de « migration circulaire » ou que l’expert tunisien s’est insurgé contre la distinction établie par ses homologues occidentaux entre migration légale et clandestine alors que les deux approches doivent être nécessairement liées. En citant, à titre d’illustration, que depuis que les gouvernements tunisien et italien ont négocié le départ de 12.000 migrants vers le pays latin, la proportion des départs clandestins a chuté de 30%.
Souvent, on a eu droit à des précisions sur les dispositions de certaines législations de pays européens, comme la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, conditionnant l’immigration par des préalables contre lesquels aucun gouvernement des pays d’origine ne devrait y aller. Connaissance obligatoire des langues, formalités drastiques de regroupement familial, contrats de travail et autres contraintes restrictives qui semblent engager les deux rives plus dans un dialogue de sourds que vers un consensus d’intégration facilitant la tâche aux institutions gouvernementales lors de la prochaine rencontre parisienne.
La migration, un facteur de développement
Un autre pierre d’achoppement a fait peser les discussions dans la direction des quotas de migrants à réviser en fixant des planchers à ne pas franchir et en remettant sur le tapis le concept tant controversé de migration positive ou discriminatoire. Faut-il fixer des quotas généraux ou ciblés selon les besoins des secteurs professionnels en demande ? Ou bien faudra-t-il des quotas par pays d’origine et selon quels critères certains Etats africains seront privilégiés plus que d’autres ? Où en sont les conventions d’établissement entre pays d’origine et d’accueil et entre les premiers cités et les pays de transit ? Autant de questionnements lancinants risquant d’entraver longtemps encore la voie vers une charte des droits sociaux et économiques du migrant.
En tout cas, l’ambassadeur Directeur général des relations bilatérales au ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération s’est montré incisif dans son intervention à la réunion des experts euro-africains : « les migrants légaux contribuent au développement et à l’épanouissement à la fois des sociétés d’accueil et d’origine ». Youssef Amrani a ajouté en y mettant le ton et les gestes : « la mobilité de la main d’œuvre reste un élément clé de la croissance économique et de la prospérité des pays développés tout en favorisant le développement des pays d’origine des migrants ». Un appel qui semble mobiliser peu d’efforts sur l’autre rive lorsqu’on entend certains de leurs experts déclarer : « Nous voulons aider les travailleurs et migrants africains à rester chez eux ».
En tout cas, les attentes de Amrani risquent de se prolonger indéfiniment quant on apprend que la rencontre préparatoire de Rabat sous la co-présidence maroco-italienne et avec le soutien de la Fondation internationale ibéro-américaine de l’administration des politiques publiques (FIIAPP), était habilitée à se pencher sur le seul volet des flux migratoires, laissant la problématique du développement à une autre réunion d’experts à Dakar ? Comme si les deux thématiques étaient distinctes ? Oui, le dialogue de sourds semble se perpétuer.
Source : Gazette du Maroc - Benhamed Mohammadi
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