Non à l’islam-prétexte, par Dounia Bouzar

21 mars 2003 - 10h18 - Monde - Ecrit par :

GEORGE Bush n’est pas le seul à scinder le monde en deux et à s’aligner sur des concepts de clivage de civilisation. L’idée selon laquelle l’islam est porteur de valeurs contraires à la République est encore très courante. Seule son éradication pourrait sauver les jeunes filles qui habitent les banlieues et sont soumises aux mauvais traitements des garçons.

Il n’y a qu’à suivre les débats organisés par SOS-Racisme autour du mouvement Ni ####s ni soumises pour s’en convaincre.

Bien sûr, rien n’est explicitement dit.

On prétend aborder les problèmes - car problèmes, effectivement, il y a - sous tous les angles : sociaux, économiques, culturels et... religieux. Mais, curieusement, lorsque le mouvement se déplace de ville en ville, les thèmes (choisis par les "maisons des potes" ) tournent presque tous autour de "laïcité et religion" - à traduire par "laïcité et islam" : ici on invite des Maghrébines du Maroc ou d’Algérie ; là on fait témoigner une exilée d’Arabie saoudite ; ailleurs on organise un mariage mixte...

Cette ethnicisation des phénomènes sociaux est bien pratique, mais surtout très grave. Aborder la question sous cet angle renvoie les jeunes à leur condition d’étrangers, comme si les banlieues faisaient partie du Maghreb. Cela revient à lier les analyses concernant la situation des filles issues des quartiers à ce qui se passe dans les pays d’origine. Cette approche fait fi des dizaines d’années d’installation des familles en France, qui ont abouti à la revendication des jeunes d’être Français, avec ou sans leur islam. Elle renvoie à des anciens clivages : "le Français", "l’étranger". Il leur a fallu des années pour dépasser leur statut d’immigré, comprendre qu’il n’était pas héréditaire et concilier l’idée que, même s’ils venaient de là-bas, ils pouvaient se construire ici.

Mais on fait surtout semblant d’oublier toute la politique menée sur ce point pendant des années. Pendant qu’on braque les projecteurs sur l’islam - les circonstances s’y prêtent depuis le 11 septembre 2001 ! - on fait l’impasse sur la ghettoïsation des populations en difficulté (plus de 60 % de chômage dans certains quartiers), les discriminations à l’emploi, au logement, etc. On ferme les yeux sur le fait que le jeune Brahim entend toute la journée sur les bancs de l’école qu’en France "on est tous égaux" et que lorsqu’il rentre chez lui, il ne croise que des Français basanés comme lui, qui habitent les immeubles les plus délabrés.

On tourne la page des "marches des beurs" des années 1980 qui demandaient déjà l’égalité à Mitterrand ! Tiens donc ! C’était il y a vingt ans !

Si certains garçons manipulent l’islam pour dominer, violenter, maltraiter, voire tuer, des filles, il serait peut-être temps de rendre public ce que dit vraiment l’islam et de promouvoir les mouvements réformistes, au lieu de laisser les médias réduire cette religion aux interprétations sexistes et archaïques élaborées en Arabie saoudite.

A force de traiter l’islam à partir des propos et des attitudes des manipulateurs, à force de le présenter à travers ceux qui le déforment, la société légitime le comportement de ceux qui cherchent un bon prétexte pour refuser l’égalité et la dignité aux femmes : puisque l’islam le dit...

Qui parle de toutes ces jeunes Françaises de confession musulmanes retournées à leurs sources religieuses pour se réapproprier leur religion en faisant fi des images toutes faites enfermantes ? Qui laisse s’exprimer celles qui dénoncent, au nom de l’islam, les injustices pratiquées au nom de l’islam ? Qui donne la parole à celles qui ne veulent plus être définies à partir de comportements préétablis, légitimés par un islam préfabriqué, modelé autour des besoins masculins ?

Etre moderne, c’est dire "je", ne pas laisser le clan décider pour soi et utiliser la raison pour remettre en question des traditions ancestrales. Il y a quantité de jeunes hommes et de jeunes femmes qui accomplissent cette réflexion un peu partout en France.

A force de travailler parallèlement sur les deux registres présentés jusqu’ici comme incompatibles - l’islam et la République laïque -, cette génération a élaboré une nouvelle réflexion tendant à intégrer la référence musulmane au sein du patrimoine français. En cela, ils interrogent notre modèle d’intégration et prouvent qu’il n’y a pas de choix à faire entre leur appartenance française et leur référence musulmane. En rattachant cette dernière à la société actuelle, ils remettent en cause des représentations et des modes de relations issus de la colonisation.

Au fond, la société est-elle vraiment prête à considérer que l’islam puisse aussi être moderne ? Accepte-t-elle vraiment que l’islam ne soit plus la religion " des étrangers" ? La première liberté d’une démocratie est celle donnée à l’individu de choisir ses références pour se construire librement.

Ce droit n’est pas donné aux femmes issues de l’immigration maghrébine et africaine. On continue de penser qu’elles ne peuvent "s’intégrer", "se moderniser",que si elles se défont de toutes leurs références d’origine : une espèce d’assignation à des places prédéfinies, faisant fi de tous les processus individuels très complexes que tout être humain met en place. On les ramène à une seule alternative : femme arabe-musulmane soumise ou femme athée dite occidentalisée. On part du principe qu’elles doivent choisir un modèle ou un autre.

Devant cette vision du monde bipolaire, certains musulmans présentent également leur modèle comme le seul possible, par opposition au premier, et chacun se rigidifie dans ses retranchements. La boucle est bouclée ! L’égalité des filles et des garçons est une valeur universelle et la loi doit s’appliquer à tous et à toutes de la même façon. Mais cessons d’y opposer l’islam. Au contraire, affirmons haut et fort que rien ne permet la maltraitance et l’inégalité.

Mais peut-être que la condition des femmes, au fond, n’est le souci de personne. Ces jeunes filles courageuses qui ont voulu prendre la parole pour vivre dignement sont-elles vraiment au centre des débats ? Ou s’agit-il d’enjeux politiques dans lesquels l’islam est pris en otage pour régler des comptes purement politiciens ?

La question est légitime. Cela fait longtemps que les musulmans ont bon dos. En les stigmatisant, on ne remet pas la société en cause. Il y a plusieurs façons de rendre une religion "opium du peuple" !

Dounia bouzar est chargée d’études au ministère de la justice.

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