Rachid, le parrain du Sud

7 janvier 2005 - 12h04 - Monde - Ecrit par :

Quinze ans pour se faire un nom. Quinze ans dont plus de cinq dans la clandestinité la plus noire. Puis le filon propice, son ticket pour la vie à plein tube. Dix ans de bons et loyaux services pour les réseaux maffieux du Sud de l’Italie, de Syracuse à Palerme en passant par Naples, Messina, Catania, Calabria et Brindisi. Un parrain de grande envergure qui batisse large en se faisant respecter par les barons de Sicile.

C’est dans le Nord de l’Italie entre l’Umbria et la Lombardie qu’il a passé le plus clair de ses années de clandestinité. “On l’appelait à l’époque Al Carbone parce qu’il avait la manie de faire feu de tout bois quand il dormait dans les hangars de la banlieue de Milan. Très sûr de lui et très malin, il pouvait manger à sa faim juste en baratinant les touristes à Milan près des tavernes au centre. Il se payait aussi le luxe d’aller de temps en temps au San Ciro pour voir jouer l’AC Milan. Il adorait Franco Baresi dans le temps puis c’est Maldini qui est devenu sa star préférée. Les jeunes d’aujourd’hui qui ont fait un petit coin ici à Milan ne peuvent pas se payer le luxe d’aller presque chaque week-end voir les Rossenirri taper dans la balle”. Pour ce pote de longue date qui continue d’écumer des jours sans luisance dans le brouillard de Lombardie, Rachid est un grand bonhomme qui a su tirer son épingle du jeu.

Cinq ans près de Milan

Il a su dribbler avec la vie, faire des tacles quand il le fallait et même provoquer de faux pénalties pour se faire justice lui- même. Il a appris ce qu’est un rebond et ce qu’est une pichenette. Il pouvait aussi faire preuve d’un bon timing pour toucher la balle au vol, tête plongeante parfois dans le vide malgré les pieds en avant et les accrochages de maillots. Rachid a aussi su comment faire pour que le marché des transferts d’un tourment à l’autre soit plus clément pour lui. Changement de quartiers, de villes, de régions, d’amis, de connaissances, d’ennemis pour ne jamais s’établir nulle part. “Sa devise est celle de tous les types venant des bidonvilles de Casablanca qui ont un peu fricoté avec la drogue, les sales coups et les trahisons. “Pas confiance” tatoué sur le bras, était son credo. Et il était capable de t’oublier au lendemain d’une nuit bien arrosée entre amis et souvenirs du pays. C’était une espèce de fauve qui pouvait sauter à n’importe quel moment sur sa proie fut- ce même son ami le plus proche. Mais il pouvait aussi faire preuve de plus de loyauté quand on restait réglo avec lui”. Rachid débarque à Milan en 1989 et se fait une petite vie dans la banlieue loin du centre et de la police. Il vivotera de la sorte comme un cafard pendant plus d’un an avant de trouver le moyen de se faufiler en ville pour des petites combines avec d’autres individus déjà en place dans la capitale lombarde. “On vivait dans une vieille usine désaffectée à la sortie de la ville. Un coin pour immigrés de toutes les nationalités. La police venait voir et nous laissait tranquilles. Tant qu’on ne volait pas et qu’on ne faisait pas de vagues, la mer était calme pour nous. Rachid avait trouvé le moyen de trafiquer déjà dans les cigarettes. Il avait un type en ville qui le fournissait de mauvaises clopes venues des pays de l’Est qu’il fourguait aux Marocains et à tous les autres Africains qui étaient là entre deux tentatives d’installation en ville. Il se faisait son pactole et de temps à autre, il disparaissait pendant une semaine ou deux. A son retour, il était flambant neuf comme un Euro poli. Il faut savoir que Rachid avait de la classe dèjà au bidonville à Casa où il aimait la sappe et les filles. Ce n’était pas nouveau pour lui tout cela, et je me souviens que c’était l’une des raisons de son voyage en Italie. Il voulait s’habiller comme les Italiens et se faire toutes les brunes de Rome.” Le petit parrain du hangar, Rachid, multiplie les coups comme ceux des cigarettes périmées venues de pays comme la Bulgarie et la Macédoine. Il prend de l’assurance et commence à viser plus haut. Il s’habillait presque comme les Milanais et avait déjà une petite Nadia d’origine roumaine qui avait succombé à son charme des bidonvilles. Il avait de la tchatche et n’était pas dénué de beaux traits. “Il se la jouait très “bogoss” et pensait pouvoir trouver une belle Italienne riche et de bonne famille pour le tirer vers le haut. Il a quitté Milan à cause de cela. Il n’a jamais pu faire tomber dans ses filets que des looseuses comme lui, comme nous tous. Des filles sympathiques qui voulaient un amour et un dos solide pour supporter le manque du pays, la solitude et tout le reste. Lui voulait un ascenseur vers la cîme ; il l’aura tenté mais il s’est cassé la figure plus d’une fois.” Pour ce vieil ami du pays qui a assisté aux premières années de Rachid, le souvenir d’un homme décidé à y ariver est toujours une chose qui a marqué son esprit. Il pouvait supporter la vie et ses avatars, le manque, le froid, la faim mais ne pouvait pas se faire à l’idée que le passage italien pourrait être un réel fiasco. Rachid rencontre en 1991 un autre Marocain venu de Hay Mohammadi qui lui avait filé des tuyaux pour se faire plus de lires. Ils ont commencé à fourguer du haschich en petites quantités avec toujours pour point de chute le hangar à la périphérie de Milan. Au bout de quelques mois de grand labeur et de discrétion, Rachid avait déjà une voiture achetée dans un marché clandestin très connu de tous les voleurs de machines en Lombardie. Une bagatelle de rien du tout et voilà que Rachid pouvait enfiler son costard trois pièces et afficher sa cravate dernier cri avec le bras dépassant de la portière comme une star de la Rai. La police n’y avait encore vu que du feu et le petit loubard des bidonvilles de Casablanca se voyait déjà comme ses vedettes milanaises de l’AC qu’il allait voir à l’entraînement au Melanetto. Grosse caisse, belle sappe et nanas à la pelle. C’était encore les années d’illusion. Il se voyait déjà retournant à Casablanca, débarquant devant la baraque défoncée de “Cariane nemra zouj” pour déballer tous les biens gagnés à la sueur de tout le corps. Il avait des rêves et très vite l’entente avec l’autre Marocain du haschich tourne au vinaigre.

Quand la police s’en mêle...

“Il était plus intelligent que le fournisseur marocain pouvait imaginer. Il avait remonté la filière et s’était lui-même présenté pour dealer directement avec celui qui acheminait l’herbe du Maroc. Il ne voulait plus trimer pour des noisettes. L’autre l’avait appris et le coup avait pris feu.“ Le type qui avait débauché Rachid le vend aux flics qui le coincent et Rachid en avait pour au moins huit mois de prison. Il ne les fera pas et arrivera à s’en tirer sans une seule journée de prison. Comment, on ne le saura jamais, mais il est certain qu’un arrangement a été conclu pour qu’il puisse repartir dans son hangar.
Avait-il vendu d’autres dealers ? Avait-il fait le mouchard ? Personne ne peut le savoir et parmi ses vieilles connaissances, certains pensent qu’il a fait le con. Toujours est- il que Rachid quitte le commissariat et ne reviendra plus jamais au hangar. Il conduira directement vers le sud en faisant une escale à Naples pour voir un certain “type” qui lui assurera la vie pendant quelques mois avant de l’envoyer à Brindisi voir comment gérer des affaires bien jûteuses. Le passage napolitain était une aubaine pour un bonhomme qui avait littéralement fui Milan pour se refaire une santé morale et pécuniaire. Milan lui manquera terriblement puisque c’en était fini des matches au San Ciro. Ni Baresi, ni Costacurta, ni Donadoni ni Tassoti ni Massaro ni les Tifosis rosoonerri fous du ballon rond et de leurs dieux roulant en décapotables à coups de milliards de lires.
Il trouvera un soupçon de réconfort footbalistique à Naples mais l’époque avait livré ses choix. Partis les Maradona, les Careca et les Alemao, il restait Di Napoli mais il était sur le déclin. Triste transition entre le Nord et la route vers le grand Sud. A Naples, il est hébergé par un ami marocain dont on n’a nulle trace aujourd’hui. Il fera le nécessaire et ses voyages vers Brindisi et son port fameux se font plus nombreux. Il se fera aussi de l’argent et change de voiture.
Il ne trouvera pas encore sa belle brune de la haute pour le faire hisser dans un monte-charge vers la vie telle qu’il la rêvait. Il saura attendre et se fera tout petit pour que le jour du grand bonheur vienne taper à sa porte. Pas d’amis, pas de confiance. Il faut trimer, assumer, attendre, observer les malins qui se font la peau de tout en or et roulent en grosses caisses, mangent dans les meilleurs restos et se font respecter par tous. Il fallait surtout attendre son tour quand son parrain lui ouvre la porte de sortie avec un ticket vers plus de sous et un pas de plus sur l’escalier social. Rachid saura négocier ce virage en attendant le grand voyage vers Palerme.

Abdelhak NAJIB - La Gazette du Maroc

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