Drame dans la commune d’Ait Amira. Un jeune homme a donné un coup de couteau mortel à son père après que ce dernier a refusé de lui donner de l’argent pour acheter un paquet de cigarettes.
La tolérance et l’hospitalité, deux valeurs considérées comme des piliers de l’identité nationale néerlandaise, avaient failli être à jamais enterrées au lendemain du meurtre du réalisateur Théo Van Gogh. L’implication d’un jeune néerlandais d’origine marocaine dans cette affaire avait participé à la création d’un climat invivable. Les Marocains devenaient la cible de manifestations raciales violentes.
Quatre mois après l’assassinat du cinéaste, la rue néerlandaise semble, en apparence, avoir oublié les tragiques incidents qui avaient endeuillé les Pays Bas. La haine raciale et le rejet de l’Autre feraient-ils, pour autant, partie du passé ? Rien n’est moins sûr, même si à Amsterdam comme à Rotterdam, la communauté marocaine est plutôt préoccupée par des problèmes d’enseignement de l’arabe dans les écoles, de formation des imams et de lutte contre le chômage « Nous avons passé de sales moments après le meurtre de Van Gogh. Les Néerlandais nous regardaient avec suspicion.
Il y a eu des mosquées et des écoles brûlées, des graffitis raciaux sur les murs de nos écoles. C’était très pénible. Mais nous avons démontré que nous n’avions rien à voir avec les actes terroristes… », explique Nabil, un jeune employé de la municipalité de Rotterdam. C’est le même écho qui revient dans toutes les conversations. Rencontrés le soir du vernissage de l’exposition « Maroc : Art et design 2005 », les jeunes Marocains, nés pour la plupart en Hollande, ont exprimé ce sentiment d’appartenance à une nation qui a toujours privilégié la cohabitation des communautés et des religions. C’est ce même discours qui revient dans les conversations des Marocains de la première génération.
La réunion tenue avec la ministre chargée de la communauté marocaine à l’étranger, dans l’église gothique Nieuwe Kerk d’Amsterdam qui abritait une importante exposition consacrée au patrimoine marocain, en a également donné un avant goût. Tous ceux qui s’étaient exprimés ce soir-là avaient surtout conscience que les Pays Bas étaient un choix assumé, le pays qu’ils ont adopté en connaissance de cause, mais ils déploraient aussi toutes les restrictions apportées à l’exercice du culte musulman et à l’enseignement de la langue arabe dans les écoles et les lycées néerlandais. « Nous voulons que nos enfants continuent à apprendre l’arabe à l’école », insistent plusieurs intervenants.
C’est aussi l’idée développée par une jeune fille qui vient juste de terminer le lycée et qui dénonce cette situation. « L’apprentissage de la langue arabe est essentiel pour nous. Il nous permet de ne pas être coupé de nos racines. Mais l’interdiction de son enseignement, qui est intervenu au cours de cette rentrée scolaire, est injuste… ».
Mais aussi paradoxal que cela puisse être, les classes qui dispensaient un enseignement en arabe étaient boudées par la communauté marocaine. Pendant longtemps, les effectifs des élèves connaissaient une baisse notable. Et ce n’est que vers la fin des années 90 que le souci de connaître et de maîtriser sa langue maternelle s’est fait sentir. « A la fin des années 70, le gouvernement marocain avait commencé à envoyer des enseignants en Hollande. Les Pays Bas ont décidé de se charger du recrutement de ces instituteurs appelés à former des enfants nés en Hollande, et étant, de ce fait, des citoyens de ce pays.
Mais même alors, les gens boudaient ces cours et préféraient l’allemand comme deuxième ou troisième langue. Mais maintenant que le gouvernement a décidé de supprimer, purement et simplement, cette matière, la communauté réagit violemment », m’explique Mustapha Chbab, président d’une association à Rotterdam.
Rachid, un employé du consulat marocain à Rotterdam donne un autre éclairage. « Les Néerlandais pensent que le fait que les Marocains apprennent leur langue maternelle est un facteur qui empêche leur intégration dans la société hollandaise », me dit-il. Cette décision qui relève des prérogatives du gouvernement néerlandais ne peut en aucun être contestée par le Maroc.
Dans la salle de projection du musée et qui accueillait, quelques minutes plus tôt, un documentaire consacré au patrimoine et à l’art de vivre marocains, l’ensemble de l’assistance semblait avoir les mêmes préoccupations : résoudre leurs problèmes administratifs pendant les vacances d’été et tout au long de leur voyage au Maroc, faciliter les opérations de dédouanement et d’assurances, ne plus se faire traiter comme des étrangers, mais en tant que Marocains à part entière dans leur pays d’origine, mieux appliquer le code de la famille en matière de mariage et de divorce… En somme, des problèmes ordinaires que toutes les communautés marocaines installées à l’étranger peuvent rencontrer, un jour ou l’autre.
La réalité, cependant, cache de nombreuses dissensions. La communauté marocaine est-elle aussi soudée que la Turque ou la surinamienne qui constitue la première communauté étrangère installée au Pays Bas ? « Cela dépend, explique Mohamed, étudiant en sociologie à l’Université. Même si notre communauté est, de l’avis de nombreux observateurs de la société néerlandaise, mal organisée, c’est elle qui entretient le plus de liens avec son pays d’origine. Mais il faut aussi comprendre les Néerlandais. Ils découvrent que l’image de leur pays qui a été fondé sur des valeurs comme la liberté d’expression, la cohabitation pacifique entre tous, a été sérieusement écornée. Van Gogh, le cinéaste assassiné, incarnait, il faut dire, par ses outrances même, la passion cultivée par tous ses compatriotes pour la liberté d’expression ».
Une terre de tolérance
La société multiculturelle que les Néerlandais avaient bâtie et qui garantissait à chacun la possibilité d’exprimer sa culture, sa religion et sa langue maternelle, tout en offrant des chances égales pour tous, a buté sur la dure réalité. « Les Marocains, en grande majorité sont toujours en bas de l’échelle sociale, éducative et économique de la société néerlandaise », insiste le jeune homme. Les chiffres officiels révèlent que le plus fort taux de chômage se retrouve parmi les Marocains, qu’un taux élevé d’échec scolaire se rencontre chez les jeunes d’origine marocaine et que la petite délinquance y a trouvé de fervents adeptes.
On relève même que les Marocains habitent dans les quartiers les plus vétustes des villes néerlandaises et que leur logement en dit long sur leurs conditions socioéconomiques. Mais à côté de cela, il existe des Marocains qui ont réussi, d’autres qui ont pu se faire élire députés au parlement néerlandais… « Il n’y avait pas de racisme dans ce pays ni de discrimination institutionnelle quand j’y suis arrivé il y a quinze ans », écrivait, pour sa part Fouad Laroui, au lendemain de l’assassinat de Van Gogh. L’écrivain qui a choisi de s’établir à Amsterdam avoue y avoir trouvé un paradis et un rêve.
« Ici, les gens ont l’habitude de coopérer, de se tolérer, de ne pas s’excommunier les uns les autres. C’est cet esprit que chacun cherche à retrouver, y compris dans cette question de l’islam et des immigrés musulmans », insistent mes interlocuteurs en référence à cette décision du gouvernement néerlandais de « nationaliser l’Islam, de contrôler la formation des imams et de leur imposer la langue néerlandaise pour les prêches ».
Le débat qui entoure cette question n’est pas prêt de se terminer. Confier la mission d’encadrement religieux à des oulémas compétents et adopter une politique de proximité dans le domaine religieux, comme l’a souligné à Rotterdam Nezha Chekrouni, ministre chargée de la communauté marocaine à l’étranger, semble être la voie de la raison.
Les communautés qui ont choisi de vivre aux Pays Bas sauront-ils trouver un terrain d’entente pour que la tolérance et la cohabitation redeviennent les valeurs de la vie néerlandaise ? Seul l’avenir nous le dira.
Khadija Alaoui - Le Matin
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