Le Roi et ses armes de construction massive

13 septembre 2006 - 14h23 - Maroc - Ecrit par : Bladi.net

Combien de fois, le Roi visite, en inspection impromptue, un projet qu’il a lui-même lancé avant l’inauguration officielle de celui-ci ? La question en ce 7ème anniversaire de l’avènement de Mohammed VI, est plus que jamais d’actualité et divise les opérateurs sectoriels qui ont eu un jour affaire à lui. L’ensemble converge autour d’une moyenne de deux fois, mais s’effectuant de manière tout à fait inattendue.

A côté du mystère qui entoure les inspections royales, il est une autre énigme, plus complexe, qui ne laisse pas, elle non plus, d’intriguer les Marocains et les observateurs étrangers : la mobilité du Roi - certains parlent d’ubiquité - et sa popularité qui se maintiennent au rythme du premier jour et qui séduisent à l’étranger sept années après son intronisation. C’est une exception en Europe, où un Roi qui règne et gouverne se saurait prétendre à un si long "état de grâce".
Aun moment où, d’Alger à Ryad, les régimes des pays arabes s’enfoncent dans l’impopularité, la monarchie marocaine affiche des couleurs malgré les difficultés de toutes sortes. Certains pays, s’adossant à la rente des hydrocarbures et disposant de matelas exceptionnellement garnis, ces tempsci, en milliards de dollars, voudraient bien percer les secrets de l’ADN de la nouvelle monarchie marocaine. Car celle-ci va bien. Si bien qu’elle fait des jaloux. Chez le voisinage proche et lointain. Avec une stratégie axée sur la lutte permanente contre la pauvreté et une croissance qui frôle les 8% grâce - pour une fois – davantage à la force des projets qu’à l’apport de la pluviométrie, l’économie galope. Le chômage baisse comme eau dans la baignoire. La consommation des ménages s’améliore et ne donne pas de signes d’essoufflement.

Pas plus que l’activité dans le bâtiment, boostée par la ruée sur l’habitat social qui bénéficie de taux d’intérêt ayant atteint des niveaux historiquement bas. Il y a aussi l’arrivée massive des Européens et des Arabes riches en quête de résidence secondaire et pour lesquels le royaume construit carrément de nouvelles villes comme Tamansort aux environs de Marrakech. Fini le temps de l’émigration à sens unique. Le Maroc est la première destination préférée des Français cherchant une résidence hors Hexagone. On retrouve réunies à Marrakech, au cours de certaines périodes, plus de vedettes françaises qu’à Paris.

La ruée des Européens

Le succès est contagieux. Portés par ce climat de confiance, les entreprises marocaines se mettent à niveau tous azimuts. Résultat : l’UIT (Union internationale des télécommunications) vient de proclamer le Maroc leader du continent africain en télécommunications. Loin devant l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie. Après avoir attiré les grands groupes euro-américains, le Maroc se lance dans une politique d’accueil aux investisseurs qui va de zones industrielles à la périphérie des villes à l’offshoring à l’intérieur des centres urbains. Sans compter des zones entières (le Nord) qui ont été désenclavées par le truchement de lourds travaux infrastructurels (rocade méditerranéenne, autoroutes, réseau ferroviaire, aéroports et ports) et qui connaissent un déferlement des investisseurs étrangers depuis le début de l’année 2006, en particulier dans le domaine touristique. En effet, la nouvelle route côtière a révélé des sites touristiques du rang d’une côte d’Azur tout à fait vierge. D’où la course à l’acquisition des terrains dans la région qui atteignent actuellement des chiffres records.

Le Roi qui s’est délesté des pesanteurs de l’archaïsme

C’est la fracture sociale cependant qui mobilise l’essentiel de l’engagement royal. Les réalisations dans ce domaine sont suivies au jour le jour par le Souverain. Des localités aux confins du Rif occidental se voient dotées d’établissements disposant de matériels à la pointe des nouvelles technologies. Qui l’eût cru dans des zones encore hier inaccessibles et qui sont équipées aujourd’hui, en plus des conduites d’eau et d’électricité, de systèmes appropriés d’assainissement liquide ?
Comment s’étonner dans ces conditions que le jeune Roi, qui visite fréquemment cette région à la réputation frondeuse et rebelle et se rend de Chaouen à El Hoceima, hiver comme printemps ou été, n’ait pas caché son désir de faire du nord-où l’ancienne capitale khalifienne, Tétouan, fait désormais partie des villes impériales - la vitrine de la nouvelle ère face à l’Europe ? Il est vrai qu’à première vue le tempérament du nouveau Roi n’est pas sans présenter des analogies avec celui de son père. Comme ce dernier qui a mis de la détermination et de la hargne à récupérer les provinces du sud, celui-ci met autant de pugnacité à "récupérer" le nord qui était jusqu’ici tourné vers l’ancienne puissance tutrice et échangeant presque exclusivement avec ses deux "présides" en terre marocaine. Mohammed VI, comme Hassan II, fut un Roi soumis aux épreuves en début de règne. C’est un Souverain, lui aussi, qu’on n’attendait pas. Apparemment timide et peu disert, il est aux côtés de son père, sans charges opérationnelles. Il écoute, apprend, attend. Il accomplit des missions protocolaires et intervient à la tribune de certaines conférences au nom de son père. Jusqu’au jour où il accéda au trône, en juillet 1999, à la disparition de celui-ci. Il prend vite en mains l’institution monarchique qu’il secoue pour la délester de certaines pesanteurs (harems et autres archaïsmes). Il verrouille la proximité en érigeant face aux affairistes des barrières infranchissables. Certains habitués à faire bon commerce en utilisant le nom de la famille royale bafouillent et cafouillent depuis leur éjection. La vieille garde du cabinet royal fut à son tour remerciée et mise à la retraite sans bruit et en toute discrétion. La cote du jeune Souverain est déjà au firmament lorsqu’il hérite d’une gouvernance en amélioration constante depuis l’avènement d’un gouvernement d’alternance dite consensuelle. L’équipe fut pratiquement reconduite, mais avec de nouvelles têtes technocratiques et labellisées partisanes, à l’issue des législatives de 2002. Dirigé par un homme de confiance, Driss Jettou, cet exécutif, quatre ans plus tard, est fort d’un succès économique incontestable.

Un Roi affranchi du Makhzen

Il semble assuré, à moins d’une surprise électorale, de garder l’appareil pour un nouveau mandat de cinq ans. Pourtant on prédisait à ce gouvernement deux ans au maximum. Mais c’était sans compter avec l’action complémentaire du Roi, véritable chef du gouvernement, qui insuffle, oriente et agit.

Avec l’annonce, d’un plan royal pour conférer aux provinces du Sahara une autonomie dans le cadre de la souveraineté monarchique, la légende de Mohammed VI a pris une nouvelle dimension. A l’exception de l’Algérie, tous les acteurs de cette affaire trouvent géniale l’initiative du Roi. Mais est-ce seulement grâce à son statut de Roi, qui gouverne et règne, que Mohammed VI manifeste tant de hardiesses ? C’est l’explication un peu courte d’analystes qui ne comprennent pas cette nouvelle façon de faire de la politique. Car le jeune Souverain n’a pas arrêté de surprendre en bousculant les habitudes d’une société conservatrice toujours attachée à une vision de sa propre histoire. Mohammed VI, c’est l’homme des ruptures. Celui qui tient les promesses, contenues dans ses discours. Ces derniers prononcés à l’occasion de commémorations nationales, nul ne croyait en l’aboutissement de leurs contenus. C’est le cas de sa bataille pour l’émancipation de la femme et l’égalité de ses droits, par rapport à l’homme, au sein de la cellule familiale.

Ce qui s’est traduit par un code de la famille révolutionnaire. C’est aussi le cas du fonctionnement des institutions - gouvernement, parlement… - qui oeuvrent, sans interférences de l’extérieur, en parfaite conformité avec les prérogatives que leur confère la loi. Fini le temps des institutions sous influence. De quoi alarmer les adeptes du "tout Makhzen" qui ne voient que "comploteurs" en dehors du giron makhzénien. En ceci, Mohammed VI s’est révélé un Roi affranchi du Makhzen. Du coup, le monarque a progressivement atténué la nature souvent asservissante que le Palais a longtemps entretenue avec les représentants du pouvoir central et ceux des populations dans diverses régions. Pragmatique et intuitif, on ne lui connaît pas une couleur politique préférée. Ses arbitrages en disent long sur le caractère pratique de ses choix. Il est par contre habité par la lutte contre la pauvreté et la recherche de moyens efficaces pour permettre au plus grand nombre d’accéder au bien-être social. D’où l’INDH - initiative nationale pour le développement humain - que le Roi utilise comme une arme de construction massive.

Abdellah El Amrani - Lobservateur.ma

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Sujets associés : Politique économique

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