Sidi Moumen, l’ennui , la misère et les élections

14 septembre 2003 - 10h52 - Maroc - Ecrit par :

Quatre mois après les attentats meurtriers de Casablanca, des élections communales étaient organisées vendredi au Maroc. La campagne a peu intéressé une population encore sous le choc.

Le taux de participation et la mobilisation de l’électorat islamiste sont les deux principaux enjeux de cette consultation, où quelque 14,6 millions d’électeurs sont appelés à se prononcer.
La présence politique des islamistes est réduite à un seul parti parmi les 26 formations en présence. Il s’agit du parti Justice et Développement, qui a choisi un profil bas après avoir été accusé de favoriser la montée de l’intégrisme.
Le PJD, premier parti d’opposition, a ainsi « volontairement » réduit sa participation au scrutin, ses candidats n’étant présents que dans moins de 20 % des communes.
Les résultats ne devraient pas être publiés avant samedi.

Ils sont réunis devant une échoppe, rue Hussein Soussi. Cinq jeunes du quartier Sidi Moumen, un bidonville qui a poussé à la lisière de Casablanca. Vous êtes venu voir à quoi l’on ressemblait ? On vous fait peur ? On a des têtes de Ben Laden ?, plaisante l’un d’entre eux, rasé de près et vêtu d’un large jogging.

Les rires fusent quand un autre lance « Allah’Akbar » - Dieu est grand. Connaissaient-ils les 12 kamikazes, tous natifs de Sidi Moumen, auteurs des attentats du 16 mai dernier à Casablanca (45 morts) ? Ils sont morts et que Dieu le miséricordieux les accueille, élude Abdellah. Ce qu’ils ont fait est mal mais on a raconté trop de choses fausses à leur sujet, explique-t-il. C’étaient des paumés comme beaucoup de jeunes d’ici. Ils ne savaient même pas ce que ce que ça voulait dire la « Salafiya Jihadiya » - NDLR : tradition combattante. Ils ont été recrutés par des types qui ont fait l’Afghanistan. Ils sont allés prier pendant trois mois à la mosquée clandestine de Si Larbi et puis un jour ils se sont fait exploser comme les kamikazes palestiniens.

Un moment de silence. Les jeunes observent les alentours pour repérer toute oreille indiscrète. Plus de mille personnes ont été appréhendées après le 16 mai. A Sidi Moumen, les forces de l’ordre ont ratissé large. Quand ils venaient arrêter une personne, ils raflaient les trente autres autour, avance Anouar. La mosquée Si Larbi bâtie avec du zinc et peinte à la chaux a dû fermer ses portes comme bon nombre de lieux du culte devenus QG des islamistes radicaux.

A moins d’une demi-heure du centre de Casablanca et de ses devantures luxueuses, l’ennui, le désarroi et la misère suintent à Sidi Moumen. Certains des kamikazes, dit-on, n’étaient jamais montés en ville avant le 16 mai. Ils ont mené une guerre contre la société qui les a rejetés, rapporte l’universitaire Mohamed Tozy, un spécialiste de l’Islam politique. On leur a dit : là-bas, des juifs riches et des infidèles s’enivrent dans des lieux de débauche. Leurs pulsions de mort entretenues par des images de télévision ont fait le reste.

Pour le Maroc, le choc a été aussi rude que le traumatisme du 11 septembre pour les Etats-Unis. La pénétration intégriste est réelle et il existe des relais locaux même si les jeunes de Sidi Moumen semblent avoir été manipulés par des organisations internationales de type Al-Qaïda. Dans ce contexte, le scrutin communal de ce vendredi ne passionne pas les foules. A Sidi Moumen, beaucoup ignorent que le pays est appelé à se rendre aux urnes On n’a jamais voté et on ne votera pas encore cette fois-ci. On n’est pas concerné, ça ne changera rien, résume Abdellah.

L’enjeu est nul et il n’y a aucun suspense, confirme Ahmed Benchemsi, directeur du magazine « Tel Quel ». Paradoxalement, la responsabilité en incombe surtout aux islamistes du PJD (le Parti de la justice et du développement) qui ne feront pas le raz de marée tant redouté. Le PJD a en effet décidé de jouer profil bas. Troisième force politique du pays au lendemain des législatives de septembre 2002, il ne présente que 4.000 candidats - 3,5 % du nombre total - contre 12.000 pour les socialistes de l’USFP et 13.000 pour les conservateurs de l’Istiqlal, ses deux principaux adversaires. Un accord aurait été passé avec le ministère de l’Intérieur : une autolimitation du nombre de candidats contre une levée de toute menace d’interdiction. Selon la police judiciaire, certains membres du PJD sont impliqués dans la quintuple explosion du 16 mai. Le PJD rétorque qu’il est un parti patriotique qui ne souhaite pas ralentir le développement démocratique du pays et que le pouvoir lui a simplement demandé de ne pas se présenter en masse dans les villes pour ne pas briguer la mairie et ne pas chasser les touristes. Nuances donc.

Il reste, résume Mohamed Tozy, que depuis le 16 mai le PJD tente de restaurer son image de marque. Dans son programme, les références à l’Islam sont moins pesantes et ont nettement diminué. Ainsi s’éloigne donc une dérive à l’algérienne, le PJD ne veut pas devenir le FIS local (Front islamique du salut qui en 1992 a emporté le premier tour des élections législatives en Algérie et qui par la suite a été dissous NDLR).

Informés de ces tractations pouvoir-PJD, Abdellah et ses copains sont à peine étonnés. Eux parlent de « magouilles » : Le PJD vient de montrer qu’il est comme les autres partis, pas étonnant alors que des types aillent se faire sauter en ville.·

lesoir.be

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