De nombreux artistes marocains dénoncent l’avidité des organisateurs de festivals à s’accaparer du cachet du chanteur en échange de l’inscription de son nom à l’un des évènements d’été. Ils appellent le ministère de la Culture à intervenir.
“Dans un monde où la modernité se met souvent en contradiction avec la tradition, le dialogue s’avère difficile entre une jeunesse cherchant ses racines et un patrimoine culturel ancestral disparaissant à petit feu. Un besoin énorme se ressent, une nécessité primordiale au niveau du bon développement de nos jeunes générations, une réconciliation avec nos traditions et nos mœurs semblent évidentes“.
Ces deux phrases ne sont pas extraites d’un traité pour l’entente des peuples, mais du communiqué d’un festival où des jeunes sont invités à danser de la musique électronique toute la nuit. Quand on avance plus loin dans la lecture, on découvre d’autres merveilles. À tel point que l’on est surpris que les organisateurs de “Sphère 2004“ n’aient pas songé à énumérer d’autres problèmes de la jeunesse marocaine comme le chômage. Ils ont toutefois pallié cette lacune par une phrase d’une grande sagesse : “Saches d’où tu viens, avant de penser à où tu dois aller“. Cette phrase, censée être attribuée à un éminent penseur, coiffe l’ensemble du communiqué.
Elle ressemble à du Socrate avec un zest de Gauguin. Et tout ça pour parler d’une méga rave ! En fait, un discours vend actuellement très bien les festivals. On l’a mis à toutes les sauces sans qu’il ait tourné une seule fois. On nous en gave à toutes les circonstances. Il est servi indifféremment, en arabe ou en français, sur le même ton cérémonieux.
C’est dans ce ragoût que les organisateurs de la première édition de “Sphères 2004“ ont trouvé le cortège verbal qui accompagne leur manifestation. Ils n’ont fait que sacrifier à une pratique courante. “Sphères 2004“ est pourtant un événement clair et n’a pas besoin de citations qui en imposent pour être compris. Cet événement musical a pour fin de rassembler de jeunes marocains et autres autour de soirées qui combinent musiques électroniques et musiques traditionnelles. Le concept de la manifestation est intéressant, dans la mesure où il double l’état second auquel atteignent les fans de la techno avec les rythmes qui entraînent naturellement à la transe dans la musique traditionnelle marocaine. Des fusions entre maâlem Abdellatif El Mekhzoumi et l’un des nombreux DJ invités de Russie, de Suisse ou de Suède promettent de belles trouvailles musicales. Concrètement, un bivouac sera dressé, à l’entrée de Marrakech en venant de Casablanca, dans une belle région appelée Jbilates. Le campement se compose de 40 tentes nomades et 15 tentes caïdales. Selon les organisateurs, le budget s’élève à 750 000 DH, dont une grande partie provient de dons en nature. Ils affirment vouloir produire un autre type de musique que celle qui évolue dans les circuits commerciaux.
Les DJ invités de l’étranger acceptent à cet égard de se produire sans cachets, selon les organisateurs. Ils auront affaire à entre 2000 et 4000 festivaliers. Ce chiffre aurait pu être augmenté sans la barrière du prix. Le prix est franchement dissuasif pour une très large population de jeunes. Combien de jeunes peuvent payer la somme de 1000 DH pour pouvoir pénétrer dans l’enceinte du bivouac et assister aux quatre soirées ? Ce prix inscrit la manifestation dans les hautes sphères sélectes. Et si personne n’est en droit de reprocher à une entreprise privée de chercher à rentrer dans ses frais par la billetterie, il ne faut tout de même pas être dupe du discours qui escorte la manifestation.
Le droit d’entrée élimine d’emblée une bonne partie de la jeunesse marocaine – celle justement qui ne goûte pas toujours aux bienfaits du dialogue avec autrui. Les responsables de “Sphères 2004“ organisent toutefois une soirée gratuite à la place El Harti à Marrakech, et non pas au campement, pour consoler ceux qui n’auraient pas les moyens de danser à Jbilates. Quant à l’association Jbilates qui organise cet événement, on y dénombre un spécialiste de l’écosystème Mohamed Abdou Elouali et un transfuge du festival des musiques sacrées de Fès. Saâd Zniber a effectivement occupé le poste de directeur de cette prestigieuse manifestation en 2002.
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