A Evry, le maire contre le Franprix halal

9 décembre 2002 - 13h52 - France - Ecrit par :

Remettez-moi du porc et de l’alcool en rayon, et fissa ! C’est le ton d’un courrier adressé par Manuel Valls, député-maire socialiste d’Evry (Essonne), aux repreneurs d’un Franprix situé aux Pyramides, un quartier réputé difficile de sa ville. Les frères Djaiziri, qui ont racheté ce fond de commerce de la place Jules-Vallès en octobre, ont opté pour une boucherie halal et banni les alcools.

« Inacceptable, intolérable », s’emporte le maire qui fustige cette « approche communautariste » du métier de commerçant. « Je vous saurai gré de bien vouloir rétablir le fonctionnement normal de ce magasin se prévalant de l’enseigne Franprix ­ que j’ai également saisie du dossier ­ dans les plus brefs délais », intime Manuel Valls. Qui menace quasiment d’envoyer la troupe : « Dans le cas contraire, j’utiliserai, dans les prochains jours, tous les pouvoirs de police dont je dispose. » En réalité, le maire dispose essentiellement d’un pouvoir de nuisance, celui, par exemple, de multiplier les contrôles administratifs (sur le respect des normes d’hygiène et de sécurité notamment).

Au milieu de ses 700 m2 de rayonnages, Abdel Djaiziri se dit perplexe : « Quand nous avons repris ce commerce, il était déficitaire. Pour éviter les problèmes avec les jeunes, nous avons décidé de ne pas vendre d’alcool. » Le fournisseur, dit-il, a très bien compris ce positionnement. Quant à l’absence de jambons et rillettes, le commerçant explique : « Nous avons demandé une certification AVS (1) pour garantir que nos viandes sont halal. C’est incompatible avec la vente de porc dans le magasin. » Et demande : « Mais c’est contraire à la loi ? » Assurément, non. Mêler ses idées religieuses au commerce peut certes nuire au tiroir-caisse. Mais le code pénal ne prévoit pas la vente obligatoire de vin et de lardons. Seul Franprix, par contrat, peut contraindre son franchisé à respecter certaines normes.

« Spécialisation ». Manuel Valls compte beaucoup sur ce pouvoir du franchiseur. Il juge que cette enseigne se doit d’être géné raliste. « Si même le Franprix se spécialise, c’est le signe qu’il vaut mieux que tous ceux qui ne mangent pas halal quittent le quartier, analyse-t-il. Si on ne fait rien, si on accepte un échelon supplémentaire dans la spécialisation, le quartier va devenir un ghetto. » Marnia Mohandi, avocate des deux frères, réplique : « Ce n’est quand même pas un magasin d’Etat ! » Et contrairement à ce que leur nom pourrait laisser supposer, les Pyramides ne sont pas érigées au milieu d’un désert commercial, insiste-t-elle, listant une dizaine de commerces alimentaires des environs. Sans compter le marché bihebdomadaire sur la place Vallès. Elle s’étonne aussi du ton du courrier où les frères Djaiziri sont accusés de vouloir la mort de deux autres commerces spécialisés de la même place ­ une boucherie halal et une boutique africaine ­ et de « contribuer à la paupérisation du quartier ».

Les commerçants voisins se défendent d’être à l’origine de la poussée d’urticaire du maire. Comme Allam, le boucher marocain, quasiment mitoyen du Franprix : « Pour nous, ça ne change rien. Les clients restent pour le service, pour l’ambiance. » La maison fait crédit. « On sert la soupe gratuite pendant le ramadan », ajoute Allam. Mais il trouve que Franprix aurait mieux fait « de monter une poissonnerie, ce qui manque dans le quartier ». Une cliente, Kadidja, glisse : « C’est pas un bon musulman de s’installer comme ça à 50 mètres du concurrent. »

« C’est pas normal. » Quant aux clients du Franprix, pressés de rentrer préparer le dîner, ils râlent. « C’est une épicerie de dépannage. C’est vrai que le Carrefour est à 10 minutes, mais on n’a pas envie d’y aller en rentrant du boulot », dit Chantal. « C’est pas normal qu’il ne fasse plus de boisson », lance Armand, avant de hisser un sac de 50 kg de riz dans sa voiture. Une dame de 80 ans extirpe du jambon de dinde et de poulet de son cabas : « On fait avec ce qu’il y a. » Plus militant, Badiane M’Baye, une des figures du quartier et musulman lui-même : « La France est une république. Le communautarisme n’est pas de mise. Je suis contre ce sectarisme. » La direction de Franprix va rediscuter avec son franchisé.

(1) « A votre service », l’un des organismes habilités à la certification.

Par Jacqueline COIGNARD
lundi 09 décembre 2002
© Libération

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : France - Religion - Consommation - Alimentation - Halal

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : la mode du mariage virtuel

Le mariage en ligne ou « mariage virtuel » est devenu une pratique en vogue au Maroc. Le phénomène suscite l’inquiétude des spécialistes en psychologie sociale qui s’interrogent sur la nature de ces relations humaines sans communication directe, et...

Tatouage au henné : attention danger

La fin du Ramadan et la période de l’Aïd, pour les jeunes filles, une période propice pour mettre du henné sur les mains. Si certaines mères acceptent que leurs filles appliquent le henné, d’autres préfèrent se passer de cette pratique pour préserver...

Maroc : la date de l’Aïd Al Fitr connue

Considérant que le jeûne de Ramadan durera 29 jours cette année selon les calculs astronomiques, l’Aïd Al Fitr 2024 sera célébrée au Maroc le mercredi 10 avril.

La Nuit du destin ou laylat al qadr : la nuit sacrée qui dépasse mille mois

La nuit du destin est citée par le Coran comme étant meilleure que mille mois (83 ans et 4 mois). D’après le prophète Mohammed, cette nuit est l’une des nuits impaires des dix derniers jours du mois de Ramadan, soit celles du 21, 23, 25, 27 ou celle du...

Des olives marocaines dangereuses pour la santé saisies en France

Un grossiste de Seine-Saint-Denis est au cœur d’une affaire d’importation d’olives impropres à la consommation. Fin septembre, les douanes françaises ont saisi près de 30 tonnes d’olives en saumure en provenance du Maroc. Ces dernières contenaient un...

Maroc : les discours radicaux dans les mosquées inquiètent

La députée du parti Fédération de la Gauche démocratique, Fatima Tamni, a interpelé le ministre des Habous et des affaires islamiques, Ahmed Toufiq, au sujet de l’exploitation des tribunes des mosquées pour diffuser des discours radicaux contre les...

Maroc : vers la suppression de la TVA sur certains produits ?

Des députés de l’opposition parlementaire continuent d’appeler à l’exemption de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur tous les produits de base à forte consommation afin de soutenir le pouvoir d’achat des Marocains en cette période d’inflation.

Les cafés et restaurants menacés de poursuites judiciaires

Face au refus de nombreux propriétaires de cafés et restaurants de payer les droits d’auteur pour l’exploitation d’œuvres littéraires et artistiques, l’association professionnelle entend saisir la justice.

Sécurité des lieux de culte : la police marocaine dévoile des chiffres

Un total de 160 délits commis dans des lieux de culte, notamment les mosquées, les églises chrétiennes et les synagogues juives, ont été traités par la police marocaine au cours de l’année 2024, a indiqué dimanche le porte-parole de la Direction...

Maroc : attention à la pénurie de cash

À quelques jours de la célébration de l’Aïd al-Adha, bon nombre de Marocains redoutent une pénurie de liquidités dans les guichets automatiques bancaires (GAB).