Comment l’agriculture va devenir le premier secteur économique du pays

28 avril 2008 - 21h04 - Economie - Ecrit par : L.A

Surprise de taille ce mardi 22 avril ! Tous ceux - et ils sont nombreux - qui attendaient de la nouvelle stratégie agricole un simple schéma de reconversion des cultures et un gros plan d’investissement en machines et systèmes d’irrigation en auront été pour leurs frais. Le « Maroc vert », nom choisi pour la nouvelle stratégie agricole, étonne à plusieurs égards.

La formule originale tient en une phrase : « L’agriculture peut devenir le premier secteur économique du Maroc en gardant l’ensemble de ses filières, grâce à des mécanismes de mutualisation et à des modes de fonctionnement revus de fond en comble ».

Celui qui prend le temps d’analyser le schéma présenté, devant le Souverain, par le ministre de l’agriculture, Aziz Akhannouch, y verra une construction conceptuelle autour des traditionnels facteurs de production, tels que les avaient déjà décrits les économistes de l’école classique, à savoir la terre, le travail et le capital.

C’est aussi et surtout un retour aux sources dans le sens où, cette fois-ci, on admet et on décrète, pour la première fois depuis vingt ans, non seulement que l’avenir économique du pays ne pourra se faire sans l’agriculture mais que, de plus, cette dernière doit retrouver la place qui lui revient en tant que « premier moteur de croissance économique » du pays, alors que, jusque-là, elle occupait 50% de la population active en contribuant tout juste à 16% du PIB.

Un accompagnement solidaire de la petite agriculture, orienté vers la performance

Sur quoi repose donc cette stratégie ? Etant donné l’existence aujourd’hui de deux agricultures à deux vitesses, la première difficulté consistait justement à bâtir un plan aux objectifs ambitieux, mais qui, en même temps, ne laisse pas les petits agriculteurs en marge du nouveau système.

La stratégie du « Maroc vert » a donc été globalement construite autour de deux piliers majeurs : d’une part, le développement agressif d’une agriculture à haute valeur ajoutée et à haute productivité, et, d’autre part, l’accompagnement solidaire de la petite agriculture. Une précision a cependant a été faite d’entrée de jeu par le ministre : « Il ne s’agit pas d’entretenir deux agricultures à deux vitesses mais de mettre en place une stratégie différenciée, le but étant d’avoir deux agricultures de différentes tailles mais toutes deux performantes ».

Pour le premier volet, l’objectif principal est de développer une agriculture moderne, intensive, performante et adaptée au marché. Pour ce faire, la démarche sera déclinée autour de plans d’action agressifs pour le développement des grandes filières à haute valeur ajoutée et/ou à haute productivité. Le ministère compte à travers ces plans drainer des investissements supplémentaires colossaux estimés à pas moins de 10 milliards de DH par an, soit un total de 110 à 150 milliards de DH pour les 15 prochaines années.

Mais cette modernisation des filières ne pourra porter ses fruits qu’à une condition : il faut mutualiser les moyens, les efforts, contractualiser les opérateurs. Une démarche que les concepteurs de la stratégie désignent par le mot-clé d’« agrégation ». C’est là que réside d’ailleurs l’une des idées maîtresses de la construction du « Maroc vert » : le développement de l’agriculture au Maroc, qu’elle soit petite ou grande, passe inévitablement par la mutualisation des efforts des nombreux - et parfois trop petits - acteurs. Pour y remédier, l’agrégation consisterait à regrouper ces acteurs isolés et faibles autour de modèles innovants en les poussant à mettre leurs moyens en commun pour s’équiper, produire, acheter, mettre en valeur ou encore commercialiser et exporter. Un concept qui, en somme, rappelle un peu celui de la coopérative.

Pour mettre en clair tout ce schéma, le ministère de l’agriculture envisage de le formaliser par une « offre investisseur Maroc » clairement définie. A la base de la révolution agricole, il y a l’acte d’investir. Une idée qu’a soulignée le ministre de l’agriculture dans sa présentation du 22 avril, rappelant que « l’agriculture est finalement une activité économique comme les autres et que ce qui fait la différence entre une agriculture qui crée de l’emploi et de la valeur et une agriculture à faible valeur ajoutée, c’est l’investissement ».

Des fonds sociaux pour la petite agriculture

Mais l’agriculture marocaine, c’est également des parcelles atomisées, des rendements très faibles, des exploitants pratiquant des cultures vivrières et vivant dans une pauvreté parfois insoutenable. Et c’est cette frange de la population que concerne le deuxième pilier de « Maroc vert ». Un pilier, qualifié de « solidaire », dont l’objectif majeur est de développer une approche orientée vers la lutte contre la pauvreté, en augmentant significativement le revenu agricole des exploitants les plus fragiles, notamment dans les zones périphériques.

Comment atteindre cet objectif ? La stratégie propose une démarche autour de trois types de projets. Le premier comprend des projets dits de reconversion, destinés à aider les exploitants à passer de la céréaliculture vers des cultures à plus forte valeur ajoutée et surtout moins sensibles à la pluviométrie, notamment l’olivier, l’amandier, le cactus… Aziz Akhannouch, tout en reconnaissant que « cette reconversion est relativement difficile à mettre en œuvre sur le terrain », du fait d’une période de latence de 4 à 6 ans séparant la plantation de la première récolte, estime que le jeu en vaut la chandelle vu l’impact colossal sur les exploitants.

Le deuxième type de projets pour les petits agriculteurs concerne l’intensification qui revient finalement à « mieux faire ce qui se fait aujourd’hui ». En résumé, il s’agit d’encadrer plus et mieux les petits exploitants pour leur permettre de disposer de meilleures techniques, d’améliorer de manière significative leur productivité et de mieux valoriser leur production.

Le troisième type de projets, enfin, porte sur les produits du terroir. L’idée est d’encourager et aider les exploitants à se diversifier dans des produits de niche qui pourraient s’avérer d’excellentes sources de revenus.

Tout comme pour la grande agriculture intensive, le développement de la petite ne peut se faire sans le nerf de la guerre : l’argent. Or, ce sont justement les moyens financiers qui posent le plus problème dans ce compartiment. Drainer des investissements ne peut se faire que par le biais de bailleurs de fonds sociaux qui seraient des investisseurs à part entière. Sauf que, comme tout investisseur, ces bailleurs de fonds doivent disposer d’une visibilité claire, d’où l’idée, là aussi, de décliner la stratégie en une « offre sociale » destinée à formaliser les avantages et incitations qu’offre le Maroc aux investisseurs souhaitant s’impliquer dans ces projets.

Ainsi, « Maroc vert », dans sa composante dédiée à la modernisation de la petite agriculture, entend cibler 800.000 exploitants à travers 400 projets phare qui devraient générer des investissements de l’ordre de 20 milliards de DH. A cela s’ajoute le résultat, qui sera peut-être finalement le plus important en terme de réduction de la pauvreté puisque, selon les premières estimations, les projets initiés dans la petite agriculture devraient permettre de multiplier par 3 les revenus de près de 3 millions de ruraux.

Des mesures transversales pour le foncier, l’eau et l’assistance étatique
Enfin, et c’est une évidence, le grand défi de cette stratégie réside dans son exécution sur le terrain, avec toutes les implications que cela peut avoir en terme de modes de gouvernance, de pilotage, mais aussi dans les réformes qui devront nécessairement être opérées au préalable. Et c’est précisément à ces actions qu’a été consacrée la troisième composante de la stratégie qui est, en quelque sorte, le socle sur lequel reposent des deux piliers.

Outre les problèmes de la faiblesse des investissements, de la précarité des acteurs et de l’insuffisance de l’encadrement, l’agriculture marocaine souffre aujourd’hui de gros blocages liés à des problèmes transverses. En tête de liste figure la problématique du foncier, avec une superficie agricole extrêmement atomisée puisque 70% des exploitations marocaines font moins de 2 hectares.

Il y a également l’autre grande problématique des ressources en eau, que l’on peut résumer en deux chiffres : 80 à 90% des ressources en eau du pays sont consommés par l’agriculture, et 5 des 8 bassins hydrauliques seront potentiellement déficitaires d’ici 2020. Enfin, le dernier frein réside dans la faiblesse des organes d’encadrement des agriculteurs, à commencer par les structures mêmes de l’Etat, comme les directions provinciales de l’agriculture (DPA), les Centres de travaux (CT), sans oublier les Chambres d’agriculture réduites, depuis longtemps, à des coquilles vides. Conscient qu’aucune réforme ne peut réussir si l’on n’a pas auparavant fait sauter ces verrous, le ministère a consacré un grand volet de son plan « Maroc vert » à la question.

Le dernier volet de la stratégie englobe, d’une part, un bloc de réformes du cadre sectoriel concernant, entre autres, le foncier, la politique de l’eau et la fiscalité, et, d’autre part, une réforme institutionnelle de l’outil de l’Etat par excellence, à savoir le ministère de l’agriculture lui-même.

Dernière question qui reste posée : quand tout cela sera-t-il mis en œuvre ? Le ministre de l’agriculture y a répondu en exposant sa stratégie : il s’est donné 12 à 18 mois pour commencer à concrétiser les projets par voie de contrats-programmes. Apparemment, on ne chômera pas au ministère de l’agriculture durant les années à venir.

Source : La vie éco - Saâd Benmansour

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