À 15 ans, Barka refuse un mariage imposé et prend son destin en main

23 septembre 2025 - 11h00 - Maroc - Ecrit par : P. A

Issue d’une famille marocaine, Barka, 54 ans, a grandi dans la ville limbourgeoise de Sittard, avant de décider de tracer son chemin.

« Je veux montrer que faire ses propres choix et se protéger n’est pas un luxe, mais une nécessité. Nous traçons notre propre chemin en choisissant chaque jour par nous-mêmes. Tout comme moi lorsque, à quinze ans, j’ai choisi de me lever », confie-t-elle. Ses parents voulaient la donner en mariage à cet âge à un homme d’une trentaine d’années. Du retour de l’école, elle trouve cet homme au salon avec son père. Sa mère lui demande de monter pour se rafraîchir. Mais elle n’obéit pas. Elle se dirige vers le jeune homme, le regarde droit dans les yeux et lui lance : « Vous pouvez repartir. Il n’y a rien à prendre ici ». Son père, en colère, lui demande de se retirer. Mais Barka s’entête : « Non. Je ne pars pas avec cet homme. Je ne me marie pas. Et si vous n’acceptez pas, alors trouvez-vous une autre fille. » Gêné, l’homme repartit avec ses cadeaux.

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« Tu nous as couverts de honte », cria son père, reprochant à sa mère de lui donner une « éducation trop libre », Les parents de Barka avaient eu un mariage arrangé. Sa mère avait 11 ans quand elle s’était mariée à son père, âgé de 9 ans de plus qu’elle. Le couple se disputait sans cesse. « Chez nous, il y avait souvent des disputes et de la violence. Ma mère et moi avons à plusieurs reprises trouvé refuge dans des foyers pour femmes battues. Mais ma mère retournait toujours auprès de lui. Par honte et parce qu’elle pensait que c’était mieux pour moi. Elle n’avait nulle part ailleurs où aller. La police ne venait même plus à un moment donné », raconte-t-elle, ajoutant qu’« à cette époque, dans les années 80, les mariages avant 18 ans étaient encore possibles, surtout dans les familles issues de la première génération de migrants. Aujourd’hui, ce serait considéré comme de la maltraitance d’enfant. »

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Consciente que d’autres prétendants viendraient demander sa main, Barka décide de fuguer. « Ce n’était pas une action impulsive, mais une décision mûrement réfléchie. Je savais que je laissais tout derrière moi, mais rester revenait à me trahir moi-même. » Elle prit son vélo et se rend au centre d’accueil à Sittard. « Je me suis présentée un après-midi au centre, et le soir même, j’avais déjà parlé à une assistante sociale et obtenu une chambre. Pas vraiment l’endroit où tu espères finir en tant qu’adolescente, mais c’était sûr. Ici, je ne risquais pas un mariage forcé », détaille-t-elle. L’automne suivant, elle suit une formation à Valkenburg, « C’était un programme où l’on apprend, étape par étape, à vivre de façon indépendante. J’ai reçu un accompagnement pour cuisiner, nettoyer, gérer l’argent et créer un réseau social. »

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Entre-temps, ses parents finissent par divorcer. « Ma mère prit enfin la décision courageuse et, comme moi, choisit pour elle-même. Après leur séparation, j’allais souvent à vélo voir ma mère, de Valkenburg à Sittard. Mais je ne suis pas retournée à la maison. Elle avait ses propres problèmes. Elle s’était mariée à onze ans, m’avait eue à douze. Elle était encore une enfant quand elle a eu un enfant. C’était son moment, sa chance de vivre libre. » Malheureusement, Barka perdit sa mère en 2012. Lors de son enterrement au Maroc, elle revit son père pour la première fois après plus de 20 ans, malade et incapable de parler. « Je lui ai dit tout ce que j’avais toujours voulu lui dire. À la larme qui coula sur sa joue, j’ai compris qu’il regrettait. J’ai eu l’impression que les rôles s’étaient inversés : je pouvais vider mon cœur et lui écoutait. J’ai laissé le passé derrière moi. Je n’en voulais plus à mes parents ; eux aussi n’avaient fait que suivre ce que des traditions séculaires leur avaient appris. »

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Barka n’a pas eu vie d’adulte facile. Elle a fait beaucoup de mauvais choix. A 19 ans, elle quitte Limbourg pour Amsterdam. « Là, je sortais avec des copines, je m’installais en terrasse, je rencontrais de nouvelles personnes. Je voulais découvrir et vivre tout ce qu’on m’avait interdit jusque-là. Je voulais surtout vivre. Tout expérimenter… Comme j’ai manqué d’amour dans ma vie, j’ai toujours ressenti le besoin d’embellir le monde en donnant beaucoup d’amour, dans l’espoir d’en recevoir en retour… Je tombais souvent sur des hommes qui n’étaient pas bons pour moi… Cela m’a brisé. Cela a façonné l’image que j’avais des hommes. » À 25 ans, elle se met en couple avec un homme bien, mais finit par rompre. « […] J’étais habituée à des hommes mauvais, peu fiables ou dangereux. Une relation sans conflit me paraissait étrangère et étouffante ; mon instinct cherchait automatiquement des problèmes, alors qu’il était simplement bien », raconte-t-elle.

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Après un séjour d’un an et demi aux Pays-Bas, elle décida d’emménager en Bulgarie. « Pas pour une raison précise, mais parce que je voulais un endroit qui ne soit pas banal. Je devais aller de l’avant, comme une véritable nomade », explique Barka qui vit désormais à Sofia. « Cela me rend reconnaissante. Je suis une femme heureuse. Je ressens de la sérénité et de la gratitude pour tout. Oui, même pour mon passé. Il m’a conduite là où je suis maintenant. Dès que je me réveille, j’enfile mes chaussures de marche et pars pour une promenade d’une heure. Ce début de journée me donne à chaque fois l’impression d’une nouvelle chance », précise Barka. Et de conclure : « Mon histoire n’est pas celle d’une victime, mais celle de quelqu’un qui s’est levée et a choisi pour elle-même. C’est ce que j’essaie de transmettre : tu peux toujours choisir à nouveau et mener ta vie comme tu l’entends. »

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