De nombreux artistes marocains dénoncent l’avidité des organisateurs de festivals à s’accaparer du cachet du chanteur en échange de l’inscription de son nom à l’un des évènements d’été. Ils appellent le ministère de la Culture à intervenir.
Certains artistes aiment semer sur scène des petites phrases, des déclarations censées éclairer, prolonger la signification des chansons. Parfois irritantes, ces interventions peuvent aussi faire sens. A Mawâzine, festival international dédié aux rythmes du monde, dont la quatrième édition s’est ouverte le jeudi 19 mai à Rabat, la capitale politique du Maroc, la Cap-Verdienne Lura vante avec un sourire gourmand l’esprit de la fête et "tout ce qui est bon dans la vie". De son côté, la Béninoise Angélique Kidjo prône le bonheur de "vivre en paix ensemble, Blancs, Noirs, Jaunes, musulmans, pas musulmans..."
Applaudissements chaleureux. Les propos des chanteuses concordent visiblement avec ce que pense la foule massée près des scènes en accès libre : plus de 12 000 personnes se pressent, chaque soir, devant l’immense plateau monté près du Théâtre Mohammed-V.
Mawâzine, Rythmes du monde, Rabat, jusqu’au 25 mai. Prochains spectacles : Marionnettes de Mandalay (Birmanie), Peuls Wodaabe (Niger), Thayambaka et Panchavadyam (Inde), Abdelwahab Doukkali (Maroc), Kilandukilu (Angola), Radio Tarifa (Espagne), Oscar D’Leon (Venezuela), Rafael Jimenez "El Falo" (Espagne) ; José Fernandez & Duany Sanchez (Liban/Cuba)
Ce fut aussi le mot d’ordre des organisateurs en 2003, après les attentats du 16 mai à Casablanca, qui firent 45 victimes. La nouvelle du drame est arrivée à Rabat pendant la soirée inaugurant la deuxième édition de Mawâzine. Fallait-il interrompre le festival ? Après avoir réfléchi toute la nuit, l’équipe, réunie autour de son directeur, Abdeljalil Lahjomri, avait choisi de continuer : "Dire non à l’obscurantisme, oui à la vie."
En 2005, à côté des artistes marocains, Mawâzine, organisé par l’association marocaine Maroc-Cultures, convoque le monde à Rabat et se déploie dans toute la ville. Festival à l’affiche ambitieuse, doté d’un budget global de 8,5 millions de dirhams (770 000 euros), la manifestation vit d’abord grâce au soutien de la ville de Rabat, auquel s’ajoute celui de sponsors privés.
Après celui-ci, d’autres festivals vont suivre. A Tanger, Casablanca, Fès, Essaouira, Agadir, Marrakech, et dans toutes les régions du royaume, faisant du Maroc un cas exemplaire sur le continent africain. "Il y a plus de soixante-dix festivals de musique pendant l’année", indique Mohammed Achaari, le ministre de la culture. Dans cette profusion de manifestations artistiques, celui-ci voit "le corollaire de l’évolution démocratique du pays. Les gens aujourd’hui se réapproprient l’espace public à travers les festivals. C’est aussi une façon de vivre en liberté. La rue ne fait plus peur." Des manifestations comme Mawâzine, ou les rencontres autour des gnaoua organisées à Essaouira, sont "l’expression du changement" .
Un changement qui rencontre des résistances. Il y a une catégorie de festivals qui détruit les jeunes, la société et ses valeurs, déclare Ahmad Al-Raissouni, membre du bureau exécutif du Mouvement Al-Taouhid wal al-Islah, dans les colonnes de l’hebdomadaire arabophone Al Jarida Al-Oukhra ("l’autre journal"), récemment sermonné pour avoir publié un reportage dévoilant certains aspects de la vie privée de l’épouse du roi Mohammed VI (Le Monde daté 28 avril). "C’est une constante chez les mouvements intégristes. Chaque fois que commence la saison des festivals, ils les attaquent, leur reprochent d’entraîner une dépense folle pour l’Etat, les collectivités locales, d’être un appel à la débauche et de présenter des formes décadentes", souligne le ministre. D’où l’enjeu de ce type d’événement : "Organiser un festival au Maroc, c’est un acte politique", affirme Chérif Khaznadar, directeur de la Maison des cultures du monde à Paris, chargé de la partie internationale de la programmation à Mawâzine.
"Nous sommes le dernier rempart contre l’intégrisme", déclare à Casablanca Mohamed Merhari, à l’initiative du Boulevard des jeunes musiciens. Ce festival est conçu comme un tremplin pour les jeunes musiciens : il est accompagné d’ateliers de formation encadrés par des artistes professionnels et de master classes. La manifestation organise sa septième édition entre le 2 et le 5 juin dans la capitale économique du pays. "Sur trois jours, le festival a réuni l’année dernière 100 000 à 120 000 personnes", indique Mohamed Merhari. Avec un budget modeste, il rassemble plusieurs familles musicales.
Les amateurs de hip-hop, de fusion, de musique électronique et de metal sont particulièrement soudés "depuis l’affaire des quatorze musiciens de rock emprisonnés en 2003" sous l’accusation surréaliste de "satanisme" , puis libérés à la suite d’un mouvement de solidarité. Mohamed Merhari poursuit : "Si un festival peut déranger certains, c’est bien le nôtre, par les genres programmés : black metal, trash, hard rock, hip-hop, électro..."
Pour autant, les organisateurs n’ont pas appliqué de mesures de sécurité draconiennes après les attentats du 16 mai. "Tout le Maroc pourrait être une cible. Les restaurants, les bars qui vendent de l’alcool, les théâtres, les hôtels. Si l’on devait fonctionner avec ce genre de psychose dans la tête, alors on ne ferait plus rien."
Patrick Labesse - Le Monde
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