Écartée de la présentation du JT de 19h sur RTL en janvier, Salima Belabbas revient en force en tant qu’animatrice de deux émissions phares de la chaîne privée.
Qu’est-ce qui fait qu’un MRE bien intégré dans son pays d’accueil plie un jour bagage et plaque tout, travail, amis, maison et parfois famille, pour rentrer définitivement au pays en vue d’y travailler ou y investir ? Réponses à travers le portrait de quatre d’entre eux, qui ont tenté et réussi l’aventure du retour et n’ont jamais, malgré les difficultés, regretté leur choix. Des centaines de milliers de résidents marocains à l’étranger (MRE) de la deuxième et troisième générations viennent chaque année passer des vacances dans leur pays d’origine. Combien parmi eux rêvent de revenir un jour pour s’y installer définitivement ?
Jamal Belahrach, directeur général de Manpower, l’un de ceux qui ont osé l’aventure du retour, n’est pas sûr que tous les Marocains installés à l’étranger rêvent de retourner à leur pays d’origine. A commencer par son père, à la retraite depuis juin dernier, parti en 1968 pour vivre en France, à Dreux. Pour ce brillant manager, « de plus en plus de MRE vendent leurs biens au Maroc pour acheter dans leur pays d’accueil car leurs enfants ont fait leur vie de l’autre côté et n’ont aucune envie de revenir. La diaspora marocaine aime son pays, mais le rêve du retour n’est pas prioritaire, ce qui l’est, c’est de ne jamais couper le cordon ombilical avec le pays d’origine ».
Si le choix de M. Belahrach est rare, il n’est pas unique. Dressons quelques portraits de jeunes MRE qui ont tenté l’aventure du retour.
Sghir Bougrine Propriétaire de Venezia Ice
« L’Etat n’a rien fait pour moi »
Commençons par Sghir Bougrine, le propriétaire de Venezia Ice, florissant glacier de Casablanca. Issu du quartier Deb Soltane de Casablanca, il met les voiles sur Paris en 1982, l’année de son Bac. Il a alors dix-neuf ans. L’aventure tourne court. En 1987, il fait à nouveau ses valises et atterrit à Amsterdam. Comme tous les immigrés, il cherche un boulot et s’attaque à l’apprentissage de la langue. Des études en informatique et dans l’agroalimentaire. Il obtint un job dans une multinationale tout en suivant des cours en management. Le voilà manager, au bout de quatre ans de travail et d’études, dans une structure de distribution agroalimentaire qui compte 140 personnes de nationalités différentes. Il a entre-temps acquis la nationalité hollandaise. Sghir se perfectionne dans l’agroalimentaire, faisant de la glace sa spécialité.
En 1996, le mal du pays le prend, irrésistible. Malgré une carrière qui s’annonce brillante, une grande maison, de belles voitures, Sghir se sent subitement étranger, comme un arbre sans racines. Il abandonne tout et retourne à Casablanca, sa ville natale, pour se lancer dans les affaires. Il ouvre alors un premier café-glacier au Bd. Moulay Youssef. Il monte ensuite Stargel, société d’importation et de distribution de produits liés à la pâtisserie et aux glaces. « La matière première et le savoir-faire existent chez les Marocains, dit-il. Or, j’ai constaté que le produit servi chez les glaciers laisse à désirer. Pourquoi ne pas améliorer la qualité ? ». D’où l’idée de lancer, en collaboration avec sa femme, Venezia Ice, au Maârif. Une affaire qui coûte 10 MDH. L’ouverture de l’établissement a lieu en juillet 2000, le succès est immédiat, époustouflant. « Cela montre que les Marocains aiment la qualité », tranche-t-il fièrement.
Ce premier succès galvanise M. Bougrine. Si bien qu’il lance d’autres points de vente à Marrakech et Agadir. Il a d’autres projets : une franchise à Fès et un glacier au Tahiti Beach, sur la corniche casablancaise. Ce n’est pas tout : en 2003, il démarre une unité de 2000 m2 à Nouasser, spécialisée dans la production de la glace de pâtisserie, avec deux laboratoires sophistiqués. Coût de l’opération : 20 millions de DH. L’ambition de Sghir est intarissable : d’ici 2010, il compte installer dans chaque grande ville marocaine une Venezia Ice, tout en approvisionnant en glace de qualité les grands hôtels et autres chaînes de distribution. Démarrant avec 25 salariés, il en est à 140. Ils seront 200 avec la réalisation des nouveaux points de vente. « Un MRE qui lâche son pays d’accueil pour venir investir dans son pays, et employer 200 personnes, est une manne sur laquelle il faut veiller. Il doit bénéficier de toutes les facilités. Or, l’Etat, se plaint-il, n’a rien fait pour moi ». Mais s’il y a, selon lui, un secret dans cette fulgurante réussite dans les affaires au Maroc, il revient au sérieux, à l’effort. Et à Bank Al Amal, reconnaît-il, qui lui a apporté main forte dans le financement de ses projets. « Les difficultés ne manquent pas, mais si j’ai acquis un point fort lors de mon expérience européenne, c’est cette capacité à m’adapter à toutes les situations », dit-il.
Aïcha beymik Cadre chez Manpower
« Il faut fixer des limites aux autres pour ne pas se laisser envahir »
Le parcours de Aïcha Beymik n’est pas mois instructif que celui de cet investisseur. Partie du Maroc pour la France en 1974, à l’âge de deux ans, elle revient y vivre vingt-cinq ans plus tard, en 2001. Sans famille, sans amis. Pourquoi cette décision, alors que d’autres prennent le chemin inverse et font tout pour s’expatrier ? « C’est un choix de cœur. On rentrait tous les ans pour passer nos vacances au Maroc, et, à chaque retour, j’étais tellement charmée par mon pays que l’envie d’y retourner y vivre pour de bon ne m’a plus quittée. » Une fois ses études achevées, Aïcha travaille dans une société de recrutement tout en s’investissant dans l’associatif au profit des Marocains vivant dans l’Hexagone. Un jour, c’est le déclic : trimer pour trimer, autant le faire pour son propre pays. Elle démissionne. Direction : Rabat. Pour un entretien dans un cabinet de recrutement. Ça s’est passé si bien et si vite qu’elle intégre, quinze jours après, son nouveau poste. « C’est pour moi un plaisir et même un privilège d’être dans mon pays pour le servir, mais aussi d’apprécier tous ses charmes. J’ai eu aussi beaucoup de chance de tomber sur une structure qui m’a énormément aidée sur le plan de mon intégration sociale et professionnelle. » Mais cela n’a pas été sans clashs. Une femme, qui plus est ex-MRE, choisissant de vivre en toute indépendance, n’est pas toujours vue d’un œil bienveillant. Le code social, dit-elle, brime encore la liberté de la personne. « C’est la partie de mon parcours dans mon pays la plus difficile, mais ce n’est pas insurmontable si l’on réussit à fixer des limites aux autres. » Son credo : le respect de l’autre, justement. « Les Marocains sont des envahisseurs et il faut faire attention », prévient-elle. C’est pour ça qu’elle a peu d’amis. Repartir un jour ? L’idée ne l’effleure pas. « Je m’épanouis dans mon travail et mon investissement sur le volet associatif m’apporte beaucoup. Je viens, je reste ».
Séloa el marzouki Cadre à Barid Al Maghrib
« Les codes sociaux, ça tire vers le bas »
Comme Aïcha, Séloa El Marzouki n’était pas insensible aux sirènes du pays. Elle est née en France, en 1973. Après un DESS en commerce international, à Paris, elle tente, entre 1998 et 2000, une expérience professionnelle aux Etats-Unis. Non concluante. Ne voulant pas retourner en France, elle se lance un défi : pourquoi ne pas tenter sa chance dans son pays d’origine ? Ce pays, elle ne le connaît que comme touriste. On lui a parlé de choses qui bougent au Maroc, de métiers, comme les centres d’appel et des services clientèle, qui se développent à merveille et qui sont, en plus, demandeurs de cadres. Domaines, justement, où elle a fait ses premières armes en France. Elle intègre d’abord la société Stokvis, puis Wanadoo, avant d’atterrir à Barid Al Maghrib.
Les débuts n’ont pas été de tout repos : il y a eu d’abord le barrage de la langue. Séloa ne parlait pas couramment l’arabe. Ainsi, elle garde un affreux souvenir de ce jour où elle eut affaire au caïd de l’arrondissement pour ses papiers. Elle en ressortit en larmes. Le préposé n’avait pas hésité à lui faire des remarques car elle n’arrivait pas à prononcer une phrase correcte en arabe.
Comme Aïcha, elle se plaint par ailleurs de l’omniprésence des codes sociaux, « qui tirent vers le bas », elle qui abhorre les conventions sociales. Au début, elle ne croyait pas que l’aventure du retour allait durer. Le Maroc qu’elle découvre n’est pas celui de ses vacances mais tout autre chose. « Mais petit à petit, confie-t-elle, j’ai commencé à avoir mes repères, mes habitudes, à me fairer des amis. Si bien que, maintenant, j’ai du mal à partir. Etant des citoyens de double culture je ressens, en toute modestie, que notre pays a besoin de nous ».
jamal belahrach DG de Manpower Maroc
« Je suis tombé des nues quand j’ai découvert un monde où les patrons ne payaient pas le Smig »
La langue, justement, est la hantise de Jamal Belahrach. Huit ans après son retour au Maroc, il est incapable de tenir une discussion ou de faire une intervention en arabe. Le fait que le français reste la langue du business, avoue-t-il, ne l’a pas aidé à faire son apprentissage. Mais commençons par le commencement. Car le retour au pays de M. Belahrach a aussi une histoire. Le discours prononcé par le roi Hassan II lors d’une visite à Paris, en 1996, devant la communauté marocaine fut un détonateur. L’intérêt qu’il portait à son pays d’origine s’aiguisa. Si bien qu’il fit le projet de venir un jour y vivre. Moins d’une année après le fameux discours, le projet prend forme. M. Belahrach était alors directeur marketing dans un groupe allemand et militant associatif invétéré. Il saisit à la volée l’opportunité d’un poste chez Manpower au Maroc. C’est le début d’une aventure qu’il ne regrettera jamais. J. Belahrach a vécu en France dès l’âge de sept ans, à Dreux précisément (fief actuel du Front national). Etudes techniques, DUT de maintenance industrielle, formation de gestion d’entreprise et d’administration, puis spécialisation en marketing stratégique. Fils unique, ses parents refusent de lui emboîter le pas : la France est leur deuxième patrie. « Quand je suis arrivé ici, j’ai eu un choc. Le Maroc où je me trouvais n’était pas celui où nous passions nos vacances et je ne connaissais rien des relations de travail. Moi qui voulais développer un nouveau métier, le travail temporaire, et inculquer une nouvelle culture du travail, je suis tombé des nues quand j’ai découvert un monde où des patrons ne déclaraient pas leurs salariés et ne payaient pas le SMIG ». Le doute s’installe. Travailler n’est pas une finalité en soi, se dit Jamal, le plus important est de s’investir pour changer les choses. M. Belahrach découvre autre chose : Marocain parfaitement intégré en France, le racisme envers les Arabes il ne l’a pas connu. Or, ici, dans son pays, cette intégration ne va pas de soi. Les Marocains du pays, dit-il, regardent de biais un MRE qui fait demi-tour. « La population autochtone a du mal à accueillir cette génération de la diaspora sans a priori, comme faisant partie intégrante de la population marocaine. Or, elle doit se faire à l’idée qu’il y a entre nous une complémentarité utile pour le décollage du pays. » M. Belahrach sait ce qu’il fait et ce qu’il dit, c’est le type même du MRE qui a réussi avec brio son retour au pays. Père de trois enfants, il veut leur éviter l’écueil linguistique dont il a souffert et leur apprendre l’arabe dès leur jeune âge. Réussite professionnelle aussi : il gère une société de 42 employés permanents et 2 453 temporaires. Ne considère-t-il pas qu’il y a contradiction entre le fait que des Marocains, cadres, médecins, ingénieurs, fuient le Maroc alors que d’autres y reviennent ? Pire qu’une contradiction, répond-il. « C’est un grand malheur et un grand malentendu. » La génération qui retourne, selon lui, croit mordicus que c’est le moment ou jamais de le faire pour participer à la construction du pays. Or, ceux qui plient bagage ont toujours vécu ici, ils sont lassés d’un système qui encourage peu la réussite. M. Belahrach ne va pas jusqu’à dire qu’ils ont tort, mais estime que « c’est maintenant que le Maroc a besoin de tous ses enfants. C’est unis qu’on peut construire quelque chose de différent, j’en suis plus que persuadé »
Qui sont-ils ?
Il y a plusieurs catégories, répond M. El Jamri (*). Celle dont les métiers à l’étranger sont liés au phénomène de la mondialisation. Ces gens retournent parce qu’ils savent qu’ils vont toucher à peu près le même salaire au Maroc qu’en Europe : leur domaine est lié à la haute technologie. Il y a ensuite ceux dont la formation reçue en Europe ne leur permet pas de s’insérer professionnellement. Ils auront plus la chance de trouver un job au Maroc qu’ailleurs. Et il y a, enfin, ces jeunes de la deuxième et troisième générations, qui ne connaissent pas, ou très peu, le Maroc, et qui se lancent le défi de s’installer dans leur pays d’origine. Ils y cherchent un travail qui corresponde à leurs qualifications et, pour certains, de se lancer dans les affaires. Mais il faut citer aussi ces RME, qui, dans la perspective d’ouverture des barrières douanières, viennent travailler avec les mêmes sociétés qui s’installent dans leur pays d’origine
« Reproduire au Maroc la modernité apprise en Europe »
« Quand on a vécu et grandi à l’étranger, explique Jamal Belahrach, on développe une marocanité différente. Si nos critiques à l’égard de certains codes sont sévères et si on n’a pas froid aux yeux pour le clamer sur les toits, c’est parce que nous aimons profondément ce pays et que nous voulons nous impliquer dans le processus de sa construction. Nous voulons en quelque sorte reproduire chez nous le perfectionnisme et la modernité que nous avons connu en Europe. Ce n’est pas facile, mais il faut se battre pour le faire. » .
Jaouad Mdidech - La Vie Economique
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