La chanson marocaine, quel avenir ?

15 avril 2007 - 00h32 - Culture - Ecrit par : L.A

A l’image du Royaume, pays situé au carrefour de plusieurs civilisations et où les contrastes le disputent aux contradictions, la chanson marocaine est plurielle et fort diversifiée, tant au niveau de ses sources d’inspiration, que de celui de ses rythmes, de ses métriques et des langues que ses paroles usitent. Arabe classique, dialectal (darija), tachelhit, tamazight, tarifit, français, … les idiomes dans lesquels les artistes nationaux expriment leurs sentiments sont aussi nombreux que les genres musicaux auxquels ils recourent pour ce faire.

Qu’elle soit de Meknès, de Marrakech, de Fès, de Rabat, de Tanger, de Tétouan, d’Essaouira, de Chefchaouen ou de Ouarzazate, la musique marocaine ne portera pas le même cachet, car chacune de ces régions possède une histoire et des sources d’inspiration particulières. Elle est donc un carrefour de styles et d’apports en tout genre. Du substrat berbère, au modalisme arabe, en passant par le raffinement andalou et le rythme africain saharien et subsaharien, les musiques du Maroc sont, dans ce sens, aussi nombreuses que les épis de blé qui couvrent nos champs au printemps. Aussi la métrique et les rythmes du Malhoun sont-ils différents de ceux de la musique andalouse, des gnaouas, de la Aïta, de la chanson dite moderne, du rai, des musiques urbaines etc.

Idem pour les musiques amazighes qui présentent, elles aussi, une certaine variété de styles. Aux trois grandes zones linguistiques (tachelhit, tamazight, tarifit ) correspondent trois styles de danses et de chants De plus, les artistes amazighs — trop souvent méconnus — leur impriment la marque d’une tradition plurielle et divergente. Il n’est pas rare aussi qu’un artiste développe un style qui lui est propre pour s’exprimer. Cette musique là est-elle en crise ? Loin s’en faut. Malgré certaines tentatives de sauvegarde qui ont failli la fossiliser, elle est actuellement d’une vitalité qui ne peut augurer que d’un avenir radieux.

Pour ce qui est de la musique savante arabo-andalouse (andaloussi, gharnati) ou du Malhoun, les efforts consentis par les pouvoirs publics ont permis non seulement de la sauvegarder, mais d’en faire l’un des piliers de l’identité marocaine et d’en maintenir la présence au sein de l’élite marocaine issue des villes impériales. Même si elle a perdu de son clinquant des temps glorieux des Fatima Kobbas, Bouchaïb El Bidaoui et autres Hajja Hamdaouia et Fatna Bent Lhoucine, la Aïta demeure, quant à elle, principalement appréciée dans les plaines bordant l’Atlantique. Elles continuent aussi à égrener, avec la même verve, les soirées arrosées des cabarets orientaux.

En ce qui concerne la musique d’inspiration africaine, particulièrement celle des Gnaoua, force est de constater qu’elle est non seulement revenue sur les devants de la scène grâce au Festival d’Essaouira, mais qu’elle inspire, de plus en plus, certains groupes qui ont choisi la musique urbaine comme moyen d’expression et auxquels d’aucuns ont vite fait de reprocher son « occidentalité », oubliant, par la même occasion, que la musique marocaine a toujours été traversée par des influences venues, entre autres, d’Europe. A preuve, les musiques dites arabo-andalouses et, plus près de nous, celles initiées par un certain Vigon, Golden Hands, les frères Mégri, Malek, Hamid Bouchnak, Mouskir, Saïd Fikri, Sidonie, etc. L’émergence des Ghiwane durant les années soixante-dix, faut-il le rappeler, a d’ailleurs été non seulement une réaction contre les musiques d’inspiration occidentales, mais aussi contre la musique marocaine dominante qui a essayé de transposer les rythmes de l’Orient arabe dans le Royaume. Créée par une génération à cheval entre celles que le protectorat a obligé d’ânonner à tue-tête et à longueur de journée que ses ancêtres étaient gaulois et celle que l’enseignement public arabisé a fait rêver des Mille et une nuits, la musique des Nassa El Ghiwane et autres Jil Jilala se voulait intégrée au terroir. Elle posait donc en termes crus l’incontournable question identitaire tout en imposant une manière d’être et de paraître qui ressemblait, en certains points, à celles en cours dans les communautés hippies de l’époque. Plus que le fruit d’une évolution, cette musique fut une révolution pilotée par des jeunes pour des jeunes. Mais comme il faut que jeunesse se passe, le mouvement a fini par disparaître après avoir, entre-temps, influé sur le cours des évènements.

Expression d’une révolte où les mêmes questions identitaires se drapent désormais d’une volonté de faire fusionner non seulement des sons, mais aussi des langues différentes, les musiques dites urbaines évolueront-elles de la même manière et auront-elle le même destin ? Il est trop tôt pour y répondre vu que ces musiques sont encore à leurs balbutiements. Il n’en demeure pas moins qu’entre les Ghiwane et autres rap, hip-hop et haiha music, la chanson marocaine dite moderne d’inspiration orientale, ne cesse de péricliter. C’est peut-être finalement elle qui est vraiment en crise. Née sous la colonisation, cette musique dite moderne s’est développée, sitôt l’indépendance acquise, grâce à des pionniers comme les regrettés Mohamed Fouiteh, Ahmed El Bidaoui, Ismaïl Ahmed, ou les pionniers Abdelouahab Doukkali, Bahija Idriss, Abdelhadi Belkhayate, etc. Elle permet jusqu’à aujourd’hui à ses amateurs de vibrer sur des modes orientaux agrémentés de rythmes traditionnels marocains et de paroles puisées soit dans la poésie classique, soit directement dans le langage populaire.

Reste à savoir si les jours heureux où elle pouvait nous gratifier d’un « Kamar Ahmar », où d’un « Dar Lihnak », sont-ils à jamais révolus ? Peut-être pas, mais dans l’attente, les remix et les nouveaux arrangements des chansons de ces temps-là prouvent au moins trois choses. La première concerne la lente décrépitude de quelques instruments de musique orientaux, la seconde la mort annoncée de certains rythmes également venus d’Orient et la troisième l’entrée fracassante en lice de l’informatique dans le domaine musical. Ils prouvent également que la chanson marocaine est tout simplement en train d’opérer sa mue.

Libération - Mohamed Sakhi

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