Commémoration des 40 ans d’immigration marocaine en Belgique

27 janvier 2004 - 00h30 - Belgique - Ecrit par :

La communauté marocaine vivant en Belgique commémorait, le 16 février 2004, le 40ème anniversaire de la Convention signée en 1964 par les Etats belge et marocain (1). Ses enfants, déjà à l’aube d’une quatrième génération, s’animent aujourd’hui pour y graver le sceau d’une mémoire à la fois endolorie, combattante, généreuse et ouverte sur l’avenir.

Le contenu de cette fameuse Convention ne laissait aucun doute aux anciens mineurs marocains : l’État de Hassan II allait brader leur dignité et leur humanité contre une épaisse poignée d’intérêts économiques. De son côté, la société civile belge, par le biais du journal Le Soir, relevait à bon escient les pressions exercées par le gouvernement marocain sur les travailleurs immigrés afin qu’ils déposent leurs économies à la SGB (2). Au moment même où l’État algérien et l’État turc négociaient ferme avec l’État belge pour plus d’acquis sociaux et politiques à leur nationaux, l’État marocain, lui, exhibait une force de travail très bon marché à la Belgique, en lorgnant avidemment sur le "rapatriement des économies"(3). Le monarque "cernait", ceux qu’il considérait comme ses propres sujets d’une attention toute particulière. Le but étant de les maintenir sous le joug d’un contrôle impressionnant via ses services secrets et ses associations appelées Widadiates, pour les priver de leurs droits fondamentaux, associatifs et syndicaux. Et, bien sûr, nulle concession devant un quelconque droit de vote. Telle fut la tonitruante décision que Hassan II lançait aux sociétés d’accueil.

Dans cette mémoire endolorie transmise de génération en génération, se trouve déposé, en lieu sûr, le soulèvement populaire de Casablanca en 1965, maté dans le sang, une année après la signature de la Convention. L’année 1965, c’est aussi l’année de l’assassinat du célèbre opposant Mehdi Ben Barka. Mais qui peut oublier cette autre croisade punitive de 1959 contre le Rif d’où est originaire la grande majorité des immigrés ? L’Histoire retiendra du règne de Hassan II la déferlante des disparitions forcées, de torture, d’assassinats et de nombreux procès politiques. Ce pays s’est lugubrement illustré par ses lieux clandestins de détention inhumaine. Le monstrueux mouroir de Tazmamart reste une plaie béante dans la conscience universelle. "Notre ami le roi", ouvrage de Gilles Perrault, va consigner, selon ses dires, la barbarie du règne de Hassan II.

En dépit de ce mauvais sort jeté à toute une génération d’immigrés, la communauté marocaine, outillée de militantisme conséquent, a su relever stoïquement le défi pour combattre cet encombrant fatalisme et pour ériger une nouvelle mémoire contre la gangrène xénophobe et raciste au sein de la société d’accueil. C’est qu’il lui fallait supplanter le statut de sujet, ici et là-bas, pour s’enraciner dans celui de citoyenneté. Pour cela, elle devait puiser ce qu’il y a de meilleur dans son patrimoine culturel et l’offrir en partage à la société d’accueil dans une dynamique interculturelle foisonnante. Si les lézardes craquent bruyamment à un moment ou l’autre, venant nous rappeler que rien ne va de soi -à ne citer dans ce sens que les émeutes de 1991 à Forest, Molenbeek, Saint-Josse et Schaerbeek -la cohésion et la paisible coexistence communautaire resteront de mise. Et il n’y a qu’a évoquer cette soudure fraternelle qui s’est opérée ce 8 mars 1997 à l’occasion du deuil de Loubna/Julie/Mélissa, sans oublier les autres.

C’est dans les moments les plus poignants de l’Histoire d’un pays que l’on enregistre ses grandes vocations et ses véritables aspirations… En effet, tout Etat de droit qui se respecte ne peut continuellement maintenir son passé trouble et son avenir encore incertain en apnée, car le présent s’épuisera toujours à chercher la vérité et la justice nécessaires pour une meilleure ventilation des libertés et des droits humains.

La jeune asbl "Espace Mémorial de l’Immigration Marocaine" (l’Emim - www.emim.be), dans ce mouvement prometteur d’une cohésion sociale vivante -soutenu par un large pan d’acteurs de la société civile, notamment Carine et Gino Russo -et à en juger par son programme hardi et bien élaboré, vient aujourd’hui, non seulement appuyer les idéaux partagés pour commémorer les quarante ans d’existence au sein de notre pays, mais elle souligne également avec acuité le dynamisme et la participation du tissu associatif dans la construction d’une société meilleure dans un but unique : l’intérêt collectif. Mais la commémoration d’un événement aussi symbolique et essentiel ne pouvait se réaliser sans participation massive, sans réajustement et sans refonte porteuse. C’est pourquoi, traversé par une violente critique et autocritique projetées sans crainte sur la place publique ces derniers temps, l’Emim ne s’est rien épargné pour sauvegarder l’image d’une communauté débordante de vie. Et qui, tout en approfondissant sa pratique sociale, se laisse régénérer par la critique et l’autocritique lucides, si acerbes soient-elles. L’ère est à la culture démocratique, et c’est tant mieux.

Et si, après la tempête, l’Emim a su garder le cap de la parole donnée, il est fort à parier qu’une offensive de la part de l’Etat marocain est déjà installée à travers ses Widadiates, revues et corrigées. Tout en croyant exploiter les dissensions, très tôt biffées du sein et à l’extérieur de l’Emim, les officiels de l’Etat marocain iront les transposer comme une tare congénitale sur la communauté marocaine, et prétendre ensuite s’avancer comme alternative destinée à la commémoration des 40 ans d’histoire de l’immigration.

Une chose est sûre : cette offensive trouvera ses fidèles adeptes et l’inévitable commémoration entre les Etats belge et marocain aura lieu. A ce moment-là, la communauté marocaine, aspirant de toutes ses forces à préserver son autonomie, est en devoir de solliciter l’Etat belge pour mesurer les conséquences désastreuses des atteintes aux valeurs universelles au Maroc. Violations confinées dans un rapport du Comité des Nations Unies contre la torture et dans un rapport détaillé d’Amnesty International. Il serait donc urgent et salutaire que l’Etat belge interpelle l’Etat marocain sur les emprisonnements arbitraires de journalistes et de militants pour la défense des droits humains et sur la commission appelée "Équité et Réconciliation", consistant à tourner la page du contentieux des droits humains sans l’avoir lue. C’est le règne pur et simple de l’impunité.... à tous les niveaux.

Quoi qu’il en soit, la communauté marocaine, à travers un Emim dynamique, visionnaire et rebelle à la récupération, et avec le concours sans relâche de son dévoué président Hassan Bousetta, ouvrira avec maturité, le 16 février 2004, la mémoire future dans laquelle s’inscrira une profonde et réelle "éthique du vivre ensemble" et mènera un programme dénotant la sève d’un apport précieux sous forme d’études et de festivités. L’heure sera enfin au respect des valeurs universelles, à l’échange et au partage des mémoires dans une Histoire commune.

Sam Touzani - Acteur et metteur en scène Mohammed Belmaïzi - Coauteur de "Rompre le silence", éd. Labor
lejournal-hebdo

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