Football : le Maroc hors-jeu

19 janvier 2009 - 06h41 - Sport - Ecrit par : L.A

Les Lions de l’Atlas, 41èmes au classement mondial de la FIFA, n’ont plus joué de Coupe du Monde depuis 1998, ni gagné de Coupe d’Afrique depuis 1976. Décryptage de la crise du foot en huit points.

Budget : Pauvre Botola

Si les clubs tunisiens et égyptiens tournent avec des budgets annuels de 80 à 150 millions de dirhams, leurs homologues marocains se
contentent du minimum syndical : entre 6 à 40 millions de dirhams. Goûtez la différence. Ahmed Ghaybi, président de l’Olympique de Safi, tient pour principal responsable de cette vache maigre la faiblesse des revenus générés par les droits de transmission de la Botola : “En octroyant ces droits à la SNRT sans passer par un appel d’offres, la Fédération a sans aucun doute enregistré un manque à gagner important”, explique-t-il. Avant de poursuivre : “Au final, les clubs reçoivent à peine 2 millions de dirhams par an, ce qui ne représente pas grand-chose dans leurs budgets. Dans d’autres pays, ces droits peuvent représenter plus de 60% des recettes d’une équipe”. Autres raisons invoquées par le dirigeant safiote : le manque d’implication financière des villes dans la gestion de leurs clubs respectifs, la désaffection du public et le manque d’intérêt porté par les sponsors aux petites équipes.

Statut : Lois paresseuses

L’amateurisme des clubs trouve aussi son origine dans les textes de loi. À cause d’un vide juridique concernant les entreprises sportives, les équipes marocaines n’ont d’autre choix que de se constituer en associations à but non lucratif. Or, ce cadre légal prive les clubs marocains d’une importante manne financière. Explication de ce dirigeant de club de GNF1 : “Si nous étions une société, nous pourrions, par exemple, attirer dans notre capital des actionnaires solides”. Patience, cela sera bientôt possible. Le ministère de la Jeunesse et des Sports apporte actuellement les dernières touches à un projet de loi, inspiré des législations française, portugaise et turque, qui rectifie le tir en posant ainsi les bases de la professionnalisation du football marocain.

Dirigeants : Bénévolat et affairisme

Une équipe professionnelle suppose qu’elle soit dirigée par un manager rémunéré pour ses services. Nous n’en sommes pas encore là. Tous les clubs, sans exception, sont drivés par des bénévoles. Parmi eux, une écrasante majorité d’hommes d’affaires qui, souvent, n’ont rien à voir avec le milieu footballistique. “Certains sont parachutés à la tête des clubs pour leur argent et leurs relations, d’autres sont là par opportunisme. Ils ont compris que le football peut être un excellent vecteur d’ascension dans les affaires ou la politique”, explique le journaliste Najib Salmi.

Autre anomalie propre au football marocain : l’avenir des clubs est entre les mains de dirigeants élus, certes démocratiquement, mais par une minorité d’individus qui ne représentent pas l’ensemble de ses supporters. Un club comme le WAC, par exemple, compte moins de 200 adhérents, à qui revient le rôle d’élire un président. En Espagne, à lui seul le FC Barcelone a 150.000 socios. Plus près de nous, en Tunisie, l’Espérance de Tunis affiche au compteur 5000 affiliés.

Encadrement : Formateurs non formés

Le football marocain souffre du manque de formateurs qualifiés. “La plupart des coachs sont d’anciens joueurs à qui leurs clubs font une faveur pour services rendus”, explique ce dirigeant. Avant de poursuivre : “La légitimité historique n’est pas suffisante. Nul ne peut s’improviser entraîneur, le coaching au vrai sens du terme est une science qui s’apprend de nos jours et qui a ses diplômes”. Mais là aussi, il y a diplôme et diplôme. “Une minorité de coachs a suivi une formation solide, qui lui a permis de décrocher des diplômes reconnus, mais l’écrasante majorité s’est contentée de suivre seulement quelques stages dans des clubs marocains ou étrangers”, raconte ce coach préférant garder l’anonymat, qui révèle par la même occasion l’existence “d’une filière des pays de l’Europe de l’Est qui délivre de faux diplômes moyennant quelques milliers de dirhams”.

Coachs : Un tour et puis s’en va

Les clubs marocains brillent par leur instabilité. Il ne se passe pas un mois sans qu’on entende parler du limogeage d’un entraîneur et son remplacement par un autre. Les dirigeants qui prennent ces décisions prouvent une chose : ils craquent très vite devant la pression du public. “Malheureusement, le statut d’entraîneur n’existe pas au Maroc. Nombreux sont les coachs qui n’ont même pas de contrat avec leur club, explique ce président d’une équipe de D1. A l’étranger, on y pense à deux fois avant de virer un entraîneur, car on est tenu de lui payer l’intégralité de son salaire jusqu’à la fin de son contrat en plus d’indemnités”. La valse des entraîneurs ne concerne pas uniquement les équipes de la Botola mais aussi la sélection nationale. Depuis le limogeage de Zaki en 2006, ils sont déjà cinq à avoir occupé le (convoité) poste de coach des Lions de l’Atlas : Mhamed Fakhir, Philippe Troussier, Henri Michel, Fethi Jamal et Roger Lemerre. Tout un beau monde consommé en deux ans, SVP.

Infrastructures : Stades, quels stades ?

Il suffit de se rendre à un match de la Botola pour s’en rendre compte : nos stades sont faits pour tout sauf pour des rencontres de football. Pelouses impraticables, gradins inconfortables, places non numérotées, absence de toilettes, conditions d’accès inadaptées… le constat est désolant. “Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg, s’indigne ce président de club de GNF1. On parle de professionnalisme alors que dans certains stades, il n’y a même pas d’eau chaude. Imaginez qu’il arrive même à nos joueurs de croiser des rats dans les vestiaires”. Et d’ajouter : “Dans les divisions inférieures, c’est pire”. Résultat : le spectacle n’est pas toujours au rendez vous et les spectateurs se font de plus en plus rares lors des matchs.

Hooliganisme : Violence endémique

Si le spectacle se fait fade dans les stades, la violence est omniprésente depuis quelques saisons. Les affrontements entre supporters de différents clubs pendant et après le match sont (presque) devenus un rituel. Et souvent, le bilan est lourd : des blessés par dizaines, des voitures et des bus détruits, des commerces saccagés, etc. “Cette situation nuit sérieusement aux clubs, explique Ahmed Ghaybi. Elle décourage de nombreux supporters à venir aux matchs. Ce qui n’est pas sans conséquences sur notre trésorerie”, ajoute- t-il.

Mais dans les stades marocains, le public n’est pas le seul à faire dans la casse. Les sportifs sont également à pointer du doigt. Tout le monde se souvient de Baddou Zaki envahissant en début de saison la pelouse ; pour en venir aux mains avec l’arbitre de la rencontre opposant son club, le Wydad de Casablanca, aux FAR de Rabat. Ou de Adil Hliouat, le joueur de l’Olympique de Safi crachant sur l’homme en noir. Ou plus récemment de ce joueur du Rachad Bernoussi qui a donné un coup de boule à l’arbitre de touche, l’expédiant direct aux urgences.

Fédération : L’exception Benslimane

La main du Palais sur le football marocain s’appelle Housni Benslimane. Ce n’est un secret pour personne : si le premier gendarme du royaume est à la tête de la Fédération depuis plus d’une dizaine d’années c’est parce que c’est la volonté de Mohammed VI. “Il a été élu démocratiquement à ce poste en 2000 puis reconduit en 2004, parce qu’il est le candidat du Palais tout simplement. Personne n’a osé se porter candidat ou voter contre lui”, explique ce dirigeant de club. “Une assemblée générale de la Fédération devait se tenir en 2008, mais rien n’a été fait. Et là encore personne n’a rien dit”, ajoute t-il.

L’apport du général au football marocain ? Ses détracteurs, toujours sous le couvert de l’anonymat, peignent un président pas assez présent, occupé par ses fonctions sécuritaires. “Le bureau fédéral se réunit tous les deux ou trois mois, ce qui est une aberration”, s’indigne ce président de club. Ses défenseurs le voient autrement : “ça aide de l’avoir à ce poste. Quand on a besoin par exemple d’un hélicoptère ou d’un avion ça se règle rapidement”. En tout cas, l’intéressé ne s’en cache pas, il veut s’éloigner du milieu du football. Alors partira, partira pas ? Personne ne connaît la réponse à cette question, à l’exception de Mohammed VI, dont dépend le sort du président de la Fédération. “Benslimane a émis à plusieurs reprises le souhait de quitter cette fonction, mais le roi refuse de le laisser partir pour le moment”, croit savoir ce proche du patron de la gendarmerie.

Source : TelQuel - Mehdi Sekkouri Alaoui

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