L’engouement des français pour le Royaume

9 octobre 2007 - 01h49 - France - Ecrit par : L.A

Sur les registres des consulats, les Français du Maroc ne sont que 32 689 âmes (2006). En réalité, leur nombre dépasse largement les 50.000. Certaines sources évoquent même le chiffre de 60.000. Pour une foultitude de raisons inhérentes au fisc, aux contraintes socio-médicales du statut particulier des expatriés et parfois aux antécédents judiciaires, beaucoup préfèrent se faire plutôt discrets. Radioscopie d’une communauté où se côtoient l’honnête homme et le « chasseur de primes ».

Il y a vingt ans, jour pour jour (9 octobre 1987), le Maroc et la France signèrent un accord sur le séjour et l’emploi. La mise en œuvre de cet accord n’interviendra qu’à partir du 1er janvier 1994. Dans son article 2, l’accord accorde des conditions optimales de stabilisation de l’immigration française au Maroc. Il y est stipulé que : « Les ressortissants français résidant au Maroc et justifiant de trois ans de séjour régulier à la date d’entrée en vigueur du présent accord, bénéficient, de plein droit, d’une autorisation de séjour de dix ans ainsi que du visa pour toute profession salariée sur l’ensemble du territoire du Royaume du Maroc de leur contrat de travail par les autorités compétentes, pour une même durée de dix ans. En cas de changement d’employeur, le nouveau contrat recevra automatiquement le visa pour une durée égale à la période qui reste à courir. L’autorisation de séjour et le visa mentionnés à l’alinéa précédent sont de plein droit renouvelables à leur expiration pour une durée de dix ans ».

En ces temps-là, les autorités françaises ne soupçonnaient aucunement la déferlante française qui allait viser le Maroc à partir des deux dernières années de la décennie 90. Tout cela a commencé par l’établissement des peoples qui élirent domicile à Marrakech. Puis, au fil des déceptions ayant trait à la sur-fiscalité et aux contraintes bureaucratiques, la classe moyenne et le segment des retraités ont pris le chemin du Maroc.

Ici, avec deux ou trois milliers d’euros, on peut s’aménager une existence peinarde et même se permettre à peu de frais une posture seigneuriale : une « fatma », un jardinier…etc. Au tout début de l’engouement, de jeunes loups et de « vieux renards » se sont rués sur les vieilles maisons et les terrains de la périphérie marrakchie. D’autres se sont investis dans le boom touristique. Cette première génération de pionniers a bénéficié d’une somme d’avantages objectifs et subjectifs.

Ne voyant pas venir le boom immobilier, beaucoup de Marocains se sont séparés de leur demeure familiale, vite transformée par les acquéreurs français en Riad, pour ce qui apparaîtra plus tard comme une bouchée de pain. Claude M. fait partie de cette première génération de pionniers. « Avec le produit de vente de mon petit hôtel-restaurant du Gers, j’ai pu acquérir, en 1996, trois vieilles maisons à la Médina. Je les ai adjoints pour en faire une maison d’hôtes de trente chambres et trois suites. Les travaux m’ont coûté moins d’un million et demi de dirhams que j’ai empruntés à une banque locale. L’ensemble de l’investissement n’a pas dépassé cinq millions de dirhams. Aujourd’hui, mon bien vaut 50 millions de dirhams. Soit un coefficient de 10 ». C’est dire l’ampleur des retours sur investissements réalisés par les premiers arrivés. S’étant refait une santé financière solide, certains ont pris le chemin du retour, rapatriant au passage capital et bénéfices, souvent par des canaux peu orthodoxes.

Une existence peinarde

Tels les joueurs de Dostoïevski, d’autres sont restés dans la reniflade générale des coups de fusil. Christophe P. en fait partie. Après avoir engrangé quelques millions de dirhams dans la spéculation foncière, le jeune homme est entré dans le cycle des acquisitions « melkia » et guich. Il en sortit complètement dépouillé. « Je ne connaissais pas le statut labyrinthique des terrains collectifs et des biens régis par le système de la « melkia » (non titré). Avec la complicité d’agents immobiliers volatiles et peu recommandables, on m’a vendu des biens que je ne pouvais ni exploiter ni revendre. J’ai perdu toutes mes billes et j’en suis aujourd’hui au RMI ». Une autre catégorie a connu l’apogée avant de sombrer dans la décadence. La déchéance est arrivée du côté de la luxure et des turpitudes. « J’en suis à mon troisième mariage avec des Marocaines. Conversion à l’islam, actes adoulaires et puis le flop ! Je dois dire que j’ai « pêché » mes deux « ex » dans des bars ou des boîtes de nuit. Je n’en veux qu’à moi-même ». Il vit aujourd’hui avec une « moultazima » dûment voilée. Avec ses allocations de chômage et les 3.000 DH mensuels que gagne son épouse, ils élèvent leur fille aujourd’hui âgée de quatre ans et demi.

Ces destins n’occultent point les réussites fulgurantes de nombre de Français établis dans une bonne dizaine de villes marocaines, d’Essaouira à Tanger.

Il est d’ailleurs utile de noter qu’une bonne partie des dirigeants et de cadres supérieurs français évoluant autour des grands projets structurants et des mastodontes qui forment le noyau dur du paysage entrepreneurial marocain est constituée de binationaux. Kamal Ameziane en fait partie. « Channel account manager » de la multinationale Cisco au Maroc, il a abandonné son statut de cadre parisien au sein d’Azlan, premier fournisseur européen d’intelligence artificielle et de solutions technologiques en télécommunications. « Le dynamisme que connaît le Maroc a précipité ma réintégration dans mon pays d’origine », nous dit-il.

La démarche de Kamal semble paradoxalement à la fois répondre au dogme sarkozien du co-développement au nom duquel les étrangers auraient intérêt à retourner au pays d’origine afin d’y contribuer à son développement, tout en contredisant l’autre dogme sarkozien par lequel l’ancien ministre d’Etat à l’Intérieur encourageait la seule immigration des cerveaux. En tout cas, le Maroc baigne aujourd’hui dans une attractivité où la concurrence devient de plus en plus dure entre les sources d’investissements : les Espagnols, les Anglais et surtout les Golfiens, principalement les Emiratis, se disputent des positions dans les secteurs porteurs que sont l’immobilier, le tourisme, les télécommunications et la finance.

La visite de Président Sarkozy au Maroc intervient à l’heure où la place de la France dans le paysage économique marocain n’est plus monopolistique. Malgré cela, il aura l’opportunité de remercier ses compatriotes établis au Maroc pour l’avoir plébiscité lors des dernières présidentielles, au détriment de sa « Royal » d’adversaire. Même s’il n’arrive pas à décrocher sa commande de « Rafale », le Président français aura le loisir de constater de visu la mobilisation du Royaume pour le rendez-vous historique de 2012 avec l’Union Européenne. Il aura également le loisir de témoigner de la bonne place faite aux entreprises françaises dans l’architecture du développement socioéconomique du Royaume.

Gazette du Maroc - Abdessamad Mouhieddine

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