Le harcèlement sexuel tombera-t-il sous le coup de la loi ?

15 avril 2008 - 17h52 - Maroc - Ecrit par : L.A

Il n’est pas un milieu professionnel, une administration, une faculté, qui semblent aujourd’hui épargnés par le harcèlement sexuel. Pourtant, aucun procès, et jusqu’à présent aucune plainte n’a été répertoriée, ou du moins connu une suite notable au niveau de la justice. Dans une mer de silence, un timide projet de loi tente de criminaliser le harcèlement sexuel.

Se taire. Tous et toutes s’inclinent devant l’omerta qui règne sur le harcèlement sexuel, filles mais aussi des hommes, ne veulent pas prendre le risque de se voir fermer les portes d’institutions, d’administrations ou d’entreprises, où on pratique le harcèlement à satiété. Se taire, ou tenter un procès au pénal, on manque toujours de recours internes. Quand on se penche sur le sujet, la question suscite bien des passions. « Un code pénal sanctionnant le harcèlement sexuel dans ses différents degrés ? Une loi sanction … Tu parles ? On ne va plus suivre les femmes dans les rues ni même oser les regarder ? Avec cette loi, les esthètes arrêteront de chanter la beauté de la femme et les artistes à la langue splendide qui dépeint avec délicatesse les femmes, et devront enterrer leurs œuvres ! ».

Le projet de loi n’a pas encore eu l’assentiment de toutes les composantes de la société, qu’il suscite déjà des réactions passionnées, du moins chez monsieur tout le monde. C’est que la violence contre la femme et dont le harcèlement sexuel partant de l’agression verbale à l’abus sexuel, en passant par certaines pratiques de rabaissement et dans les rues, sont devenus le pain quotidien de toutes les femmes.

Quand le harcèlement sexuel, défini par les psychiatres comme un acte violent lié à une agression orale ou physique, a été abordé par les associations militantes en matière de droit de la femme, l’allusion est faite à certaines pratiques qui peuvent s’exercer de façon verbale ou physique et qui deviennent une réalité quotidienne pour des millions de marocaines.
Que pensez-vous des hommes qui suivent les femmes dans les rues et leur profèrent des insanités ? Des garçons qui tirent les filles par leurs vêtements ? Pis encore, que pensez-vous des hommes, qui, en pleine circulation routière, coincent une femme au volant, pour la serrer vers la droite ou la gauche, l’abreuvant de mots et gestes à la limite de la vulgarité, quand ils ne sont pas carrément obscènes ?

Ces pratiques qui sont classées par les psychiatres en tête et peuvent provoquer un abus sexuel et donc un harcèlement poussé au maximum, sont intolérables pour la plupart des femmes. Pour convaincre de la nécessité d’une telle loi, il suffit de poser la question suivante : peut-on savoir ce que ressentent les femmes devant un acte d’harcèlement sexuel ?

Si une telle loi ne devrait pas seulement être mise en vigueur, mais appliquée avec rigueur et son manquement devrait donner lieu à une sévère sanction, c’est parce que les répercussions qu’endurent les femmes victimes, ne sont jamais anodines. Mohcine Benyechou, sexologue psychiatre, explique sans équivoque, que la femme harcelée, est toujours une personnalité entière qui est ébranlée, et une remise en cause totale de sa personnalité s’opère paradoxalement, quelles que soient les circonstances et les formes de violences subies. D’une manière générale, les femmes ressentent de la honte et de la culpabilité. La honte de ce qu’elles ont subi comme agression de leur intimité et une atteinte à leur intégrité physique et psychologique. Culpabilité de n’avoir soi-disant opposé aucune résistance, ou encore de « l’avoir bien cherché ». D’où la nécessité d’une loi qui part en guerre contre cette forme d’incivisme renvoyant par la même, la société marocaine à ses torts et travers.

Sans doute, les femmes n’acceptent plus de continuer de se morfondre dans certaines considérations sociales, comme les effets pervers du harcèlement sexuel. « Le moment semble venu d’élargir le champ des droits de la femme et les revendications humanitaires et culturelles, doivent également viser la sanction et s’y attaquer » précise une militante des droits de l’homme.

Najat Drif, femme militante dans le milieu associatif, confirme que ce projet est fortement sollicité et mettra en évidence une loi fortement attendue. Elle a ajouté que « pour ceux qui disent que la loi sanctionnant le harcèlement sexuel notamment, celui pratiqué sous ses formes les plus extrêmes dans la vie publique, est un rêve, il faut répondre en soulignant qu’au fil des ans, les contestataires d’hier, sont devenus les partenaires de ces rêves devenus réalité aujourd’hui, comme ils le seront pour ce projet de loi demain ». Rappelons que le statut personnel qui a été un souhait pour prendre la forme de sujet à débattre puis est remonté au plus haut niveau de la hiérarchie du pouvoir pour que l’arbitrage royal soit imposé.

La société civile a fini par s’imposer comme un acteur incontournable dans toutes les grandes décisions qui engagent l’avenir du Maroc. De sa part Kardoudi, avocat, rappelle que la globalisation et les pressions de la communauté internationale ont certes beaucoup fait pour accélérer tout processus élargissant le champ des droits de la femme en général et sur le plan du harcèlement sexuel en particulier.

Les harceleurs persistent et signent

Effectivement, tous les jours, des femmes sont abusées, humiliées, agressées, violées, battues, exploitées, voire même tuées. Malheureusement l’auteur de ces actes est « l’autre sexe ». Cet espèce d’« homme », envers qui la femme éprouve un amour profond dans l’entourage le plus proche, car il s’agit du papa, du frère, de l’autre moitié et du fils.
Pour confirmer l’ampleur d’un tel phénomène, les lieux et les personnes ne manquent pas. Plusieurs femmes confirment l’existence du harcèlement sexuel dans le milieu des universités et des lycées et que ce phénomène est de plus en plus fréquent. Peut-être qu’une simple visite à l’un des lycées de Casablanca est largement suffisante pour dévoiler une réalité bien répandue au Maroc : le harcèlement commis par les enseignants et les administrateurs.

Réclamant l’anonymat, Samira. R, 18 ans, a subi un harcèlement sexuel au lycée par un de ses professeurs, est toujours sous le choc de la souffrance psychologique : « je me vois attribuée des notes presque éliminatoires alors que je suis brillante en la matière. Quand j’ai posé la question, le professeur a répondu que si je désire une bonne note, voire même 20/20, il faut que je passe dans son lit ».

Pour se protéger, Samira a été contrainte de changer de lycée. Souvent, la victime terrorisée par la gravité de l’événement et l’effroi qu’il génère, garde le silence et s’interdit d’en parler par peur de violer un tabou. Cette attitude comportementale de Samira est aggravée par l’absence d’un système de contrôle ou de révision de note. Combien celles qui sont conscientes de lâcheté de leur entourage préfèrent se taire. Le phénomène est écœurant quand on apprend que le harcèlement sexuel est plus fréquent dans les rangs de l’enseignement supérieur. Fatiha. T refusant de céder aux caprices d’un professeur universitaire qui avait bloqué son inscription au 3ème cycle, a quitté le Maroc vers la France afin d’y poursuivre ses études supérieures. Cette directrice du département Marketing auprès d’une filiale, leader international, déclare qu’il est temps de s’aligner sur ce qui se passe un peu partout dans le monde où on condamne le harcèlement sexuel comme étant un délit, afin de rendre justice aux femmes, dans toutes les classes sociales. La réalité est que le harcèlement est un fait social qui se retrouve de façon transversale dans tous les domaines.

La vérité n’a aucune exception et le phénomène se propage pour toucher le milieu des activités économiques et où les femmes subissent de façon significative le harcèlement sexuel.

Cette fois ci, ce sont des femmes cantonnées dans des emplois précaires qui confirment qu’au sein des usines, les responsables véreux ne laissent pas les femmes bosser en paix. Pour elles, souvent le harcèlement commence par des avances verbales, des gestes, une invitation qui se transforme dans sa forme la plus intolérable, qui est celle de passer à l’acte sexuel. Face à la question avez-vous cédé ? Êtes-vous passée à l’acte ? L’indignation est réelle : « bien sûr que non ! Mais nous subissons le martyr, des pressions psychologiques monstres … ». Si le Code du travail considère le harcèlement sexuel comme étant une faute grave, et que le droit peut prononcer une condamnation à une peine d’emprisonnement allant d’une à deux années et dh à 55.000 DH contre toute personne coupable de une amende de 5.000 harcèlement sexuel, les femmes seraient sûres d’une chose : la perte de leur emploi. Quand le sujet de harcèlement est évoqué, ce ne sont pas seulement les usines qui sont montrées du doigt. D’après les spécialistes du marché de l’emploi, ce sont les femmes dans les secteurs informels qui subissent le plus ce calvaire. Des femmes qui ont toutes le même profil. Elles sont analphabètes ou ont quitté l’école à l’âge jeune. Mina, 32 ans, victime de l’exode rural use ses années de jeunesse dans un café restaurant. Faute de salaire convenable, elle accepte de passer la nuit au café en contrepartie d’un rapport sexuel forcé. D’après elle, au début, le propriétaire a pratiqué le harcèlement du 1er degré, pour aboutir au stade suprême : le viol « qui est défini avec précision par les psychiatres comme étant le fait que la femme cède à un rapport sexuel sous un sentiment de rejet de l’acte régi par le silence et un refus intériorisé ».

Ce n’est pas seulement cette tranche de femmes analphabètes qui est vulnérable à l’harcèlement sexuel, mais aussi les femmes d’un certain niveau de formation qui subissent les avances de responsables violents ou frustrés sexuellement.
Il parait que le phénomène est en recrudescence.

Une loi nécessaire, mais insuffisante

Comment s’en sortir ? Comment réduire le harcèlement sexuel et rendre les femmes moins vulnérables ? D’après Raynond Boudon, sociologue mondialement réputé, la personne humaine, loin d’être le jouet des déterminismes sociaux, joue, en dépit de certains effets pervers un rôle décisif dans la construction des systèmes sociaux. Quels sont les instruments mis en place au Maroc pour construire un système social bâti sur des relations homme/femme, loin de toute forme de harcèlement sexuel. Pour la première fois dans les annales de la législation marocaine, le harcèlement sexuel dans la vie publique, sera soumis à un code de sanction. Certes une loi est nécessaire, mais est-elle suffisante ?

Déjà la loi sur le harcèlement dans le milieu du travail existe et date de 2004, mais elle est loin de protéger la femme contre des pratiques provoquant des souffrances psychologiques entravant sa liberté et réduisant son droit.

D’après Nasser Khalifa, responsable des ressources humaines auprès d’une chaîne de production touristique les discriminations à l’encontre des femmes et les inégalités dont elles souffrent, sont malheureusement des facteurs renforçant le harcèlement sexuel.
Pour réduire le harcèlement à l’image des occidentaux, il faut revenir à la base de la discipline, réviser le système d’éducation, renforcer la politique de scolarisation et instaurer des programmes structurels de lutte contre la pauvreté. Il est clair que les moyens de lutte contre le harcèlement ne se limitent pas au simple fait de dicter une loi, mais il faut mettre en place les instruments nécessaires pour veiller à son application. Il est clair que le harcèlement sexuel relève de pratiques portant atteinte à l’intégrité physique et morale de la femme, il provoque des répercussions graves sur la psychologie de la douce moitié de la société et entrave ses activités normales. Etablir une loi c’est bien, mais le phénomène est beaucoup plus complexe, qu’il nécessite la combinaison des efforts de plusieurs acteurs.

Les chiffres

Il ressort d’un rapport établi, sur la base des appels téléphoniques reçus au numéro vert, par le secrétariat d’Etat Chargé de la famille de l’enfant et des personnes handicapées, durant la période allant du 26 janvier et le 13 octobre 2006, la réalité chiffrée est la suivante :

• 11.681 cas de violence et agressions dans le cadre conjugal et dont la victime est l’épouse
• 27.795 cas d’agression et de violence en dehors du cadre conjugal
• La moyenne mensuelle des appels téléphoniques ayant pour objet une déclaration de violence ou/ et d’agression s’élève à 1600
• 94.2% des appels téléphoniques émanent des femmes victimes elles-mêmes.
• 94% des femmes victimes résident dans les grandes villes et dont 33% sont reparties entre Casablanca Agadir, Marrakech et Fès.

Dans le cadre conjugal :
• 33.5 % sont des femmes victimes d’agression et de violence physique
• 4.4% sont des femmes victimes de violence sexuelle
• 17.1% sont exposées à des agressions orales

Dans le cadre hors conjugal :

• 40.8% cas d’agression et de violence sexuelle
• 24% cas d’agression et violence psychique
• 3.9% cas d’agression et violence physique

Portrait-robot de l’harceleur

Selon la typologie largement usitée par tous les psy, on distingue trois types d’hommes qui résistent mal à l’envie de harceler tout jupon qui passe devant eux : le narcissique, qui utilise le harcèlement pour valoriser son image, l’impuissant, qui se venge (il doute de sa puissance sexuelle et utilise son autorité pour se donner de l’assurance, pour se rassurer ; cet homme n’ose pas aborder une femme dans le cadre d’une relation normale et il profite de sa position hiérarchique pour se donner l’impression d’une puissance sexuelle qu’il n’a pas) et enfin le pervers, le sadique qui cherche à humilier sa victime. Chez tous ces hommes, ce qui les intéresse, c’est la position de pouvoir. Le sexe sert de prétexte. C’est pour cela que le harceleur choisit avec soin ses victimes, des femmes en position vulnérable qui n’osent pas se défendre, celles qui ont du mal à résister à l’autorité pour diverses raisons. Dans le harcèlement sexuel, on trouve plus le besoin d’humilier la femme et de la rabaisser.

Source : Gazette du Maroc - Fatima Zohra Jdily

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