Une loi anti-drague

4 mai 2008 - 12h34 - Maroc - Ecrit par : L.A

“Pss, Pss… Manchoufoukch azzine ?”. La formule est usuelle chez les dragueurs impénitents de la rue marocaine. Mais bientôt, ils devront tourner sept fois leur langue dans leur bouche avant de proférer pareilles sérénades. Un projet de loi veut en effet pénaliser le harcèlement sexuel sur la voie publique, la “drague” pour le commun des mortels. Selon ses (futures) dispositions, toute personne ayant
prononcé des paroles obscènes à l’adresse d’une femme dans un lieu public risque une peine allant d’un mois à deux ans de prison, assortie d’une amende variant de 1200 à 2000 DH.

Et personne n’est à l’abri : du collègue de travail indélicat au passant dans la rue à la main baladeuse, en passant par le gardien de la paix à la libido hypertrophiée. Et pour ce dernier, la “facture” prévue est encore plus lourde… Ce dispositif anti-drague constitue l’un des points phares du projet de loi relatif à la lutte contre la violence faite aux femmes. Un projet de loi que défend aujourd’hui, bec et ongles, Nouzha Skalli, ministre du Développement social et de la famille, mais dont l’initiative revient à sa devancière au même fauteuil, Yasmina Baddou.

C’est en effet l’actuelle ministre de la Santé qui avait, au sein du précédent gouvernement, lancé une réflexion sur le sujet, impliquant différentes composantes de la société civile marocaine (notamment les associations féminines), en s’inspirant de l’expérience espagnole, l’une des plus concluantes en la matière. Il faut dire que la violence contre les femmes a connu ces dernières années une évolution plutôt alarmante. Si une récente étude, évoquée par Nouzha Skalli, a démontré que 80 % de la population masculine marocaine n’est pas violente, les un sur cinq restants, en manque de punching-ball, ont la fâcheuse tendance à se défouler sur la gent féminine. Et souvent, cela se termine par un drame. Il y a quelques semaines, un ingénieur de Rabat a assassiné sa femme et manqué de faire de même avec sa fille. Emue en apprenant le drame, Nouzha Skalli, nous a déclaré : “Ce genre d’actes doit cesser rapidement. La femme ne doit plus être agressée, ni dans la rue ni chez elle”.

Une loi dissuasive

Le nouveau projet de loi devrait bientôt emprunter le circuit législatif. Un texte qui, selon la mouture actuelle, devrait donner au juge toute latitude pour décider l’éloignement du mari violent du domicile conjugal pour y faire revenir l’épouse et les enfants. Il pourra aussi interdire à celui-ci de s’approcher ou d’essayer de prendre contact avec eux.

Ce projet de loi à l’étude, plutôt novateur, a pourtant fait des insatisfaits dans les rangs des féministes du royaume. Pour beaucoup, en l’absence de protections suffisantes, qui épargneraient autant de violences aux femmes, une loi à but uniquement punitif ne serait pas la solution idoine. Ainsi, Nezha Alaoui, présidente de l’Union de l’action féminine (UAF), aurait souhaité que “la loi ne soit pas seulement dissuasive et qu’elle intervienne dans un cadre plus général : de l’étude du phénomène à la protection de la femme et enfin la sanction”. Son de cloche similaire du côté de Fatima Maghnaoui, présidente du Centre d’écoute et secours destiné aux femmes violentées. “Il faudrait d’abord instaurer une culture d’égalité entre les sexes, de droits de l’homme et de citoyenneté. Et ce rôle incombe aux parents, aux professeurs, aux médias et à la société civile, argumente-t-elle. Il faut se pencher sur la prévention d’abord, et pas seulement la sanction”. Et de citer l’exemple espagnol, où, dès leur plus jeune âge, les citoyens sont initiés, à travers des émissions pédagogiques, des livres scolaires et les médias, à l’égalité entre les sexes et à la stigmatisation de la violence faite aux femmes.

“Les Marocaines ne sont pas moins citoyennes que leurs homologues du sexe masculin. Elles sont à même de pouvoir défendre leurs droits”, réplique Nouzha Skalli, défendant mordicus la substance du projet de loi, avant d’ajouter que le texte élaboré par son département “est soumis au débat et reste ouvert à toutes les idées”. Quitte à retarder la promulgation de la loi ?

TelQuel - Abdelmajid Faraji

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Yasmina Baddou - Lois - Harcèlement sexuel - Femme marocaine - Nouzha Skalli - Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social

Ces articles devraient vous intéresser :

Appel à lutter contre la mendicité au Maroc

Le niveau de pauvreté et de vulnérabilité n’a pas baissé au Maroc. En 2022, il est revenu à celui enregistré en 2014, selon une note du Haut-Commissariat au Plan (HCP) publiée en octobre dernier. Une situation qui contribue à la hausse de la mendicité...

Maroc : Les femmes toujours "piégées" malgré des avancées

Le Maroc fait partie des pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord qui travaillent à mettre fin aux restrictions à la mobilité des femmes, mais certaines pratiques discriminatoires à l’égard des femmes ont encore la peau dure. C’est ce...

Maroc : pas de congé menstruel pour les femmes fonctionnaires

La proposition de loi visant à instaurer un congé menstruel, d’une durée ne dépassant pas deux jours par mois, en faveur des femmes fonctionnaires n’a pas reçu l’assentiment du gouvernement.

L’humoriste Taliss s’excuse après avoir insulté la femme marocaine

L’humoriste Taliss de son vrai nom Abdelali Lamhar s’est excusé pour la blague misogyne qu’il a faite lors d’une cérémonie organisée en hommage aux Lions de l’Atlas qui ont atteint le dernier carré de la coupe du monde Qatar 2022. Il assure n’avoir pas...

Vers une révolution des droits des femmes au Maroc ?

Le gouvernement marocain s’apprête à modifier le Code de la famille ou Moudawana pour promouvoir une égalité entre l’homme et la femme et davantage garantir les droits des femmes et des enfants.

Code de la famille : les féministes marocaines face à l’opposition de Benkirane

Le secrétaire général du Parti justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a vivement critiqué le mouvement féministe qui milite pour l’égalité des sexes dans le cadre de la réforme du Code de la famille, estimant que son combat vise à...

L’actrice Malika El Omari en maison de retraite ?

Malika El Omari n’a pas été placée dans une maison de retraite, a affirmé une source proche de l’actrice marocaine, démentant les rumeurs qui ont circulé récemment sur les réseaux sociaux à son sujet.

Ramadan et menstrues : le tabou du jeûne brisé

Chaque Ramadan, la question du jeûne pendant les menstrues revient hanter les femmes musulmanes. La réponse n’est jamais claire, noyée dans un tabou tenace.

Le Maroc confronté à la réalité des violences sexuelles

Les femmes marocaines continuent de subir en silence des violences sexuelles. Le sujet est presque tabou au Maroc, mais la parole se libère de plus en plus.

Femmes ingénieures : le Maroc en avance sur la France

Au Maroc, la plupart des jeunes filles optent pour des études scientifiques. Contrairement à la France, elles sont nombreuses à intégrer les écoles d’ingénieurs.