Jeunes entre religion et politique : La confusion des genres

30 octobre 2002 - 09h13 - Maroc - Ecrit par :

L’utopie, les jeunes islamistes marocains l’ont déjà peaufinée : faire de ce monde un havre de paix, l’Eden avant l’Eden éternel. Alors que pour d’autres jeunes, c’est la logique du “laisse-toi aller” qui prédomine. Entre donc deux catégories de jeunesse extrêmement différentes, la notion du juste milieu reste une dialectique peu probante.

Le “retour du religieux” chez les jeunes marocains, comme par ailleurs dans le monde arabo-musulman, est né, d’après un observateur, d’une explosion à multiples dimensions : socio-culturelle, politico-économique et identitaire. De l’association légaliste Al Isslah wa Attajdid à l’association semi-clandestine d’Adl wal Ihssane, force est de noter une certaine spécificité relative à toute mouvance islamique. Il n’en reste pas moins qu’elle réside dans le degré de “participationnisme” au jeu public que dans la nature de la culture politico-religieuse véhiculée par chacune des mouvances oeuvrant dans le terrain. Quelles que soient donc les différences dans la forme, la mouvance islamiste présente des traits communs : la population-cible d’abord. La mosquée, dans ce schéma, devient le prolongement des Jamaâ, un espace du glissement de la prédication (Daâwa) à la critique.

Les faits

Samedi 20h, quartier Foncier, précisément rond point Shell, sur le boulevard Mohamed V à Casablanca, une bonne partie de jeunes, apparemment tout droit sortis d’une mosquée, discutent d’un sujet d’Islam. Juste en face, une demi-douzaine d’autres jeunes, consomment de l’alcool et fument du cannabis à tour de rôle . Des scènes analogues sont remarquées également dans plusieurs quartiers de la capitale économique du pays. D’un côté, une catégorie de jeunes parvenue et s’adonnant à une vie de luxure (Coul Raoul, peaceful, Hania...d’après leur langage), alors que de l’autre côté, une population du même âge se consacre aux valeurs sacrées de la religion musulmane avec tout ce qu’elle compte de prières, de devoirs et d’obligations. Abdelaziz, 32 ans, fonctionnaire dans une campagnie d’assurance, fait partie des jeunes Islamistes. Pour lui, l’expression intégrisme ou extrémisme sont des mots provenant de l’Occident particulièrement des Etats Unis d’Amérique, et utilisés à profusion pour faire croire au monde que l’Islam est une source de terrorisme et de peur ... “ Pour ma part je ne peux m’empêcher de conseiller à tous les jeunes et moins jeunes de mon entourage, qui pratiquent des actes interdits par l’Islam, de se remettre en bonne voie”, dit Abdelaziz qui est un membre actif de la Jamâa Attabligh. Quant à Saïd, 37 ans, sans emploi, le changement provient essentiellement de l’Islam. “ Je suis chômeur et mon cas serait encore pire si je ne faisais pas la prière”, dit-il. Ce jeune homme qui aime également écouter discrètement le Blues et les Pink Floyd a tenu à nous préciser que les gens qui fréquentent les mosquées et font “ Daâwa” ne sont pas des intégristes. Mêmes remarques chez Karim et Driss, que La Nouvelle Tribune a vus en train de discuter avec trois jeunes du quartier, dans le cadre de ce qu’ils appellent Daâwa, sur les bienfaits de la prière en Islam. Il est à signaler que ces jeunes Islamistes qu’on a pu rencontrer ont tous refusé de nous répondre sur des questions à caractère politique telles que les élections, le nouveau Premier ministre, les partis politiques, etc. Pour d’autres jeunes, c’est la “vie sans complexe”. Saâd, 29 ans, aide commerçant, a sa propre vision des choses. Pour avancer, explique-t-il, il faut briser les tabous. Khalid 26 ans, étudiant, est on ne peut plus clair : “ à ma poche de droite, j’ai ma carte d’étudiant et dans l’autre j’ai des préservatifs et un “tarf d’lahchich”...” Désoeuvré et le plus souvent pas une “thune” en poche, il réserve le clair de son temps à peaufiner ses besoins. Avec ses potes de la Fac, il aime être entouré tout le temps de Nanas. Hicham, 32 ans, clerc de notaire, a un programme très chargé le week-end avec son copain. En effet, pour terminer la semaine en beauté, ils attendent le plus souvent que survienne la nuit profonde pour fumer, boire du vin et honorer leurs gonzesses. Fatine, 24 ans, comme Bouchra 22 ans et Wafa 28 ans, toutes divorcées, regrettent leur engagement dans le mariage à un très jeune âge . “ Après le divorce, l’on peut dire qu’on mène une vie libre et sans complexe puisqu’on peut faire tout ce qu’on veut...”, prétendent-elles. En abordant des questions d’actualité avec Hicham, Saâd, Khalid, Fatine, Bouchra et Wafa, l’on a pu constater chez eux une certaine maturité politique.

Pour eux, les nouveaux élus, même s’ils sont probablement pleins de bonne volonté, ils sont rapidement gâtés par l’exemple de leurs prédecesseurs, dès qu’ils ont un poste de responsabilité ils deviennent comme eux, uniquement préoccupés par leur réélection, car ils envisagent leur situation comme une carrière qu’il importe de faire durer. Il faut aussi, selon eux, que les programmes des partis viennent plus tard une fois que les Marocains sont persuadés qu’ils sont gouvernés et non pas utilisés par une classe politique qui vit à leurs dépens.

Gouverner pas instrumentaliser

Bref, ils veulent être gouvernés mais non pas instrumentalisés. Dans ce contexte autant de questions se posent. Quel est en fait le point commun entre eux ? Quelles sont leurs attentes ? Sommes - nous devant la naissance d’une nouvelle génération de jeunes ? A qui incombe le devoir d’éviter toute sorte d’extrémisme et d’assurer le juste milieu ? M.Khalid Naciri, professeur de sciences politiques reconnaît l’ampleur du phénomène. Pour lui, apparemment rien ne les unit puisqu’il s’agit d’un côté d’un extrémisme droitier et intégriste et d’un autre d’une autre sorte d’extrémisme sous forme d’une “fuite en avant” qui est un choix qui ne peut être qu’en faveur de l’intégrisme. Cette seconde fraction de jeunes qui se considèrent non concernés par les choses politique et publique du pays, explique M. Naciri et qui pensent qu’ils peuvent trouver leur épanouissement dans cette “fuite en avant” se trompent très lourdement et risquent de miner toute tentative ou projet de progrès. Pour ce qui est de la jeunesse qui a trouvé un exutoire dans le comportement intégriste, là encore se pose un véritable problème car ce n’est en aucun cas une solution aux conflits sociaux et existentiels auxquels elle est confrontée : là effectivement c’est une démarche révolutionnaire qui a été canalisée et captée par les forces rétrogrades. Pour les autres jeunes qui se jettent dans la “fuite en avant”, M. Naciri qualifie leur comportement de négatif à tous les niveaux dans la mesure où la logique veut que pour changer une société on doit s’y impliquer et non pas rester à côté de la plaque. En somme, dans les deux cas, le réveil, conclut-il, risque d’être brutal et douloureux.

H.Z. pour la Nouvelle Tribune

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