L’amazighité : une marocanité spoliée d’un Maroc pluriel

15 août 2003 - 21h44 - Culture - Ecrit par :

C’est sur une chaîne française, LCI, que j’ai appris que le président A. Bouteflika, a annoncé que la langue amazighe sera désormais une langue nationale en Algérie.

Cette décision, qui fera l’objet d’une réforme constitutionnelle à venir, a été rejetée par les responsables des Comités des Aarouchs. N’est-ce pas là une réponse "décomplexée" du pouvoir algérien voisin au dernier discours de S.M. le Roi annonçant la création d’un "Institut royal de la culture amazighe" ? Surtout que la presse internationale et de nombreux sites Internet avaient salué l’initiative du Souverain avec un enthousiasme qui n’avait d’égal que celui de nombreux pans de la société marocaine. Je n’ai pas pu m’empêcher de le croire. Alors même que la question, chez nous, ne devrait pas, en principe et vue notre histoire plusieurs fois séculaire, poser de problèmes.

Car, il faut le reconnaître, l’histoire du pays est une histoire fondamentalement amazighe. Même si elle s’est confondue, entre le IIe millénaire av. J.C. et le VIIe siècle de l’ère chrétienne, avec l’histoire de ses colonisateurs, surtout celle de Rome où étaient presque toujours scellés, au Sénat, les destins de Massinissa, de Jugurtha ou de Juba, elle commençait à s’adapter au contexte d’islamisation progressive imposée après l’occupation arabo-musulmane. Cette dernière époque s’est caractérisée essentiellement par l’effort de plusieurs dynasties, ayant pour support social des ruraux amazighophones, de concilier leur idéologie du pouvoir avec la réalité culturelle du pays. Ainsi, des dynasties amazighes, tantôt chi’ites ou kharidjites, tantôt sunnites malékites, se sont succédées sur le pouvoir ont adopté, sans que cela ne leur pose problème, la langue berbère, en tant que langue liturgique et administrative. Des Berghouata, le premier Etat véritablement marocain (744 ap. J.C), aux Zénètes Mérinides, passant par les Awraba de la principauté Idrisside (788 ap. J.C), des Banou Abi Al Afia les Meknassa, des Banou Ifren les Zénatiens, des Almoravides Sanhadja, des Almohades Masmouda, et jusqu’aux successeurs des Mérinides, les Sanhadja Banou Wattas, l’Amazigh a toujours trouvé place aux rouages du pouvoir.

Aussi, le caractère amazigh du Souss al aqsa (le Maroc) n’a jamais été mis en cause par les historiographes locaux ou arabes. Dans cette contrée, la langue amazighe a continué de coexister avec la langue arabe. Malgré son statut de langue du sacré, elle n’avait pas l’exclusivité du domaine de la production religieuse. En effet, plusieurs ouvrages de la jurisprudence islamique (Fikh) ont été écrits en langue amazighe depuis le fameux livre d’Ibn Toumert l’almohade, les fragments de l’historiographe al-Baïdaq jusqu’aux écrits marginaux de Mokhtar Es Soussi. Le prêche du vendredi et l’exégèse des textes sacrés étaient également faits en amazigh. D’ailleurs, la méconnaissance de l’Arabe n’a pas empêché Yusuf ibn Tashfin de jouir d’une notoriété publique et d’exercer la fonction d’emir el muslimin (Commandant des Musulmans). Et il semble qu’il n’était pas le seul parmi toute l’élite gouvernante almoravide. C’est ce qui explique le caractère bicéphale de ce mouvement de moines guerriers : aux Sanhadja l’exercice du pouvoir " temporel " et celui des armes, et aux Fuqaha-s, maîtrisant à la fois la langue arabe et la science religieuse, l’exercice du pouvoir religieux. A quelques différences près, les Almohades allaient reproduire le même modèle.

Plus tard, les Mérinides vont détruire, pour des raisons purement politiques et d’équilibre militaro-ethnique, cette structure adaptée à la réalité du pays, mais il ne faudrait pas oublier qu’ils furent "victimes" de deux calamités principales : la première est qu’ils furent principalement des "bandits de grands chemins" nomadisant dans l’actuel "Zab" algérien et l’oriental marocain, et qui se sont trouvés, sans qu’ils n’y soient préparés, des Rois à part entière dans une capitale qu’ils méconnaissaient : Fès ; la seconde est que, en tant que segment certes important de la confédération zénète, ils n’étaient pas en nombre suffisant pour faire face militairement à un milieu qui leur était hostile. C’est ce qui les avait poussés à "louer" les services des quelques arabes (les KHLOTE et les RIYAH) arrivés au Maroc consécutivement à la célèbre invasion hilalienne, et de certains autres groupes chassés par la " la Reconquista " espagnole dont de nombreuses familles juives. Désormais, un embryon de makhzen arabe s’installe aux côtés des sultans reproduisant sans vergogne ce que Si Mohammed Chafik appelle " les pratiques politiques héritées des empires sassanides, ghassanides et des roitelets andalous " qu’ils baptisaient, et qu’ils continuent à baptiser à tort, " pratiques politiques islamiques ", rejetant tout ce qui était institution berbère ou assimilée comme étant " œuvre impie " et anti-islamique . D’ailleurs, la " SIBA " n’était-elle pas toujours perçue par ce Makhzen comme une insurrection permanente contre le " Chra’a " et l’Imam dont il avait la garde ?! Alors que tout le monde sait, aujourd’hui, qu’elle était une forme évoluée de revendiquer une identité spoliée et une participation à la gestion des affaires de l’Empire. C’était, et c’est encore, d’une véritable marginalisation de la majorité qu’il s’agissait. Le même Si Mohammed Chafik n’a pas manqué de souligner dans " le Manifeste amazigh " que, jusqu’à un passé récent, les Berbères n’avaient pas droit au chapitre s’agissant de certains postes politiques et administratifs dans un état dit indépendant.

Ce " bloc historique " échafaudé par les Mérinides visait en fait un double objectif : marginaliser les Chorfa fassis qui étaient majoritaires, ce qui aboutit à la construction de la " nouvelle Médina de Fès " devenue capitale " administrative ", et faire face à leurs cousins Sanhadja et Masmouda du Sud du pays dont Marrakech était le symbole. Et c’est de cette politique qu’a découlé l’arabisation progressive du Gharb, de Tamesna (Chaouia), de Doukkala et d’autres contrées encore du fait que les " gens du makhzen " et de " l’armée " étaient fondamentalement arabes.

D’ailleurs Feu Sidi Mohammed Manouni n’a pas manqué, dans son livre " Feuillets : la civilisation marocaine à l’époque Mérinide ", de publier certains documents officiels de l’époque démontrant, à qui veut savoir et agir, que l’arabisation de certaines contrées marocaines a été entreprise par des actes du Souverain. Des dahirs royaux, en effet, sont venus mettre fin au bilinguisme, l’amazigh et l’arabe, dans le fonctionnement du Makhzen et dans la rédaction des ouvrages du Fikh et de théologie en général. Et ce fut possible grâce à une logistique institutionnelle et culturelle dont les fameuses " Medersa " mérinides constituaient l’épine dorsale. Et il allait de soi que la " malékisation " du pays s’ensuivait, mettant ainsi un terme aux débats rationnels autour de la " Chari’â " chers aux intellectuels almohades : acte définitif visant à verrouiller définitivement les " portes de l’Ijtihad " au Maroc.

Ce schéma, digne du paradigme gramscien de " l’hégémonie et de la classe hégémonique ", a été largement exploité et fonctionnalisé par le mouvement dit " national ", ainsi que par le pouvoir de l’Etat indépendant. Mais je pense que si ce modèle était utile pendant la lutte anti-coloniale pour cimenter les marocains contre un seul " ennemi ", il est devenu aujourd’hui sans objet et franchement caduque. A titre d’exemple, je n’ai plus de complexe, et beaucoup de Marocains sont dans le même cas, à percevoir ce que les " nationalistes " appelaient " dahir berbère " comme étant le dahir le plus démocratique de toute l’histoire de la production juridique et politique de notre pays. Car qui de nous, hormis ce qui reste encore des adeptes du nationalitarisme nassérien ou ba’atiste, ou faussement islamiste, s’opposerait à ce que nos tribus soient " régies et administrées selon leurs lois et coutumes propres sous le contrôle des autorités " ( Dahir du 11 septembre 1914) ; et que les compétences des caïds soient transférées aux organes délibératifs des Djemaâ (article 1 du Dahir du 16 mai 1930) ?! N’est-ce pas là la forme la plus évoluée de la démocratie ?! Certes, ce n’est là qu’une hypothèse anachronique d’un esprit rêveur me dira-t-on et je peux en convenir, mais elle a au moins le mérite de servir d’unité de mesure du degré de la démocratisation du pays loin des intérêts de la bourgeoisie faussement nationale et de ses intellectuels appointés.

Car aujourd’hui, que demandent avec insistance les associations du mouvement baptisé " amazigh ", puisqu’il s’agit en fait de Marocains assoiffés de démocratie et de revendication participative, et en aucune manière motivés de rancune ethnicisante, puisque nous ne sommes pas en Algérie où les Imazighen sont minoritaires ?! Car, ne perdons jamais de vue que ces jeunes et moins jeunes, les épiciers ou garçons de café comme les notables richissimes et jusqu’aux intellectuels, sont fiers de leur culture arabo-musulmane et la revendiquent contre vents et marées.

Ils veulent, ni plus ni moins, rendre au Maroc ce qui lui a été renié, son amazighité. Reconnaître le caractère amazigh du pays, et élever la langue amazighe au rang d’une langue officielle constitutionnellement. Aux petits esprits qui objectent qu’une telle entreprise viserait à saper le fondement islamique de l’Etat et à instaurer, à plus ou moins longue échéance, la laïcité des institutions et de la société, je dirais qu’il y a des pays sur cette planète qui ont pour noms l’Iran, le Pakistan, l’Indonésie, la Malaisie, la Turquie et d’autres encore où on ne parle pas l’arabe. Bien plus, de fortes communautés musulmanes vivent en pleine laïcité non seulement en Turquie, mais dans tous les Etats occidentaux et modernes. Et bien souvent nous y rencontrons des Musulmans bien meilleurs que les nôtres. Vous pouvez leur demander s’ils voudraient vivre chez-nous, qui ne sommes pas laïcs, et ils vous riront au nez. Ils sont convaincus que notre religion est profondément laïque. L’absence de laïcité engendre souvent l’intolérance et les guerres ethniques dont découle évidemment le terrorisme. D’ailleurs, c’étaient des Marocains musulmans, justement de l’époque almoravide et surtout almohade, qui enseignaient dans des universités andalouses les principes d’une laïcité primaire, la tolérance et le respect de l’autre. C’était alors à un moment où l’Inquisition battait son plein en Europe. Il ne saurait y avoir de démocratie ni de démocratisation sans un minimum de sécularisation, pour ne pas dire de " laïcité ", puisque celle-ci est fondamentalement une exception française.

D’autres " savants " de chez-nous avaient opposé aux Marocains que leur langue amazighe n’en était pas une selon les critères rigoureux de " leur " linguistique. Il ne s’agirait là que d’un dialecte appelé à disparaître un jour, mais en l’aidant un peu par différents moyens comme l’enseignement public et privé, l’utilisation des mass média, et bien sûr un arsenal juridique allant jusqu’à interdire aux Marocains de donner à leurs enfants des noms du terroir. Ils oublient, peut-être, que c’est le POUVOIR qui décide ce que doit être la langue et ce que doit être le dialecte. Tout le monde sait que tout pouvoir, quel qu’il soit, a une langue au travers de laquelle il exerce sa force symbolique et matérielle. Pendant longtemps, le Latin, langue du sacré par excellence puisqu’elle fut celle de l’Eglise, a été la langue officielle de la France, et qu’il était interdit aux Français d’écrire en patois local. Ce même patois qui a servi de support linguistique aux chef-d’œuvres de Rabelais. Et le pauvre moine qu’il était, écrivait ses livres en français, mais en cachette pour ne pas s’attirer l’ire de l’Eglise et de son bras séculier la Monarchie de l’époque. Mais une fois que l’Etat prit ses distances de l’Eglise, le latin devint une langue vivante facultative puisque supplantée par ce que l’on nommait patois local auparavant, c’est-à-dire le français. Français qui est devenu à son tour langue du pouvoir et même du sacré. Ce qui est en fait un signal préfigurant le début du déclin des privilèges, de tous les privilèges acquis sur le dos du petit peuple depuis des siècles.

Nous ne constituons pas l’exception, et nous ne la constituerons jamais. Chez-nous aussi la langue arabe est officielle parce qu’elle est langue du pouvoir et non parce qu’elle est langue du sacré et du Coran. Chez-nous aussi, la question de l’amazighité du Maroc et la nécessité de rendre la langue amazighe langue officielle est une question qui revendique l’abolition des privilèges, aussi bien matériels que symboliques. Car, rendons-nous à l’évidence, le " berbère ", à l’instar de son frère jumeau le dialectal arabe, n’est il pas la langue usuelle du petit commerce de proximité, et des souks hebdomadaires du pied-mont , de la montagne, et des plaines, en un mot la langue des va nus pieds ? Et la langue officielle, l’arabe, n’est-elle pas la langue du pouvoir symbolique revêtu du manteau de la légitimité religieuse et politique, et qui présente son détenteur comme la source de la Vérité absolue ? Qui de nous, intellectuels que nous sommes, peut-il prétendre comprendre ce que dit ou écrit Abdessalam Yassine, à supposer que ses paroles aient un quelconque sens ? Car pour ses ouailles analphabètes pour la plupart, et pour certains d’entre nous peut-être, l’essentiel n’est-il pas le support linguistique de son discours qualifié pour la circonstance par les psycholinguistes de discours phatique ? N’a-t-on pas vu dans un passé récent des parlementaires somnolant à l’intérieur du Parlement. N’entendant souvent que le berbère ou le dialectal, ils préfèrent s’assoupir dans leurs sièges pendant que les ministres s’époumonaient dans la langue de Sibaouayh pour leur expliquer les politiques publiques (en fait l’absence de celles-ci) dans notre pays. Ils ne se rompent leur sommeil que pour applaudir ou voter " oui " des " décisions " dont ils ignorent l’objet ? Et le français avec l’anglais, l’espagnol, et bientôt le japonais, ne sont-ils pas les langues du Vrai Pouvoir ? Celui de l’économie, des banques, de la finance, de la grande entreprise et de la puissance. Car il faut bien le souligner, la langue arabe génère une stratification binaire de la société marocaine. Sa maîtrise dote son sujet de l’exercice d’un pouvoir, le plus souvent symbolique, mais dominant. L’analphabète, sous entendu celui qui ne parle que l’Amazigh est fatalement un soumis puisque incapable de comprendre ce que " les puissants " pensent et disent, et encore moins de débattre avec eux.

C’est pourquoi il me semble que rendre l’amazigh langue officielle c’est saper les fondements du pouvoir des privilégiés, c’est-à-dire des politiciens, des puissants, et des profiteurs au nom de " l’arabisme ", de " l’Islam " et de la " langue arabe officielle et sacrée ". Le petit peuple pourra enfin dialoguer et discuter des programmes politiques et des politiques publiques qui ne seront plus l’apanage de ceux qui " savent " parce que initiés par le truchement de la langue officielle élevée, à tort, au rang de la " sacralité ", à l’instar de l’initiation ésotérique des Boutchichi et autres souffis.

C’est dire que la revendication amazighe, s’inscrivant dans le cadre d’une lutte pour la démocratisation du pays et pour l’égalité de tous politiquement et économiquement, est fondamentalement politique. Car n’oublions jamais que les tenants de l’arabisation tout azimut et de la langue arabe comme seule langue officielle du Royaume n’ont jamais daigné, et ne daigneront jamais donner à leur progéniture un enseignement et une formation arabe. Ils envoient les plus âgés dans les écoles américaines, canadiennes, et exceptionnellement françaises ; les moins âgés les placent dans la mission française ou américaine ; quant à ceux qui vont naître, les mamans sont envoyées au Canada pour l’accouchement pour que le nouveau né ait la double nationalité : on n’est jamais assez prudent avec les va nus pieds et ce qu’ils pourront faire demain !! C’est dire qu’en fait, même l’arabe reste l’enfant pauvre de notre vie collective puisqu’il n’est officielle que partiellement, que dans une instance du pouvoir symbolique que les élites du pays réservent aux démunis et refusent pour eux-mêmes et pour leur descendance. Il faut reconnaître que nous n’avons rien fait pour qu’il en soit autrement.

Juridiquement, il faudrait dire que tout au long de l’histoire constitutionnelle du Royaume, Feu Hassan II a toujours considéré la question de l’appartenance du Maroc et de sa langue officielle comme un véritable enjeu de surenchère dans sa lutte contre les " officiers libres " nationalitaires arabes du Moyen-Orient, et leurs ouailles du Mouvement dit National qui cherchait à monopoliser une patrie à eux seuls.

Ainsi, "La loi fondamentale du Royaume" promulguée par le Souverain défunt le 2 juin 1961 cristallisait cette surenchère surtout contre l’Istiqlal et l’U.N.F.P., dont la base sociale était constituée surtout de Marocains amazighs ! Voulant doubler ses deux rivaux politiques sur leur "gauche", il a tenu à ce que le texte, perçu à l’époque comme une constitution avant la lettre, mentionne dans son article premier que : "Le Maroc est un Royaume arabe et musulman", et que l’Etat est tenu de "dispenser l’instruction suivant une orientation arabe et islamique" (art.14), et qu’enfin "la langue arabe est la langue officielle et nationale du pays" (art.3).

Une année plus tard, les relations maroco-égyptiennes n’étaient plus au beau fixe, et une délégation amazighe aurait contacté le Roi pour le prier de bien vouloir reconsidérer la mouture de l’ancienne "loi fondamentale", dans la perspective de la préparation de la première véritable constitution du Maroc indépendant.

Dans le texte constitutionnel de décembre 1962 en effet, la mention "le Maroc, Etat arabe" disparut. La langue arabe continue à être la langue officielle du pays, mais elle n’est plus nationale, ce qui laisse le champ libre à un choix souverain de choisir la langue nationale du pays. Aujourd’hui encore, ce vide existe toujours dans la constitution de 1996. Le texte se contente, en outre, de faire du Maroc " une partie du Grand Maghreb " mais sans qualifier ce dernier outre mesure.

Les textes constitutionnels qui se sont succédés n’ont connu aucun changement en la matière jusqu’en 1992. Là, un virement spectaculaire s’est produit : le Maroc fait désormais partie "du Grand Maghreb ARABE", alors même que la langue arabe n’est toujours pas une langue nationale quoique officielle. Là encore, la surenchère est palpable. La révision est intervenue après la constitution de l’U.M.A. qui visait, en fait, à " amadouer " Kaddafi et neutraliser la Jamahirya libyenne dans le conflit du Sahara. D’un autre côté, la révision constitutionnelle en question préparait l’arrivée de l’alternance politique et la réintégration dans le jeu gouvernemental des anciens opposants, pour la plupart nationalitaires arabes à obédience ba’atistes. Enfin, la nouvelle constitution prenait en compte une nouvelle variable démographique et ethnique, celle de l’intégration des sahraouis qui sont en majorité des arabes Banou Hassâne, surtout les Ouled Dlim.

Alors que faire aujourd’hui pour satisfaire cette revendication marocaine somme toute légitime ?

Il me semble que depuis quelques années, et vu les avancées réalisées sur le chemin des libertés politiques, rien ne s’oppose plus à une reconnaissance de l’amazighité du Maroc, à une édulcoration de la mention "arabe" collée au "Grand Maghreb", et à une promotion de la langue amazighe en tant que langue nationale et officielle du Royaume, à côté, bien entendu, des langues arabe et Hassani. Le temps où le Marocain se contentait d’assumer des devoirs sans revendiquer ses droits est révolu. Je m’imagine mal, en effet, continuer à payer les impôts pour un gouvernement qui refuse de faire enseigner à mes enfants leur langue maternelle, et qui continue à leur inculquer, dans une langue, qu’il n’ont commencé à pratiquer tant bien que mal qu’à l’âge de cinq-six ans, une histoire de leur pays à faire dormir debout tout être sensé.

Considérons l’exemple d’autres nations plus évoluées que nous : la Suisse, la Belgique, l’Espagne, le Canada et d’autres pays encore, n’ont-ils pas prévu dans leur constitution plusieurs langues nationales et officielles, sans que cela ne menace leur unité nationale ? Ils ont compris, et depuis très longtemps, que la Nation n’est pas une entité forgée par une langue commune, contrairement à l’idéologie des Jacobins français. La Nation c’est plutôt un désir et une volonté de vivre en commun du fait de l’histoire commune avec ses beaux et mauvais jours.

Je sais qu’un pas gigantesque a été franchi par le Souverain. Un "Institut royal de l’amazighité " ne pouvait que réjouire tous les Marocains. Des tâches ardues l’attendent certainement : l’érection d’un socle commun des trois idiomes amazighs pour faciliter l’usage savant de la "nouvelle" langue nationale, la relecture de l’histoire du pays pour la débarrasser des irrationalités introduites par les lectures faussement "nationalistes", la préparation d’une logistique nécessaire et adaptée en vue de son introduction dans la vie publique et dans l’enseignement, et bien d’autres tâches encore plus ingrates. Souhaitons que tous, journalistes, chercheurs, enseignants, historiens, et militants de la société civile, soient à la hauteur du défit lancé par le Souverain marocain.

AGNOUCHE Abdelatif
Enseignant-chercheur. Faculté de droit de Casablanca.

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