Maroc : Je m’habille donc je suis

17 juin 2007 - 00h46 - Maroc - Ecrit par : L.A

Du 31 mai au 3 juin, le public qui s’est pressé aux concerts du Boulevard a affiché son goût pour les musiques urbaines jusque dans son habillement. Punk, metal, goth, hip hop, électro ou néohippies… Panorama des styles et des discours que revendiquent ces différentes tribus de jeunes.

« Objectif : ne jamais être en costume cravate ! » C’est le crédo d’Oussama, 25 ans, étudiant-chercheur en chimie supramoléculaire, qui arbore fièrement des dreads de six ans d’âge. « Bon, le costar, c’est sûr que je vais le porter un jour, je serai obligé, nuance ce fan de reggae issu de Hay Mohammadi. Pour l’instant je me paye le luxe de ne pas le faire ». En attendant, les chaussures inconfortables rejoignent la cravate aux orties. Son look décontracté et anti-marques, il l’assume « pour se la péter un peu et ne pas être le parfait Monsieur Tout-le-Monde ». Comme des milliers de jeunes de son âge, il apprécie le Boulevard car c’est un des « rares petits coins de liberté, loin de la famille, des profs et des policiers ».

Emergence de la jeunesse comme classe

Que les jeunes, adolescents ou jeunes adultes, aient besoin d’un espace pour se retrouver entre eux n’est pas nouveau. Qu’ils prolongent leurs goûts musicaux par leurs choix vestimentaires non plus. Ce qui l’est par contre, c’est qu’au Boulevard on découvre une pléiade d’allures et d’attitudes, beaucoup plus variées que ce qu’a connu la génération précédente, axée, elle, sur un mélange de hippie avec le style ghiwane. Une synthèse qui s’inscrivait dans la recherche d’une culture nationale. Aujourd’hui, les jeunes de 16-25 ans puisent dans les courants qui se sont multipliés dans le monde depuis la fin des années 70 (metal, gothique, punk, électro, hip hop) voire opèrent un retour aux sources, comme les néo-hippies, confortés par la mondialisation ultralibérale galopante. D’autant qu’ils ont eux-mêmes trouvé dans ces musiques un moyen propre d’expression.

Leur visibilité est accrue par le fait qu’ils sont devenus une cible commerciale, ce qui renforce leur existence en tant que classe à part entière, avec ses propres habitudes de consommation. Ils se sont forgé leurs codes. Pour le sociologue Jamal Khalil, le temps des communautés de quartiers (Hay Mohammadi, Derb Soltane…), immédiatement identifiables par leur langage, est révolu : « Il y a maintenant des espaces, concerts, festivals, comme le Boulevard ou Essaouira, où beaucoup de gens se retrouvent. Les jeunes doivent se reconnaître sans avoir à parler. Ils prennent le temps de construire une symbolique autour de leur corps pour montrer leur appartenance à une communauté. C’est moins une affirmation de soi qu’une affirmation de sa différence ».

Différenciation à deux niveaux

D’abord par rapport aux autres tribus de la même génération. « Je me sens unique », affirme Faza, 21 ans, en terminale, à fond dans le gothique. « C’est ma façon de m’exprimer. Je me sens forte, différente des autres », explique, quant à elle, Hind, lycéenne métalleuse. Différence ensuite par rapport aux parents. Un classique de l’adolescence. Quitte à assumer un quotidien houleux. « Faut pas mettre ça ! », semonce la mère de Hamza, metalleux de 19 ans. Pire pour Badreddine, punk hardcore désabusé « mon père est barbu »… Chez Ibtissam, jeune lycéenne voilée de 18 ans, on ne comprend pas qu’elle écoute tout le temps du metal. Pour avoir la paix, elle n’arbore sa panoplie que lors du Boulevard ou de concerts.

Pour beaucoup, néanmoins, c’est moins la famille que l’entourage social élargi qui est source de problèmes. Oussama a eu un père soixante-huitard et c’est la mère de Faza qui lui achète ses vêtements. Idem pour Mehdi et Mehdi de “Alech Kifech”. Sans aller jusque-là, la plupart des parents sont compréhensifs. Chez Ismaïl, punk bariolé, c’est « étudie bien et fais ce que tu veux ».

Par contre, dans la rue, le quartier ou l’école, c’est une autre paire de manches. « Quand le rasta était underground, on me faisait chier, juste avec les yeux. Dans le bus, des mamies me prenaient pour une fille. Aujourd’hui, c’est banalisé, mais on tient toujours des propos sur les rastas, des gens qui ratent leur vie, qui sont tout le temps camés, qui courent après les filles étrangères », explique Oussama. Les métalleux, eux, ne sont pas à l’abri des amalgames : « certains de mes profs me traitent d’“esclave de Satan” », déplore Adil, guitariste metal. Regards pesants, remontrances moralisatrices, et reproche de plagiat de modèles étrangers (notamment occidentaux)… quand ça n’est pas carrément des insultes.

Brèches dans une « société mkellkha »

Pour Jamal Khalil : « Ce qui dérange, ce sont les phénomènes de masse. Avec un rendez-vous comme le Boulevard, la différence devient réelle, elle prend forme. La société ne sait pas comment réagir ». Incertitude qu’il traduit de la manière suivante : « ma façon d’être n’est plus la norme, donc la meilleure manière de riposter, c’est de rejeter ». Mais le fait d’encourir les remontrances de la société n’empêche pas les jeunes d’assumer leur style et d’ouvrir des brèches. La télé diffuse un modèle, le public du Boulevard le répercute à sa manière et l’amplifie. « Il y a préférence pour les modèles occidentaux parce que des modèles locaux n’ont pas été créés, ni dans l’enseignement ni en politique ni dans les médias car un modèle a besoin de canaux et que la parole n’est pas donnée à tout le monde, explique le sociologue. Comme les jeunes ne trouvent pas de modèles satisfaisants autour d’eux, ils dépassent les frontières pour chercher ceux qui leur conviennent ». A défaut de passer réellement les frontières, pour un certain nombre qui rêve de partir pour mieux vivre leur différence. Avec des fringues qui les font parfois passer pour des « extraterrestres », dixit Hind, ils formulent un malaise. Et surtout leur aspiration à une société moins coercitive et plus tolérante.

Le Journal Hebdo

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