Le roi Mohammed VI a gracié quelque 1518 personnes à l’occasion de l’Aïd al fitr fêté ce samedi 22 avril au Maroc, dont certaines ont été condamnées dans des affaires de terrorisme. Voici le détail de ces grâces :
« De larges franges de la population marocaine et des zones entières du territoire national vivent dans des conditions difficiles, parfois dans une situation de pauvreté et de marginalisation incompatibles avec une vie digne et décente. » Cette phrase n’est pas issue de l’un des multiples rapports que la Banque mondiale, le Pnud ou les organismes locaux d’analyse et de prévision consacrent depuis des années au profond déficit social dont souffre le Maroc. Elle est du roi Mohammed VI lui-même.
Dans un pays où le fétichisme des dates préside à chaque initiative royale, le discours que le souverain a consacré, le 18 mai, à Rabat, au développement humain et à la lutte contre la pauvreté - qualifiée de « chantier du règne » - fera date : il a été prononcé en dehors du calendrier des fêtes nationales et sans être lié à un événement particulier. Tout juste a-t-on remarqué qu’il survient deux jours après le deuxième anniversaire des attentats de Casablanca, comme s’il convenait d’exorciser les démons jumeaux de la misère et du terrorisme.
Car c’est bien la pauvreté qui, selon le roi, « nourrit les velléités extrémistes » et cultive, au sein d’une large fraction de la population, « un sentiment de pessimisme, de défaitisme et de désespoir ». Un diagnostic lucide, suivi d’un remède choc. « L’initiative nationale pour le développement humain » lancée le 18 mai par M6 concerne en toute priorité trois cent soixante communes rurales particulièrement sinistrées - d’autant que l’année agricole 2005 s’annonce très difficile -, deux cent cinquante quartiers urbains en détresse (bidonvilles et médinas délabrées), ainsi que les catégories sociales les plus vulnérables : enfants des rues, handicapés, femmes seules, personnes sans domicile fixe.
Le roi a donné trois mois au gouvernement du Premier ministre Driss Jettou pour élaborer et mettre en oeuvre un plan d’urgence, et il s’est donné trois ans pour réussir à éradiquer les poches de misère les plus intolérables. Entre-temps, les partis politiques, qui commencent à se mobiliser en vue des législatives de 2007, sont priés d’intégrer dans leurs programmes des projets concrets en rapport avec l’obligation sociale définie par le souverain. Le but est clair et explicite : il s’agit de « réhabiliter l’action politique » aux yeux du peuple. En filigrane : réinvestir le champ social et caritatif, de plus en plus occupé par les associations islamistes.
Sur le long terme, le djihad de Mohammed VI, cette guerre sainte « ouverte en permanence » contre la pauvreté, a un objectif très ambitieux. Il s’agit ni plus ni moins que de « hisser les indices de développement humain dans notre chère patrie à un niveau comparable à celui des pays développés ». Le roi, qui aura 42 ans en août, a tout son règne pour y parvenir. En attendant, il s’agit de faire sortir de la misère les quelque 5,5 millions de Marocains (1 habitant sur 6 environ) qui y croupissent encore. Pour financer ce plan d’urgence, « il ne sera fait recours à aucun nouvel impôt ou charge fiscale, ni pour le citoyen, ni pour l’entreprise », a promis M6, lequel parie sur une réorganisation et une réaffectation des ressources de l’État. Sincère et vigoureuse - même si certains Marocains, qui cultivent le pessimisme comme une seconde nature, l’ont accueillie avec une moue de scepticisme -, l’injonction d’un roi qui s’était, il y a peu, déclaré « horrifié » après une visite impromptue dans un orphelinat de Casablanca, est sans nul doute salutaire. Hassan II a reconquis le Sahara, son fils s’est juré de terrasser la pauvreté. À chacun sa Marche verte.
François Soudan - Jeune Afrique L’intelligent - 22 mai 2005
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