Les genres musicaux : nouvelle approche des arts musicaux Amazighs

1er novembre 2003 - 16h08 - Culture - Ecrit par :

A la question : « qu’est ce que la musique Amazigh ? », il est certain que la grande majorité répondra spontanément que c’est la musique du Souss, de l’Atlas et du Rif. Est-ce la bonne réponse ? Et ne peut-on qualifier d’Amazigh que la musique du Souss, de l’Atlas et du Rif ? Qu’en est-il des autres genres musicaux qui peuplent l’espace artistique de notre pays ?

C’est le type dominant dans les régions du nord et du nord-est du Maroc et plus précisément à Elhousseima, à Taza, à Oujda et dans leur voisinage. Cette musique semble plus proche du rythme militaire que du chant et de la poésie. C’est ce que le chercheur Ahmed Aïdoun affirme dans son ouvrage intitulé « la Musique du Maroc ». Il met en évidence le caractère militaire de cette musique et de ces danses qui se basent seulement sur des cris ; dénuées de tout accompagnement poétique. Une danse à laquelle les femmes ne participent pas.

Les danseurs tiennent des fusils, parfois remplacés par des bâtons, ils marquent la mesure en battant des pieds et remuent leurs épaules. Le caractère militaire est aussi visiblement présent dans la nature des instruments de musique utilisés.

I- Musique de la danse El Allaoui et El Mangouchi

Il s’agit principalement d’instruments à vent tels que :
• « Tamja » qui est une grande flûte en bois.
• « Zammar », instrument à vent à deux cornets
• « El Ghayta », instrument connu pour son son aigu et fort.
Ces instruments sont accompagnés par des tambourins ( Alloun, Tallount) marquant très fort le rythme et la mesure.
Dans cette région, on retrouve toujours cette même musique ; aussi bien chez les habitants qui parlent la langue Amazighe que chez ceux qui parlent l’Arabe dialectal. Cela prouve l’unité du goût et du patrimoine musical en dépit de la diversité des langues et du style vestimentaire. Autrement dit, chez les habitants de cette région, les différences superficielles n’altèrent en rien l’unité du fond et de l’esprit artistique.

II- Musique

« AHIDOUS » et ses ramifications
Ce type de musique est répandu dans la région centrale du Maroc comprise entre l’océan Atlantique à l’ouest, Errachidia à l’est, les plaines du Gharb au nord et Rhamna, Chiadma, Abda, au sud.

Il semble que cette danse avait été créée pour permettre de mieux apprécier la beauté des poèmes d’une part et celle des danses d’autre part. Ce qui la distingue nettement de la danse du nord et du nord-est présentée plus haut.
« Alloun », ou le tambourin est l’unique instrument utilisé dans cette danse que pratiquent, ensemble, hommes et femmes alignés épaule contre épaule. Mais, si elle a pu conserver sa forme originale dans les montagnes de l’Atlas, elle n’a pas pu dans les plaines occidentales, échapper à certaines influences. En effet, ces plaines reliant le nord au sud et les grandes villes entre elles, constituaient des voies de transit des convois royaux, des armées et de diverses populations.

En raison de ce brassage, Ahidous a subi l’influence de la danse « Ahouach » à laquelle elle a emprunté un instrument « Annakous » (la cloche) qu’elle a ensuite remplacé par de grands ciseaux. L’influence a aussi affecté le rythme devenu plus rapide et plus léger. Son rythme et sa réglementation ont été affectés à tel point que les femmes n’y participent plus à l’instar de leurs sœurs de l’Atlas. Notons également que l’instrument à vent « Al Ghayta » a été introduit dans cette région par les tribus du nord.

C’est aussi de la danse Ahidous que découle l’art des Chioukh et des Chikhat et celui d’Al Aïta en général. Avant d’adopter des instruments importés comme le luth, et le violon, entre autres, cet art utilisait « Al Ganbri », instrument à cordes de forme ovale, la flûte et le tambourin ( Alloun).

Cet art des Chioukh et des Chikhat a connu les mêmes transformations que la danse « Ahidous ». En effet, alors qu’il a conservé sa beauté originale dans les montagnes de l’Atlas, il s’est dégradé sur les plaines et a beaucoup perdu de son charme à cause du désordre.

Notons cependant que la région centrale du Maroc avec ses plaines et ses montagnes est peuplée de gens ayant le même goût du point de vue musical, en dépit des parlers différents. Ce même penchant qui les unit témoigne par sa spontanéité de la communauté de leurs racines.

La preuve en est d’ailleurs que des artistes comme Rouicha ou Naïnia alternent souvent des chansons Amazighes et d’autres en dialectal marocain tout en ayant la conviction qu’ils évoluent toujours dans le même cadre artistique. En effet si la langue varie, les notes et les rythmes restent les mêmes. C’est là une des preuves que l’unité du fond, et de l’esprit artistique est la règle, tandis que la différence linguistique revêt le critère d’une exception tout à fait superficielle.

III- Musique de la danse Ahouach et ses branches

L’espace géographique de cette musique est compris entre Essaouira et Marrakech au nord, le Sahara au sud, l’océan Atlantique à l’ouest et la province de Ouarzazate à l’est.

La partie nord-ouest de cet espace d’Ahouach se distingue par l’utilisation de deux types de tambourins, l’un est de petites dimensions et émet un son plutôt fin et l’autre a une forme et une tonalité moyennes. Cet art est répandu chez les tribus d’Imi N’Tanout et de Haha, dans la partie nord , et celles de Massa, Ait Baha, Ait Souab Idagnidef et Ait Baâmrane dans la partie sud.

La seconde partie de l’espace Ahouach est marquée par l’influence de la musique et du rythme africains. En effet en plus des deux types de tambourins utilisés dans la première partie nord-ouest, on y a introduit le gros tambour et « TIKRKAWIN » d’origine africaine.

Ahouach et Ahidous ont en commun le caractère collectif et civil. Notons néanmoins l’existence, dans cette région du sud d’une variété d’Ahouach revêtant un caractère militaire. Il s’agit de la danse « Taskiouine » et de la danse du poignard de Haha.

Et comme nous l’avons déjà constaté dans le nord et le centre du pays, la différence de la langue n’affecte en rien chez les habitants de cette région l’unité du goût et de l’art. Tous les habitants de la plaine du Souss même quand ils ignorent la langue Amazighe, pratiquent la danse Ahouach et apprécient les chansons des « Rwaïs » et des groupes modernes sans en comprendre les paroles. Autre preuve du caractère superficiel de la différence linguistique.

IV - Musique de la danse Al Gadra

Cette danse est pratiquée par les habitants connus sous le nom des « hommes bleus ». En effet, les imazighen du Sahara et tous les sahraouis se distinguent par leur habit bleu.
Al Gadra rentre dans le cadre des danses civiles accompagnées de musique et de chants. Elle se base essentiellement sur le son du tambour et celui des applaudissements rythmés des participants. Là aussi, l’unité de l’esprit et du goût unit les amazighophones à leurs frères qui parlent le dialectal marocain.

V - La musique de l’Elite des villes antiques

Lorsque le peuple Amazigh est devenu indépendant du califat arabe du Machreq, il a fondé ses propres dynasties et empires et s’est autogouverné depuis les Ourba, les Madrar, les Bourghouata et les Almoravides dans le passé jusqu’aux Alaouites de nos jours. Et du moment qu’il a fondé son Etat sur le modèle islamique, que représentait alors les Omeyyades et les Abbassides, il est tout à fait naturel qu’il se soit inspiré de l’architecture, des arts et de la culture en général, provenant de ces deux dynasties. Ainsi, les rois Amazighs ont imité leurs homologues Abbassides en faisant venir dans leurs palais des artistes et des musiciens pour animer leurs soirées et leurs moments de détente. Ils leurs ont ainsi empruntés les mêmes musiques et les mêmes instruments (luth, derbouka ...) puis ils ont, par la suite, introduit des instruments occidentaux comme le violon.

Cette musique, connue autrefois sous le nom de ( Al Ala) a pris, depuis le protectorat français celui de « Musique Andalouse » ... Ce changement de nom avait pour objectif de faire croire aux Marocains qu’ils étaient incapables de produire une musique de ce niveau et de cette qualité et qu’elle leur provenait de l’Europe par l’intermédiaire des musulmans d’Andalousie venus s’installer au Maroc après avoir été expulsés d’Espagne. Ce plagiat artistique a été dénoncé par feu Mohamed Al Fassi dans son article publié en 1962 et dans lequel il a affirmé que cette musique était connue depuis longtemps chez tous les marocains sous le nom de « Musique Al Ala » et qu’elle n’avait rien d’Andalous.

Ahmed Aïdoun a, pour sa part confirmé les propos de Mohamed Al Fassi dans son livre intitulé « Musique du Maroc ». Il a affirmé que cette musique n’a jamais été citée sous le nom de « Musique Andalouse » et qu’elle ne peut être attribuée à l’Andalousie.

A l’apogée de sa civilisation, le peuple Amazigh a fondé de vastes empires, bâti de somptueuses villes et créé des merveilles architecturales, en plus de sa philosophie avancée et de sa culture riche et variée. Il a donc été capable de fonder un art musical élaboré et c’était la musique « Al Ala ». Une musique qui reflète réellement la finesse du goût des rois et des gens de la haute société Amazighe. Et lorsque le peuple Amazigh a régressé cela s’est naturellement répercuté sur ses lettres et ses arts.

La musique Al Ala figure parmi les arts qui ont le plus souffert de cette régression. La plupart des chercheurs affirment que cet art a beaucoup perdu au fil du temps : seule une dizaine d’airs ( Naouba) nous est parvenue ce qui est très peu par rapport à ce qui en a été perdu.

Et si ces quelques « Naouba » dont nous disposons se trouvent aujourd’hui bien conservées c’est grâce à la protection de notre Etat moderne, sans laquelle elles auraient connu le même sort que les vieilles maisons que l’élite citadine avait abandonnées.

Par conséquent, l’art « Al Ala » rentre bien dans le cadre de la civilisation produite par le peuple Amazigh. Celui qui prétend le contraire ne peut être qu’un aliéné dans l’esprit duquel les colonialistes ont incrusté une fausse image du peuple Amazigh. Ces forces coloniales s’obstinent à faire croire que le peuple Amazigh est incapable d’avoir et de développer une civilisation à l’instar des autres peuples. C’est ainsi qu’on attribue injustement à d’autres peuples ce que les Imazighen avaient créé.

A ceux qui refusent de se plier aux arguments déjà énoncés, je demande quel type de musique élaboré y avait-il à l’époque des Almohades et des Mérinides dont tout le monde reconnaît le degré de civilisation bien avant l’arrivée des Andalous chassés d’Espagne ? Et puisqu’ils ne savent que répondre, je précise que l’art d’« Al Ala » est la musique évoluée produite par le peuple Amazigh suivant le modèle musical ayant dominé par le passé dans le monde islamique et qu’il a développé après avoir acquis son indépendance et constitué ses propres empires.

VI - Musique « Al Malhoun »

Si « Al Ala » était la musique de l’élite au pouvoir et des familles aisées des anciennes médinas, les classes populaires avait en contrepartie celle d’« Al Malhoun ».

Les deux genres sont proches l’un de l’autre des points de vue de la forme et du contenu. Cette ressemblance est peut être ce qui explique le nom d’ « Al Malhoun » dérivé de « Lahana » qui signifie « ne pas se conformer à la règle ».

Si cette hypothèse énoncée par M. Abbas Al Jirari est vérifiée, je serai enclin à penser que cette appellation dépréciative ne peut provenir que des fervents amateurs d’ « Al Ala » selon lesquels « Al Malhoun » en est une déformation.
En effet, si l’on considère la musique Al Malhoun sous cet angle, on constate une vaine tentative populaire d’imiter « Al Ala » à tous les niveaux. Au niveau du texte , Al Malhoun ne se conforme pas aux règles de la poésie et de la langue arabes en raison de l’usage de termes et de structures tout a fait étrangers à l’Arabe classique.

Au niveau musical, il sort également de la règle en introduisant des notes et des rythmes inconnus dans les « Naoubat » d’ « Al Ala », sans oublier l’introduction dans son orchestre d’instruments populaires comme « Souisdi » et l’accompagnement d’ « Arrach » (Applaudissements rythmés).

Source : lematin.ma

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