Les rochers d’Al Hoceïma : « L’Espagne se tape l’incruste »

24 août 2002 - 13h16 - Espagne - Ecrit par :

« Faites pas #### ! C’est interdit : y’a l’armée espagnole, alors personne n’y va et point-barre ! » C’est le langage qu’affectionnent les juniors français, alors c’est aussi le langage qu’emploient les fameux GO du Club Med.

Les inimitables "Gentils Organisateurs" (les GO) inventés, il y a 40 ans, par Gilbert Trigano quand il a créé les formules de vacances en club, ont bien du mal avec les "ados" (adolescents). Quand les ados découvrent les planches à voile et les catamarans sur la plage, la première chose à laquelle ils pensent, c’est faire la course autour des îlots. Les plus sportifs lancent leur défi : "le dernier arrivé à la nage paye les Cocas". Pour l’un des trois rochers, même pas la peine de nager beaucoup, on a pied sur presque toute la distance ! Si la nature a placé ces rochers pelés devant la plage, pouvait-elle avoir d’autre objectif que d’en faire précisément un jeu de plage ? Au Club Med d’Al Hoceïma, les trois petits rochers, plantés du drapeau espagnol à quelques mètres de la plage, excite particulièrement la tribu d’adolescents en vacances : "C’est pas normal qu’on puisse pas y aller".

· L’ethnie des ados et le passeport prune

Casquette vissée sur le crâne, le short-maillot trois fois trop large, qui descend jusque sous le genou, mais qui tient en équilibre pas toujours très stable sur la pointe des hanches : c’est l’ethnie des ados européens, dont on voit d’ailleurs beaucoup d’exemplaires aussi au Maroc, globalisation oblige.
Et pour les "mecs" de cet âge, existe-t-il meilleur moyen que ces rochers pour se faire valoir devant les "meufs" (les filles), en bikini fluo et paréo soigneusement déhanché ? Certes non. Alors : "y’a pas ! on y va, y’a pas d’raison que les Espagnols se tapent l’incruste comme ça sur les rochers de la plage !" Et si on peut fantasmer avec un improbable gros incident, c’est encore mieux : "on va niquer" les Espagnols, dont on voit un soldat solitaire, silhouette vert kaki du militaire en opération, qui s’ennuie assis au pied de son drapeau.
"A chaque groupe, c’est la même chose, racontent les GO chargés de la plage, aucun Européen ne peut croire que des îlots si près de la plage soient espagnols, pas marocains, et que les Espagnols les ont interdits". Et pas n’importe quel interdit : C’est un interdit sérieux puisque c’est une armée qui s’occupe d’interdire.
Les adultes, qui ont entendu parler de l’affaire du Persil et se rappellent même que son nom marocain est Leïla, se le tiennent pour dit : "on ne fait pas le tour des îlots, c’est idiot, mais c’est comme ça".
Pour les ados, c’est une autre histoire : ils veulent bien admettre de ne pas trop s’approcher de l’îlot N’kor, puisqu’il est bâti, mais ils ne veulent rien entendre quand on leur interdit d’en faire le tour en planche à voile. Quant aux deux autres îlots, deux rochers pelés : "y’a pas, on y va, font ####, ces Espagnols !" Et les palabres recommencent avec les GO, dans cette langue propre aux ados, très haute en couleurs, mais que l’auteur de ces lignes a édulcorée, pour la rendre acceptable par des non-ados. Cette ethnie des ados a grandi avec le "passeport prune", celui de l’Europe, qui leur permet d’aller librement dans tous les pays de l’Union et qui les exempte de bien des visas partout dans le monde. Les ados sont portés à tout contester mais pas leur passeport couleur prune. Cela, pas question de le remettre en question, justement. Alors, les ados argumentent : "Si l’Espagne dit que ces rochers sont à elle alors, on y va avec nos passeports prune, y’peuvent pas nous empêcher".
Le soir, au restaurant, quand les convives ont fini de louer l’excellente cuisine du Club Med, les conversations reviennent sur les îlots.
"Si on y va, que vont faire les Espagnols ?"
"Rien du tout, que veux-tu qu’ils fassent ?" répond le père.
Les GO s’abstiennent de tout commentaire car on a dû leur faire la leçon : pas de prise de position politique. Pour eux : "on n’y va pas, on n’en fait pas le tour, un point c’est tout".
L’épouse du vacancier qui pense que les Espagnols ne feront rien du tout, n’est pas d’accord : "Tu as vu à la télé, ils ont envoyé l’armée contre Persil ; ils sont bien capables de prendre les jeunes qui s’approchent, après quelle histoire ça va faire !"
Croit-elle vraiment ce qu’elle dit ou bien veut-elle simplement faire peur à ses grands gamins pour les rendre obéissants ?

· Une politique "d’adolescent"

Pour les vacanciers, le statut des trois îlots devant la plage est une aberration, comme seuls les hommes politiques savent les inventer pour embêter les citoyens. Les îlots devraient tout simplement faire partie des jeux de plage, pour les gens paisibles qui ont bien mérité leurs vacances et les voilà inaccessibles, défendus par des militaires "dont l’entretien doit coûter la peau des fesses".
Les "anciens" (qui en sont à leur deuxième semaine !) mettent les "nouveaux" au parfum : "vous savez qu’ils viennent à peu près tous les deux jours en hélicoptère ?!" "Ils sont vraiment sans gêne : l’hélico tourne au-dessus du Club, c’est une violation de l’espace aérien marocain, c’est sûr !" Un homme, qui a l’air de s’y connaître, explique : "De toute façon, c’est beaucoup trop près pour qu’ils puissent tourner sans survoler le Maroc, aucun hélico ne peut tourner aussi court". "Et le Maroc ne dit rien ? Ce n’est pas normal !"
Deux GO marocains, qui visiblement sont des responsables dans ce club, décident d’intervenir dans la conversation : "le Maroc est un pays pacifique qui ne va pas faire des histoires quand cela n’en vaut pas la peine : il y a eu Persil parce qu’il fallait poser le problème de tous ces îlots le long de la côte et que l’Espagne ne veut pas rendre alors qu’elle est en train de récupérer Gibraltar". "Maintenant, complète le deuxième GO, c’est aux diplomates de faire leur travail pour que les gens profitent tranquillement de leurs vacances".
"Oui, bien sûr, reprend le père de famille, mais quand même, je trouve que l’Espagne s’entête aussi bêtement que nos ados dans cette affaire".

L’économiste

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