Littérature : les chausse-trapes de l’intégration

3 décembre 2004 - 16h33 - Culture - Ecrit par :

Les années quatre-vingt marquent l’irruption de la littérature “beur”. Encensés moins pour leurs mérites que par condescendance et paternalisme, les écrivains-pionniers sont piégés par le double jeu du discours sur l’intégration : ils sont d’autant plus flattés qu’ils acceptent d’être clairement désignés, puis enfermés dans des catégories convenues.

La décennie suivante verra de nouveaux auteurs émerger, qui refuseront de jouer le jeu. En se réappropriant leur histoire, en multipliant les genres et les formes stylistiques, ils entendront bien être reconnus pour ce qu’ils font et non plus pour ce qu’ils sont.

En 1983, Mehdi Charef donne le coup d’envoi de ce qui a été communément appelé littérature “beur” ou littérature des jeunes de la seconde génération immigrée. La République des lettres, les maisons d’éditions, les critiques littéraires, les universitaires et les institutions saluent la naissance du “roman beur” et l’arrivée sur la scène littéraire française d’une nouvelle race d’écrivains. Le tout jeune microcosme associatif auquel sont affiliés quelques-uns de ces jeunes auteurs (Nacer Kettane, Farida Belghoul, Mehdi Lallaoui) peut aussi se laisser aller à l’autosatisfaction et à l’autocongratulation - avec ou sans arrière-pensées. Les chantres de l’intégration louent à qui mieux mieux leur nouveau héraut : l’écrivain va jeter aux orties la blouse écolière, le bleu ouvrier et l’uniforme du conscrit. Les traditionnelles fonctions intégratrices de la République donnent quelques signes d’essoufflement ? Qu’à cela ne tienne ! La République des lettres est là. La culture veille.

Même si quelques observateurs et critiques soulignent le peu d’intérêt de ces écrits (à une ou deux exceptions près, Medhi Charef et Azouz Begag notamment), le roman beur est en odeur de sainteté et a droit de “citer” urbi et orbi. Enthousiastes, la responsable politique Françoise Gaspard et la journaliste Claude Servan-Schreiber prophétisent en 1984 : “Il n’est pas impossible que nous assistions très bientôt à l’apparition dans les rangs de l’immigration d’une littérature exceptionnellement riche. Certains éditeurs la voient déjà affleurer.”

Singularité troublante que cet engouement démonstratif et de bon aloi qui voit passer à la trappe ce qui devrait être premier dans l’appréciation de qualités et de valeurs professionnelles, au profit de considérations secondaires. Un peu comme si on louait un plombier moins pour ses aptitudes à colmater une fuite que pour l’élégance de sa ####tte, toutes choses égales d’ailleurs... Imagine-t-on un seul instant Isabelle Adjani, Zinedine Zidane, Abdelatif Benazzi, Djamel Bouras, Kader Belarbi, Rachid Arab, Kamel Sanhadji et autres maçons, professeurs, assistantes sociales exerçant leur profession dans l’à-peu-près et ne “bénéficiant” pas des mêmes critères d’appréciation que leurs “collègues” ? Les uns ne resteraient pas dix minutes derrière une caméra ou sur les planches, les autres devraient quitter illico les terrains de sport, les tatamis, les laboratoires de recherche... Sans doute, et pour en revenir aux écrivains des années quatre-vingt, faut-il voir là l’effet d’une tendance de l’édition à publier à tour de bras. Et, sacro-sainte règle, indiscutable impératif de la modernité : toutes les parts de marché sont à prendre, au risque de passer pour un indécrottable idéaliste ou un fieffé idiot, ce qui en l’occurrence revient au même (sur cette détestable tendance, voir la somme assommante et abrutissante des livres consacrés à l’Algérie).

adri.fr

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