Mariages mixtes : le parcours du combattant

24 avril 2003 - 12h19 - Maroc - Ecrit par :

Le Maroc n’aime pas les mariages mixtes et le fait comprendre à travers des textes de loi, le code du statut personnel et le code de la nationalité en l′occurence. Les plus lésées : les femmes, pour ne pas changer. Explications point par point.

Dans les années 70, quand un vent de liberté a soufflé - trés brièvement- sur le Maroc, les mariages entre Marocains et étrangers étaient presque à la mode.
Aujourd’hui, un mariage du même type, est souvent "mal vu". Difficile à contredire. Quand un jeune étudiant épouse une Européenne, c’est rarement considéré comme un mariage d’amour. C’est souvent, pour l’entourage, un mariage de raison : il l’a épousée pour "les papiers". Quand une Marocaine épouse un Saoudien, c’est nécessairement son argent qui l’attire. Bref, la mentalité veut aujourd’hui qu’un mariage mixte ne peut être qu’un mariage "économique". Est-ce le cas ? En l’absence de chiffres, l’affirmation porte indéniablement préjudice à tous ceux qui, un jour, ont choisi par amour, de partager la vie d’un étranger ou d’une étrangère.
En somme, la société en général, n’aime pas les mélanges et la mixité. Mieux encore : la loi non plus. Elle est en effet loin de faciliter la tâche au Marocain ou à la Marocaine désirant épouser une personne de nationalité différente ou de religion différente. Même si dans l’histoire, une fois de plus, la femme est la plus lésée par la loi. Par souci pratique et pour mieux éclaircir la question, procédons cas par cas.

Une Marocaine
musulmane épouse un étranger musulman
D’un point de vue administratif et juridique, cette union n’a rien de différent de celle de deux Marocains, les deux prétendants au mariage appartenant à la même religion et le mariage étant seulement religieux au Maroc. Par ailleurs, aux yeux de la loi, toute union de ce genre semble "louche". En effet, avant de passer devant les adoul, les deux prétendants, sont d’abord obligés de passer par une enquête judiciaire. Siham B. se souvient : "Avant le mariage, mon partenaire sénégalais et moi-même avons dû aller au commissariat à plusieurs reprises et répondre à des questions très humiliantes sur notre vie privée : Comment vous-êtes vous rencontrés ? Où ? Avez-vous eu des rapports sexuels ? Etes-vous encore vierge ? Mon fiancé recevait très souvent des visites de policiers chez lui. Ils devaient s’assurer qu’il avait de bonnes mœurs. Ensuite, tout est allé très vite devant les adoul. Mais nous avons eu plus de chances que d’autres. Un couple d’amis dans le même cas, a fini par se séparer à cause de la pression, celle de l’enquête policière qui n’en finissait pas".

Une Marocaine musulmane désire épouser un non musulman
Impossible. La loi et la religion musulmane sont très claires sur la question. Une musulmane ne peut en aucun cas contracter un mariage adoulaire avec un non-musulman : "Le mariage d’un non musulman avec une musulmane est interdit par le code du statut personnel et des successions. Selon l’article 27 de ce code, qui énumère les empêchements temporaires au mariage, ce type de mariage est prohibé", explique Michèle Zirari, professeur à la faculté de droit de Rabat-Agdal. Seule alternative : la conversion à l’islam. Autrement, une musulmane désirant épouser au Maroc un étranger non musulman doit d’abord s’assurer que celui-ci peut facilement renier sa foi, pour embrasser la sienne. Et il n’a pas le choix s’il tient à l’épouser. Information à retenir : non il n’est pas obligé de se faire circoncire comme le pensent beaucoup, et rien de plus enfantin qu’une conversion à l’islam : "La conversion se fait devant deux adoul qui vérifient que le "candidat" connaît les obligations de la religion et qu’il souhaite se convertir ; ils dressent ensuite un acte de conversion. C’est extrêmement simple", précise Michèle Zirari. Tellement simple que cela devient risible. Comment cela se passe-t-il concrètement ? Les adouls s’assurent que "le candidat" est de bonne foi en lui demandant si son désir de conversion n’est pas dicté par des raisons autres que ses nouvelles convictions. Ensuite, il est amené à réciter la chahada et les cinq piliers de l’islam, et c’est dans la poche. Nouvellement musulman, il choisit lui-même le prénom qui doit convenir à sa toute nouvelle religion. C’est ainsi que des Pierre Dupont blonds aux yeux bleus sont devenus des Allal Dupont. Le "nouvel homme" peut alors faire la demande de mariage auprès du Procureur du Roi. Marié, il peut exercer la religion qui lui chante. Tout en étant musulman sur les papiers et aux yeux de la loi : "L’homme converti a alors les mêmes droits qu’un musulman. C’est-à-dire que les règles du Code du statut personnel et successoral lui sont appliquées, puisque ces textes prennent en considération l’appartenance religieuse", explique Fadéla Sebti, avocate.

Un Marocain
musulman épouse une non musulmane
Rien ne l’en empêche. Ni la loi ni la religion. L’explication la plus récurrente : les enfants héritent et de la nationalité et de la religion du père. Ils seront donc, quelle que soit la nationalité ou la religion de la mère, Marocains et surtout musulmans "Une étrangère non musulmane n’est pas obligée de se convertir si elle est chrétienne ou juive. Le code du statut personnel ne prohibe pas ce genre d’union. L’épouse non musulmane qui réside au Maroc se verra, pour ses relations familiales, appliquer le code du statut personnel marocain", souligne Michèle Zirari. Fadéla Sebti précise : "Par rapport au divorce, l’épouse non-musulmane désireuse de divorcer d’un Marocain musulman se verra appliquer, par le juge marocain, son propre statut personnel. Ainsi, une Française non musulmane pourra s’adresser au tribunal marocain pour demander le divorce pour tous les préjudices qui l’autoriseraient à le demander devant un tribunal français. Le statut personnel des étrangers restant déterminé par leur loi nationale, conformément au dahir du 12 août 1913. C′est une particularité de notre droit, en matière de statut personnel, que de préférer appliquer une loi étrangère au lieu de faire "bénéficier" des non musulmans de nos lois". Par ailleurs, toujours en cas de divorce, l’épouse non musulmane (et/ou non marocaine) a le droit de garde des enfants "à condition, continue Fadéla Sebti, qu’elle ne profite pas de l’exercice de ce droit pour élever l’enfant dans une religion autre que celle de son père". Mais ce n’est pas là que le bât blesse. En cas de décès de l’époux, l’épouse non musulmane est tout bonnement exclue de l’héritage : "L’épouse non musulmane ne peut hériter. L’article 228 du code du statut personnel le prévoit très clairement : il n’y a pas de vocation successorale entre un musulman et un non musulman", explique Michèle Zirari. Plus clairement, ajoute Fadéla Sebti : "N’héritent l’un de l’autre ni le musulman ni le non musulman. Dans le même ordre d’idée, les enfants musulmans de la non-musulmane n’hériteront pas de leur mère".

Le code de la nationalité, une indécence
Voici l’une des revendications les plus persistantes des associations féminines. Une injustice de plus à l’égard des Marocaines. En effet, selon le code de la nationalité, la femme ne transmettant pas sa "marocanité", tout enfant né d’un mariage avec un étranger musulman ou non musulman ne sera pas Marocain. Une absurdité de plus dans les textes de loi : "L’article 6 du code de la nationalité consacré à la nationalité par filiation est rédigé en ces termes : Nationalité par filiation – Est Marocain 1° l’enfant né d’un père marocain 2° l’enfant né d’une mère marocaine et d’un père inconnu", précise Michèle Zirari. Fadéla Sebti se révolte : "Ceci implique que la mère mariée légalement avec un étranger est plus pénalisée que celle qui a un enfant de père inconnu ; que ce n’est qu’à défaut de père que la mère semble être considérée comme une citoyenne à part entière". Qu’est-ce que cela implique pour les enfants ? Ils seront soumis, dans leur pays de naissance et donc d′origine, aux formalités de la carte de séjour, renouvelable tous les ans. En somme, ils seront considérés comme des étrangers et seront traités comme tels. Michèle Zirari explique : "Cela provient essentiellement, me semble-t-il d’une confusion entre religion et nationalité, alors que ce sont deux concepts différents. La notion de nationalité n’existait pas dans l’Islam classique, la distinction essentielle n’étant pas comme aujourd’hui entre le national et l’étranger, mais entre le musulman et le non musulman. Ce n’est qu’à une époque relativement récente que, sous l’influence européenne, l’idée de nationalité pénétra dans les pays musulmans". Par ailleurs, la loi accorde néanmoins une "gentillesse" aux enfants de père étranger : ils ont le droit, deux ans avant leur majorité de demander la nationalité marocaine auprès du ministère de la justice, à condition d’être, au moment de la demande, résidents au Maroc. Merci à la justice.

Témoignages
Leïla O., 33 ans
esthéticienne
Je me suis mariée il y a quelques mois avec un Emirati. Mon mari est resté quelques temps au Maroc puis il est reparti chez lui travailler, mais aussi régler tout ce qui est administratif pour que je puisse le rejoindre. En tout cas, c’est ce qu’il a dit, pendant plus d’une année. Je commençais à m’inquiéter quand il a bizarrement changé d’attitude. Il est devenu très agressif à mon égard. Jusqu’au jour, où il m’a clairement dit qu’il ne reviendrait pas et qu’il ne voulait plus de moi. J’ai alors demandé le divorce. Il m’a carrément ri au nez, me disant qu’il n’avait pas que cela à faire. D’ailleurs, m’a-t-il dit, il avait déjà une première femme aux Emirats Arabes Unis. Cette histoire date d’il y a plus d’un an et demi, et je ne suis toujours pas divorcée. Je ne comprends pas comment mon pays donne tous les droits à cet homme, et me les refuse à moi, qui suis Marocaine.

Marilyn B., 42 ans sans emploi
Je suis Française et divorcée d’un Marocain depuis quatre ans. J’ai trois enfants âgés de 5 à 14 ans avec lesquels j’habite au Maroc. Parce que je n’ai pas le choix. Leur père refuse de me donner l’autorisation de quitter le territoire marocain, et d’emmener les enfants. Je ne peux même pas partir avec eux en vacances à l’étranger. Même après le divorce, il garde un pouvoir sur moi et sur mes enfants. J’ai du mal à comprendre une telle loi. On me refuse mon droit le plus élémentaire, celui de circuler à ma guise. C’est une liberté qu’on m’arrache, à moi, comme à mes enfants.

Fatiha C. 45 ans
cadre
J′ai épousé un Suédois il y a de cela 20 ans. Tous les deux, nous vivions au Maroc et il n′était pas question à l′époque que l′un de nous quitte le pays. Deux ans après notre union, nous avons eu un garçon, qui héritait bien entendu de la nationalité de son père. ça a été très difficile pour moi d′accepter que mon fils ne soit pas Marocain. J′étais en rage contre le pays, contre les lois de ce pays, qui en reniant mon droit à transmettre ma nationalité, me reniaient moi-même. Je me sentais amoindrie, humiliée. Je suis Marocaine et j′aime mon pays, et je ne supportais pas l′idée que mon fils que je considérais comme Marocain ne puisse pas l′être. Bref, la colère est passée et mon fils a grandi. Aujourd′hui, il a 20 ans. Son père et moi nous sommes quittés et il est reparti en Suède. Mon fils est un étranger au Maroc. Il n′a pas de carte d′identité, il a une carte de séjour, qu′il doit renouveler chaque année. Il se rend compte de plus en plus de sa situation et il la vit très mal. Il parle marocain, il est musulman et ne parle pas un mot de suédois. Tous les ans, il part en vacances chez son père. Parfois, je l′accompagne. Il passe par les formalités de police pour étrangers et je passe avec les Marocains. ça me fend le cœur à chaque fois. Parfois, on me dit qu′il doit s′estimer heureux d′être Suédois et pas Marocain. Ca me met dans une colère noire. J′ai honte pour mon pays et je ne souhaite cette situation à personne.
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