Les transactions immobilières sont en hausse au Maroc en ce début d’été, avec la forte demande des Marocains résidant à l’étranger (MRE) et notamment en Europe, qui affluent vers le royaume pour y passer leurs vacances.
Prix des logements en hausse excessive, foncier inexistant, menaces pesant sur les crédits immobiliers avec la remontée des taux..., y a-t-il un risque de crise dans le secteur immobilier ? Depuis quelque temps, nombre d’acteurs, qu’ils soient étatiques ou privés, entités morales ou particuliers, se posent la question.
Le dîner-débat organisé autour de ce thème par La Vie éco, jeudi 4 novembre à Casablanca, a prouvé en tout cas que le sujet était d’une actualité brûlante. Avec 340 participants, La Vie éco a dû refuser du monde pour ne pas voir le bon déroulement du débat affecté. Promoteurs immobiliers, banquiers, notaires, architectes, autres professionnels du secteur mais aussi des particuliers ont tenu à participer aux débats, sans compter les nombreuses questions des lecteurs que la publication a reçues sur son site.
Durant cette soirée qui s’est prolongée jusqu’à une heure tardive, quatre promoteurs immobiliers, représentant aussi bien le secteur privé que public, se sont pliés au jeu des questions-réponses. Il s’agit de Miloud Chaâbi, PDG du groupe Ynna Holding et président de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI), Saïd Sekkat, secrétaire général de cette association professionnelle et président du groupe Al Mawlid, Rachid Jamaï, administrateur délégué du groupe éponyme, Amine Nejjar, directeur général adjoint du Crédit immobilier et hôtelier (CIH) et Najib Laâraïchi, directeur général du groupe Al Omrane. Tous ont essayé, durant leurs interventions, de répondre à la question principale du débat : le secteur de l’immobilier court-il un risque de crise ?
Coût et indisponibilité du foncier sont les causes de la cherté de l’immobilier
Cette question, du point de vue des professionnels, peut sembler saugrenue vu que le secteur enchaîne les bonnes performances. Sa valeur ajoutée a enregistré un accroissement de 46,2% entre 2002 et 2006, 812 000 personnes y ont été employées en 2006, soit 8,2% de la population active occupée âgée de 15 ans et plus, la consommation de ciment a augmenté de 52,9% entre 2002 et avril 2007 et les encours de crédits bancaires se sont appréciés de 166% sur la même période. Néanmoins, au sein de la profession, les avis restent partagés quant à la pérennité de l’embellie de ces dernières années.
Les éléments de réponse ont été clarifiés d’emblée par le président de la FNPI. Miloud Chaâbi a ainsi brossé un tableau en demi-teinte de la profession. « Il est vrai que l’immobilier est un secteur qui bouge. La preuve en est la multiplication des sociétés de promotion immobilière, qui, à la base, développaient des activités industrielles ou autres ». Mais, selon le président de la FNPI, « le gouvernement ne veut pas œuvrer dans le sens de la pérennisation de cette croissance ». Il souligne que si les prix de l’immobilier sont élevés, c’est d’abord du fait que le foncier est de plus en plus cher et même introuvable. Pour ne rien arranger, ajoute M. Chaâbi, « les autorisations de construire sont de plus en plus difficiles à obtenir ». Il a conclu que « cette tendance haussière ne s’arrêtera pas tant que les deux problèmes du foncier et des lourdeurs administratives ne seront pas résolus ».
Saïd Sekkat, secrétaire général de la FNPI, a fait, lui, le constat suivant : « Si le secteur ne vit pas de crise proprement dite, les germes d’une déstabilisation du marché commencent à être visibles ». Et ce pour de nombreuses raisons. Elles sont d’abord d’ordre structurel, notamment liées à l’exode rural et à la faiblesse de l’outil de production (pénurie répétée de matériaux de construction). S’y ajoutent d’autres facteurs réglementaires et budgétaires qui font craindre aux professionnels une crise immobilière dans les années à venir. Ainsi, sont essentiellement pointés du doigt l’absence d’un cadre juridique efficient du locatif ainsi qu’un dispositif de délivrance des autorisations de construire simplifié, ou encore une fiscalité en changement constant qui empêche les promoteurs de planifier sur le long terme leurs investissements.
Des offres non diversifiées mettent à l’écart de la propriété immobilière un grand nombre de citoyens
Un secteur particulier est touché de plein fouet, toujours selon les promoteurs immobiliers, par ce manque de visibilité budgétaire : celui du logement social. Représentant un des acteurs majeurs de la promotion immobilière (groupe Jamaï), Rachid Jamaï a profité de son temps de parole pour mener un véritable réquisitoire contre l’amendement proposé par le gouvernement de l’article 19 de la Loi de finances exonérant à 100% les promoteurs immobiliers construisant un minimum de 2 500 logements sociaux sur une durée maximale de cinq ans. Le lobbying des promoteurs immobiliers a duré tout au long de cette soirée-débat, actualité oblige ! « En 2006, et avec tous les efforts consentis, le Maroc a produit près de 113 000 logements sociaux. Comment voulez-vous alors atteindre un objectif de 150 000 logements par an tout en revenant à l’imposition ? », s’interroge-t-il.
Mais plus que cela, Rachid Jamaï, ancien président de la Fédération nationale de l’immobilier, estime que le véritable problème du secteur est une grande inadéquation entre l’offre et la demande. Cette inadéquation, du point de vue purement financier, mine cette dynamique de croissance dans laquelle s’inscrit le secteur. Il est rejoint dans son analyse par Amine Nejjar, DG adjoint du CIH : « Au moment où deux segments seulement ont été développés, à savoir le social et le haut standing, la limite de l’offre immobilière en moyen standing et l’absence d’offre locative claire écartent une partie de la population ». Même si, fait-il remarquer, un grand pas a été franchi pour ce qui est de l’accès de populations non bancarisées au financement, notamment à travers le Fonds de garantie des revenus irréguliers et modestes (Fogarim). Mais au fond, les banques sentent-elles, à l’instar des promoteurs immobiliers, la crise qui se profile à l’horizon ? « Les banques financent et continueront de financer l’achat de logement », conclut Amine Nejjar, sans plus de détails.
La crise est davantage ressentie par les citoyens, impuissants face à des prix du logement exorbitants
Quoi qu’il en soit, le manque de visibilité et l’inadéquation entre les objectifs contenus dans la déclaration gouvernementale et la décision de supprimer des encouragements fiscaux pénalisent les promoteurs. Même le grand établissement public Al Omrane se trouve dans cette situation, puisque, selon son directeur général, Najib Laâraïchi, la suppression de l’article 19 n’arrange pas non plus les affaires du holding public. Ce dernier mène, signalons-le, l’essentiel de son activité dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, bidonvilles, logements clandestins et menaçant ruine. Pour cet opérateur public, la crise n’existe pas, ses signaux précurseurs non plus. Le plus important à ses yeux est de redoubler d’efforts afin de venir à bout de ces deux problématiques que sont le financement et le foncier et de permettre ainsi au plus grand nombre de Marocains d’habiter un logement décent.
Si, à travers leurs différentes interventions, les professionnels ont tiré la sonnette d’alarme concernant les facteurs qui, selon eux, freinent le développement d’un secteur devenu, au fil des années, une véritable locomotive de l’économie nationale, les interventions du public et les questions des internautes ont révélé une grande inquiétude quant à l’avenir de l’immobilier au Maroc. Pour un cadre moyen, gagnant décemment sa vie, se trouver dans l’incapacité d’acquérir un logement dans des villes comme Casablanca ou Rabat est le signe que le système s’est enrayé. La même situation est vécue par un ménage au revenu limité qui ne peut acheter un logement social du fait de l’impossibilité de réunir la somme à verser au noir. Qu’on le veuille ou non, cette situation risque de faire éclater une bulle spéculative qui grossit de jour en jour, avec toutes les conséquences que cela suppose sur le reste de l’économie.
La vie éco - Fadoua Ghannam
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