Le Maroc mûr pour les récoltes en Europe

4 septembre 2007 - 01h04 - Espagne - Ecrit par : L.A

Le Maroc est à la pointe. Surtout lorsqu’il s’agit d’organiser les nouvelles formes d’utilisation de main-d’œuvre bon marché dont les pays de l’Union européenne ont toujours besoin. En janvier, l’Anapec, une agence nationale de recrutement créée principalement à cet effet, a mené sa première grande opération : le recrutement de 5 000 travailleurs agricoles chargés de ramasser les fraises des immenses champs d’Huelva, en Espagne.

« Mes 240 agents ont été mobilisés, et envoyés dans des communes rurales, raconte Hafid Kamal, le directeur de l’Anapec, fièrement installé dans son bureau de Casablanca. En moins de deux semaines, ils ont présélectionné plus de 7 000 personnes. Uniquement des femmes, car les Espagnols l’avaient exigé ainsi. »

Acheminement

Pourquoi donc ? « La cueillette des fraises demande plus de dextérité », répond Eduardo Toval, responsable du projet à l’ambassade d’Espagne à Rabat. « A mon avis, la vraie raison, c’est le souci du retour, rectifie Hafid Kamal. D’ailleurs, ils nous ont demandé de choisir de préférence des femmes avec enfants. Pour ces femmes, l’important, c’est d’être sélectionnées l’année suivante. Nous leur disons : Si vous ne créez pas de problème de discipline avec l’employeur, vous serez reprises. »

Du 15 janvier au 16 février, toutes ces femmes ont donc été convoquées dans un complexe culturel de Mohammedia. Alignées sur deux files, chacune a subi un entretien de trois à quatre minutes, mené par un représentant des producteurs de fraises, assisté d’un interprète. La réponse tombe immédiatement : prise, ou refusée. « Nous avons réussi à faire passer entre 400 et 600 personnes par jour ! » s’exclame Hafid Kamal, visiblement désireux de faire admirer les compétences organisationnelles de son agence.

Pour les femmes retenues, l’acheminement jusqu’à Tanger est pris en charge par l’Anapec. Ensuite, de Tanger aux champs de fraises espagnols, ce sont les producteurs qui payent. Les ouvrières sont logées (mais pas nourries), et payées « exactement comme des Espagnoles, soit 35 euros par jour pour six heures et demie de travail quotidien », précise Hafid Kamal. « Faites le calcul : en trois mois, elles ramènent chez elles l’équivalent de douze mois de Smic marocain. »

Le calcul est exact. Sauf qu’avec le Smic marocain à 2 400 dirhams (218 euros), « il est très difficile de faire vivre une famille », comme l’avoue, avec une étonnante franchise, le directeur de l’Anapec. Qui poursuit : « Les Espagnols ont été tellement satisfaits de notre travail, qu’ils nous ont déjà commandé 10 000 ouvrières pour l’année prochaine ! » Avec une probable nouveauté : « La sélection finale pourrait se faire par vidéoconférence. »

Tout ce travail de recrutement coûte de l’argent. A la charge des producteurs de fraises espagnols ? Pas du tout ! L’Union européenne a ouvert, en 2004, l’Aeneas, un « programme d’assistance financière et technique aux pays tiers dans les secteurs de l’immigration et de l’asile ». L’objectif étant de favoriser une immigration légale mais sévèrement contrôlée afin d’éviter l’installation permanente de nouveaux étrangers. De ce fonds, l’Anapec et les associations de producteurs espagnols ont déjà reçu 1,2 million d’euros pour financer leur recrutement sur deux ans. L’expérience menée pour les Espagnols a rapidement convaincu les autres pays de l’Union, l’Italie et la France sont déjà sur les rangs. « Nous avons reçu une commande de producteurs d’agrumes et de kiwis de Haute-Corse, explique Hafid Kamal. Quatre cents hommes, âgés de 35 à 50 ans, pour travailler à la cueillette deux mois, en novembre et décembre. »

Côté français, l’opération est validée par l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Anaem), ex-Office des migrations internationales (OMI), qui délivre déjà, depuis trente ans, des visas temporaires à des travailleurs saisonniers (17 000 en 2006, dont 6 000 à des Marocains). A la grande différence que les visas OMI étaient nominatifs. Doit-on comprendre que la France rouvre les portes de l’immigration ? « C’est une question très politique à laquelle je ne peux pas répondre », répond Yolande Muller, directrice générale adjointe de l’Anaem, en éclatant de rire. André Jenteuil, directeur de l’antenne de l’Anaem à Casablanca, précise que l’Anapec a reçu l’ordre de sélectionner des hommes « d’au moins 35 ans, et mariés, afin d’être sûr qu’ils vont rentrer chez eux » après la récolte.

Interdictions et restrictions

On peut craindre que les désavantages subis par la main-d’œuvre saisonnière recrutée par l’Anapec soient les mêmes que ceux que connaissent, depuis trente ans, les saisonniers en « contrat OMI » des champs de légumes et de fruits en Provence : interdiction de toute revendication, sous peine de ne pas être repris l’année suivante ; non-paiement d’heures supplémentaires ; aucune perspective de progression de carrière et de salaire ; aucun droit aux caisses d’allocations familiales, de chômage et de retraite ; accès aux caisses de santé uniquement si le mal se déclare pendant la période travaillée ; impossibilité de s’engager sur un travail stable dans leur pays d’origine ; et conditions de logement parfois épouvantables ( Libération des 20 février et 3 juil­let 2007).

Hafid Kamal n’a-t-il pas le sentiment de participer à l’exploitation de ses compatriotes ? « Absolument pas ! répond-il comme si la question lui semblait incongrue. Je ne vois pas où est le problème. Ces femmes appartiennent à des milieux très défavorisés. Si elles acceptent, c’est vraiment qu’elles en ont besoin. » Et, pour le consommateur européen, c’est évidemment la condition pour obtenir des fruits et légumes à bas prix dans son supermarché.

Libération.fr - Pierre Daum

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Espagne - Agriculture - Emploi - Anapec

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : les hammams traditionnels en péril

La députée Loubna Sghiri, membre du groupe du Progrès et du Socialisme à la Chambre des représentants, alerte sur la précarité au travail qui touche les travailleuses et travailleurs des hammams traditionnels dont le nombre de jours de travail a été...

Maroc : les agriculteurs rattrapés par l’impôt

Au Maroc, les petits agriculteurs exploitants agricoles exonérés d’impôts réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de dirhams, doivent désormais remplir une déclaration de revenus, a récemment rappelé la Direction générale des impôts (DGI).

Le Maroc contraint de réorienter sa production agricole

Face à la sécheresse et au stress hydrique d’une part, et à l’inflation d’autre part, le gouvernement marocain est contraint de revoir sa politique agricole et alimentaire pour garantir l’eau et le pain.

Maroc : la question des dattes algériennes arrive au parlement

Le groupe Haraki à la Chambre des Représentants a interpellé le ministre de l’Agriculture, Mohamed Sidiki, sur les dattes notamment d’origine algérienne qui ont inondé le marché marocain avant le début du mois de ramadan.

Chute historique des exportations d’olives marocaines

Les exportations d’olive marocaine sont en net recul alors que les importations sont en hausse. Le déficit commercial s’est creusé.

Une lettre particulière d’Amine et de Yasmine à Emmanuel Macron

Dans une correspondance, Amine et Yasmine, deux enfants de huit ans expriment des inquiétudes quant à l’avenir de Casino Saint-Étienne où travaillent leurs parents et demandent au président de la République française Emmanuel Macron de sauver le groupe.

Le roi Mohammed VI en France ?

L’invitation lancée par Emmanuel Macron à Mohammed VI pour le Salon International de l’Agriculture à Paris, du 22 février au 2 mars, ressemble à une tentative de déminer un terrain glissant. Si le roi du Maroc accepte, ce sera sa première visite...

Ramadan 2025 au Maroc : quelle disponibilité pour les dattes ?

Les producteurs et commerçants de dattes au Maroc rassurent les consommateurs quant à la disponibilité et à des prix abordables de ce produit sur le marché pendant le mois sacré de Ramadan.

Le Maroc en manque d’ouvriers

Le secteur de la construction au Maroc est confronté à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. En cause, les nombreux chantiers d’infrastructures lancés dans la perspective de la Coupe du monde 2030.

Coupe du monde 2030 : un pari risqué pour le Maroc ?

L’organisation de la Coupe du monde 2030 par le Maroc, conjointement avec l’Espagne et le Portugal, ne suffira pas pour résorber le chômage endémique et relancer l’économie du royaume, a déclaré l’analyste économique Mohammed Jadri, alertant sur le...