Le Marocain et son portable, une relation très particulière

30 juillet 2007 - 01h50 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les Marocains ont connu la fièvre du téléphone mobile, comme, à différentes époques, ils ont connu celles de la radio, de la télévision, de l’antenne parabolique, et, tout récemment, de l’internet. Simple effet de mode ? En réalité, c’est bien plus que cela : comme technologie de l’information et de communication, le téléphone portable, une dizaine d’années après son apparition au Maroc, est devenu un phénomène de société.

Plus que toutes les autres nouvelles technologies, internet compris, il a investi les chaumières et les entreprises, les établissements scolaires et les hôpitaux, les grandes villes et les douars les plus reculés. Aucune catégorie sociale n’a résisté à son usage, aucun métier n’a échappé à sa séduction, d’autant qu’il est à la portée de toutes les bourses, et d’utilisation facile puisqu’il n’a besoin d’aucun branchement pour pouvoir en user et abuser. Il suffit que la zone soit couverte par le réseau de l’opérateur, sans même qu’elle soit électrifiée, pour pouvoir communiquer à distance, émettre et recevoir des appels, formuler un vœu, une déclaration d’amour, recevoir ou envoyer une mauvaise nouvelle par de simples SMS ou MMS, voire écouter les derniers flashes d’informations, surfer sur la toile et prendre des photos : bref, un outil magique qui a complètement révolutionné les relations sociales.

Quand le bip du portable remplace le bon de commande

Ahmed est propriétaire d’une voiture de transport Honda. Autrefois, il courait derrière les clients. Aujourd’hui, il n’a même pas besoin de se déplacer pour chercher du travail : il lui suffit d’un bip sur son portable pour savoir qui appelle, le lieu où il doit se rendre et la marchandise qu’il doit livrer. Avec son Motorola acheté d’occasion à 200 dirhams, et sa carte prépayée acquise à 50 DH, il est joignable à tout moment. « C’est une véritable aubaine et je ne m’imagine plus vivre sans lui. Je ne l’éteins que le soir, juste avant de me coucher. J’appelle rarement moi-même, car cela décharge rapidement la carte, si quelqu’un a besoin de moi, c’est à lui de m’appeler », déclare tout simplement Ahmed. Comme lui, des milliers de chauffeurs de véhicules de transport sont armés d’un GSM, un moyen de communication qu’ils trouvent rapide et efficace.

Halima est femme de ménage. C’est une journalière et elle travaille chez plusieurs employeurs. Le Nokia de deuxième main qu’elle a acheté, à 150 dirhams, lui rend bien des services. « Le contact est facile et rapide. J’ai des clients réguliers, dit-elle, mais certains d’entre eux sont intermittents. Je les perds de vue pendant plusieurs mois, et un jour, ils appellent pour solliciter mes services. Ils n’ont plus besoin de se déplacer pour frapper à ma porte... ». Maçons, fleuristes, chauffeurs de taxi, serveurs de cafés, cireurs, prostituées, entraîneuses de bars, agriculteurs perdus dans des douars éloignés..., aucun métier n’échappe désormais à la contagion du mobile.

Les gens n’éprouvent-ils donc plus le besoin d’avoir un téléphone fixe ? Si, en fait, lorsqu’ils ont besoin d’avoir une connexion internet. Et encore : les opérateurs de TIC rivalisent pour lancer sur le marché les offres les plus alléchantes. Désormais, sans avoir de ligne fixe, on peut surfer sur le net, à l’aide d’une simple clé USB. On peut imaginer, avec tous les nouveaux services proposés par le GSM, et sa facilité déconcertante d’utilisation, que le téléphone fixe (dont le nombre d’abonnés se réduit d’année en année) ne tardera pas à rejoindre les reliques de l’histoire. C’est en tout cas le pronostic des spécialistes.

Pour tout le bonheur du portable. Désormais, chaque membre de la famille a le sien : adultes, adolescents, voire enfants de dix ans sinon moins. Devant les portails des collèges, des lycées et des facultés, des milliers de doigts pianotent allègrement sur les touches de mobile, les uns pour envoyer des SMS ou pour consulter leur messagerie, d’autres, les écouteurs vissés aux oreilles, écoutent de la musique sur une station radio.

Les données de l’ANRT sont là pour prouver, s’il en était besoin, l’engouement des foyers marocains pour le mobile, au détriment du fixe. Le taux de pénétration de ce dernier était en baisse à 4,24% à fin 2006 (contre 4,49% en 2005 et 4,38% en 2004). A fin décembre 2006, on a dénombré 813 000 lignes fixes contre 884 546 en 2005, alors que l’équipement des foyers en téléphonie mobile connaissait un véritable boom. Environ 68% (contre 61,2% en 2005 et 53,3% en 2004) des personnes disposent de plusieurs téléphones mobiles dans leur foyer. A fin mars 2007, le Maroc a compté quelque 17 126 000 abonnés au téléphone mobile, soit une hausse de 7% par rapport à fin décembre 2006. Le tableau de bord établi trimestriellement par l’ANRT sur l’évolution du parc téléphonique révèle qu’au cours du premier trimestre 2007 (fin mars), il y a eu 17 126 nouveaux abonnés au mobile contre 12 904 pour la même période de 2006, mobile dont le marché est dominé à 66,41% par Maroc Telecom. Bien entendu, c’est toujours le parc prépayé qui vient en tête puisque le post-payé n’occupe pas plus de 3% des abonnés. Quant aux services les plus utilisés du mobile, c’est toujours la réception et l’émission d’appels qui viennent en tête. Mais 67% des détenteurs de téléphone mobile ont utilisé en 2006 des SMS (voir encadré), lesquels se comptent par centaines de millions.

Les opérateurs voient ainsi leurs chiffres d’affaires augmenter d’année en année. En atteste le chiffre d’affaires brut du 1er trimestre 2007 de l’activité « mobile » de Maroc Telecom : il s’établit à 3 795 millions de dirhams, en hausse de 19,3% par rapport à 2006. Le parc mobile de cet opérateur est en croissance constante et atteint 11 372 millions de clients, en hausse de 32,6% par rapport à fin mars 2006, avec un accroissement net de 665 000 clients sur le 1er trimestre 2007.

Les enfants utilisent le GSM comme un objet ludique

Meditelecom n’est pas en reste puisque son parc GSM a franchi en 2006 la barre de 6 millions de clients (34% de part de marché à fin mars 2007) et compte réaliser en 2007, selon son directeur général, Inigo Serrano, dans un entretien accordé à La Vie éco (éd. du 20 juillet dernier), cinq milliards de dirhams de chiffre d’affaires.

Notons qu’avec l’entrée en lice, récemment, de Wana, il faut s’attendre à une concurrence encore plus vive. A quel âge peut-on autoriser un enfant à avoir son GSM ? Il n’y a pas d’âge, répond Chakib Guessous, sociologue : « Les enfants sont friands de ces objets et sont très doués pour leur utilisation. Comme pour l’internet ou les jeux vidéo, le mobile est utilisé par l’enfant comme un objet ludique. » Beaucoup de parents, en tout cas, ne trouvent aucun inconvénient à ce que, tout petits, leurs enfants aient déjà leur portable.

Imane, 17 ans, est lycéenne, elle passera son Bac l’année prochaine. Elle a eu son premier GSM à 12 ans, dit-elle. Son père lui en a offert un après son entrée au collège, avec la formule plafonnée et post-payée : deux heures par mois. Rarement, dit son père, sa fille a dépassé ses deux heures de communication. « J’ai trois enfants. A chacun d’eux j’ai promis d’offrir un portable une fois qu’il accèderait au collège. Ils en ont tous un maintenant, et je suis tranquille car je peux les joindre à tout moment. »

Certains parlent d’un effet désocialisant du portable

L’impact du téléphone cellulaire sur les relations sociales des Marocains ? Si son impact économique et les services qu’il peut rendre sont relativement connus, il n’y a encore à ce jour aucune enquête sur le terrain pour nous éclairer sur l’aspect sociologique de cet outil de communication populaire et relativement démocratique. A première vue, l’utilisation du portable, notamment par les jeunes, facilite les relations humaines : comme le chat sur internet, mais sans avoir besoin d’un ordinateur avec son réseau de fils et de branchements, le modem, etc.). Les adolescents s’envoient des centaines de milliers de SMS par jour.

Les téléphones portables n’ont-ils apporté que des avantages ? Loin de là, puisqu’il y a un revers de la médaille. D’abord, les enseignants s’en plaignent : malgré leur interdiction dans les classes, beaucoup d’élèves se concentrent plus sur leur GSM que sur le cours. Quelques établissements scolaires huppés de la place ont même installé un système de brouillage pour interdire de facto son utilisation. Son usage excessif entraîne ensuite une sorte de « désocialisation » selon les sociologues : « Les SMS sont d’utilisation facile pour les jeunes, mais ils ont l’inconvénient de prendre la place de relations directes entre eux, or il n’y a rien de plus enrichissant que les relations humaines directes », remarque M. Guessous. Deux autres dangers menacent l’utilisateur abusif de portable : l’un serait d’ordre sanitaire, mais aucune étude scientifique n’a confirmé le danger cancérogène sur le cerveau dû à l’utilisation abusive du portable. L’autre, en revanche, est scientifiquement démontré : avec kit mains libres ou sans, le risque d’accident est grand chez les conducteurs de véhicules qui utilisent leur portable au volant (voir encadré). Si quasiment tous les pays du monde l’ont proscrit dans leur code de la route, c’est que le danger est réel.

La vie éco - Jaouad Mdidech

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