Le rêve italien des Marocains de Turin

1er juin 2006 - 12h07 - Monde - Ecrit par : L.A

A "Porto Palace", l’un des quartiers populaires de Turin, il est difficile de ne pas rencontrer de Marocains. En fait, c’est le quartier marocain par excellence. Entre téléboutique, boucherie à la marocaine, et épicerie regorgeant de produits signés Maroc, toutes les conditions ont été réunies pour reproduire les conditions de vie à la marocaine, si chères aux immigrés.

Du gardien de voitures, au vendeur de persil, en passant par le garçon de café, les Marocains sont omniprésents à Turin. En effet, cette ville du Nord et sa région abritent la plus importante communauté marocaine de l’Italie. Sur les 250.000 Marocains qui ont élu domicile dans la "botte" italienne, près de 60.000 se trouvent dans cette région. A ceux-là s’ajoutent entre 15.000 et 20.000 clandestins qui cherchent encore à légaliser leur situation. Les originaires de Khouribga et de Beni Meskine viennent en tête avec plus de 60% de l’effectif total, tous attirés par le rêve italien, un rêve qui s’avère finalement être un canular.

Pour ce vendeur de persil et de menthe, la vie à Turin ne lui a pas vraiment réussi, pas plus qu’au Maroc d’ailleurs. "Je vendais du persil au Maroc, mais au moins j’avais l’avantage de vivre avec ma famille", a-t-il souligné non sans nostalgie. La situation n’est pas meilleure pour Abdallah. Bien que disposant d’un travail permanent, son salaire ne lui permet pas de subvenir à ses besoins. Il est contraint de vendre des sacs en plastique pendant le week-end pour arrondir ses fins de mois. "Je travaille dans une usine, mais mon patron m’a déclaré en tant qu’employé de maison afin de réduire les charges", a martelé cet originaire de Beni Meskine, toujours aux aguets, de peur d’être traqué par les agents de police.

Les deux jeunes originaires de Hay Moulay Rachid de Casablanca ne sont pas mieux lotis. Après avoir traversé clandestinement vers l’autre rive de la Méditerranée à bord d’un camion, ces deux jeunes Casablancais ont traîné pendant huit mois en Espagne avant d’atterrir en Italie, dans l’espoir d’un avenir meilleur qui ne s’avère être, pour le moment, qu’une gestion à la marocaine d’un parking pour voitures pendant la nuit. C’est qu’il est difficile de trouver du travail dans cette région du Nord si on n’est pas qualifié.

Pour le Consul Général du Maroc à Turin, Abderrahim Bendaoud, ce sont les travaux qualifiés tels les soudeurs, les mécaniciens, entre autres, qui sont les plus sollicités, en plus de travaux saisonniers dans l’agriculture. Autrement dit, il est vraiment difficile de dénicher un boulot dans cette région. Et ce n’est pas Mustapha, ce jeune garçon de café, qui dirait le contraire. Arrivé du Sud où sont installés ses parents, il a dû trimer pour trouver cette place. Trouver un travail stable constitue aujourd’hui un vrai défi pour les immigrés marocains d’Italie. Et pour cause, la décision du gouvernement Prodi d’abroger la loi "Bossifini" sur l’immigration, va permettre de régulariser la situation de pas moins de 500.000 immigrés clandestins.

Toujours selon Abderrahim Bendaoud, entre 45.000 et 50.000 Marocains pourront bénéficier de cette opération. L’unique condition exigée par l’Italie est de disposer d’un travail. L’idée est simple, si ces immigrés sont condamnés à vivre en Italie, autant régulariser leur situation et permettre ainsi à l’Etat de profiter d’une ressource d’argent supplémentaire.

Cela dit, le travail n’est pas l’unique problème auquel sont confrontés les immigrés marocains en Italie. Illettrés ou d’un niveau scolaire très bas, ils trouvent souvent des difficultés à s’intégrer dans la société. Entre extrémisme, délinquance ou prostitution, il n’y a qu’un petit pas à franchir. Et ils sont plusieurs à l’avoir franchi. Ceux qui ont été dans l’impossibilité de trouver un emploi stable, se sont transformés en délinquants, transformant ainsi le quartier "Porta Palace" en véritable lieu de délinquance et débauche, particulièrement pendant la nuit où il faut réfléchir à deux tours avant d’y mettre les pieds. D’autres ont cherché l’argent facile et préféré évoluer dans le monde de la prostitution. Fatéma de son surnom"Al Aouda", originaire de Khouribga, est de ceux qui ont investi dans ce domaine. Une maison et des filles de joie qui vendent leur corps pour 25 à 50 euros à "Porta Noeva" lui ont permis d’assurer son avenir en Italie.

Libération - Amina Salhi

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