Marrakech : Le malaise immobilier

2 avril 2007 - 00h46 - Maroc - Ecrit par : L.A

L’attrait de la Ville rouge entraîne une pénurie d’habitations dont les plus démunis font les frais. Le gouvernement promet des logements sociaux. En attendant, beaucoup recourent au rhâne, un système de location informel. Et risqué...

Marrakech, le boom immobilier n’en finit pas. Dopée par les ambitions touristiques du royaume - 10 millions de visiteurs en 2010 - la Ville rouge, qui frôle désormais le million d’habitants, ne cesse de s’étendre, au fur et à mesure que s’ouvrent des chantiers. La création de la ville de Tamansourt, dont le projet était dans les cartons depuis 1990, est en passe de devenir une réalité. Cette cité accueillera 300 000 habitants. Les premières villas seront bientôt habitées par une classe moyenne qui n’a plus les moyens de se loger dans la cité, ou même à sa périphérie, tant les prix ont augmenté.

Car le développement de Marrakech ne profite pas à tout le monde. Au même titre que les classes moyennes, les plus démunis éprouvent les pires difficultés. Sans bulletins de salaire, ils ne peuvent accéder aux logements sociaux, destinés uniquement à la vente. Pour trouver un toit, il ne leur reste, bien souvent, que le système D. Ils utilisent donc une vieille pratique, celle du rhâne, porte ouverte à tous les abus. Le mécanisme en est simple : un propriétaire emprunte de l’argent auprès d’un particulier afin de financer des travaux dans son logement ; le bailleur de fonds peut, en contrepartie, habiter provisoirement la maison, payant alors un loyer mensuel modéré et récupérant sa mise lorsqu’il quitte les lieux. « C’est, explique Hussein, gardien de nuit dans un riad de la médina, un moyen commode pour une famille pauvre d’arriver à se loger. Tout coûte trop cher, aujourd’hui. Le rhâne, c’est mieux que rien. Si je n’avais pas la chance d’être propriétaire, c’est probablement une solution que je n’écarterais pas. » Le fait de devoir verser une somme assez importante - souvent entre 3 000 et 5 000 euros - n’est pas un obstacle. « Le plus souvent, précise-t-il, on se met à plusieurs pour réunir l’argent. »

La formule ressemblerait à une location classique, si tous les éléments étaient pris en compte dans le contrat. En réalité, toutefois, seul le crédit est déclaré auprès de l’administration. Officiellement, la location n’existe pas... et le propriétaire ne paie pas d’impôts. Mais ce flou juridique entraîne inexorablement abus et dérives.

C’est dans le quartier du M’hamid, dans le sud de Marrakech, à quelques minutes de l’aéroport, que le rhâne a connu l’essor le plus spectaculaire. Les maisons y poussent comme des champignons, de même que les agences immobilières. C’est par l’intermédiaire de l’une d’elles que Hicham a trouvé un toit, au début de 2006. Ce jeune commerçant berbère cherchait un logement à Marrakech afin d’épargner de longs déplacements à sa mère, atteinte d’un cancer et soignée dans un hôpital de la ville. Mais il se rend vite compte qu’il ne pourra pas payer les loyers exigés. Une petite agence du M’hamid le met en relation avec un Marocain immigré en Italie. La maison est au cœur d’une rue en construction. Elle comprend quatre murs et un toit, certes, mais tout le reste est à faire.

« Au début, raconte Hicham, il n’y avait ni porte ni fenêtres. Nous n’avions pas l’eau. Les ouvriers venaient tous les jours pour les travaux. » Pas question pour autant de se plaindre. « Dans le quartier, poursuit le jeune homme, beaucoup de familles vivent dans les mêmes conditions. Et puis, à cause de la maladie de maman, le propriétaire avait accepté de me dispenser du loyer. » Depuis, Hicham a perdu sa mère. Les travaux de la maison ont bien avancé, mais il envisage de repartir vivre chez lui, à Asni. « Tout, ici, est devenu hors de prix. Je préfère m’installer loin de Marrakech. » Son propriétaire n’aura aucun mal à trouver un autre locataire, auquel il empruntera à nouveau de l’argent, le temps d’achever les finitions. Les agences immobilières, moyennant une commission de 2 à 3% sur le montant du crédit, reçoivent tous les jours de nouveaux candidats.

Abdelkader, qui a lui-même fait appel au rhâne afin de financer les travaux de sa villa, a installé sa modeste agence dans le quartier il y a cinq ans. Après avoir vanté les vertus de la formule, il concède, un peu gêné, que « certains propriétaires peuvent profiter de la situation. Tout le monde sait qu’il y a des dérives, mais on ferme les yeux ». A quelques dizaines de mètres de là, un autre agent immobilier évalue la hausse de sa clientèle à 50% en un an. « Je ne m’occupe que du crédit. Si certains louent, ce n’est pas mon problème », ajoute-t-il.

La Mamounia de Marrakech

La pauvreté dans la vieille ville n’a pas disparu

Les autorités affirment tout ignorer de ces dérives. « Nous ne pouvons pas interdire le rhâne, explique Omar el-Jazouli, maire de Marrakech, car c’est un système qui a été conçu, à l’origine, pour éviter les prêts avec intérêt, proscrits par l’islam. Si, effectivement, nous apprenions que des familles vivent dans des maisons en construction, nous interviendrions, car c’est illégal. Mais, pour l’heure, nous n’avons reçu aucune plainte. »

Et il n’est pas près d’en recevoir, si l’on en croit Hussein, le gardien de nuit : « Ces gens n’ont pas d’autre choix. C’est ça ou dormir dehors. Ils préfèrent se taire. »D’autant que les familles les plus démunies ne peuvent pas recourir, le plus souvent, à l’aide de l’Etat. Du moins en sont-elles persuadées. Ainsi Khadija. Cette veuve de 50 ans vit seule avec ses quatre enfants dans un faubourg de Marrakech, à Douarziki, sur la route d’Essaouira. Ses ressources mensuelles ne dépassent pas 110 euros. Elle habite dans une vieille maison insalubre prêtée par un ami de son mari et dont le toit de la terrasse menace de s’écrouler. « Sans cette aide, je serais dehors avec ma famille, dit-elle. L’Etat ne peut rien pour des gens comme moi. Pour obtenir un logement, il faut un salaire. Je ne peux même pas travailler, car je suis malade. J’espère que Dieu fera quelque chose pour nous. » Malgré ses prières, son avenir ne s’annonce pas rose. Le propriétaire aimerait en effet récupérer son bien. « Cela fait longtemps qu’il me l’a demandé. Du jour au lendemain, il peut nous déloger, puisqu’il n’existe pas de contrat. Que ferons-nous alors ? » s’interroge, perplexe, Khadija.

Mais la crise du logement ne concerne pas que la périphérie de la ville. Les habitants de la médina ne sont pas moins touchés. Masquée par le tourisme, le rachat et la restauration des riads par des Européens, la pauvreté dans la vieille ville n’a pas disparu. Dans les foundouks - gîtes au temps des caravanes où les marchands itinérants passaient la nuit - on recense encore plusieurs dizaines de familles qui résident dans une seule pièce, isolées et particulièrement vulnérables.

Allongée sur une banquette devant la télévision, Kebira est entourée de son mari, de ses trois enfants, de 6, 12 et 15 ans, et de sa sœur. La chambre qu’elle loue dans le quartier d’Assouel pour 60 dirhams (5,40 euros) par mois n’atteint pas 10 mètres carrés. A peine y a-t-il la place pour un grand lit et deux banquettes pour la nuit. Résignée, elle ne compte sur personne : « Mon mari est malade. Il ne peut plus travailler. Je gagne un peu d’argent en faisant des ménages. On attend que les choses se passent. » Peut-être bénéficiera-t-elle de la politique d’éradication des logements insalubres, lancée par le gouvernement au début des années 2000. « Nous proposons aux habitants des bidonvilles de quitter les lieux en échange d’un terrain dans une zone habitable avec l’eau, l’électricité et des espaces verts aux alentours, explique Khatib Lahbil, directeur de l’Erac-Tensift, établissement public de promotion immobilière. On leur donne un plan d’architecte afin qu’ils bâtissent leur maison. Enfin, nous leur attribuons une somme de 10 000 à 20 000 dirhams [de 900 à 1 800 euros] pour acheter des matériaux. »

Certaines familles refusent la proposition, jugée trop modeste. Sur la route de Tamansourt, par exemple, des dizaines d’habitants de la cité Fram attendent un geste supplémentaire de l’Etat. « On nous propose 10 000 dirhams pour partir. Mais peut-on vraiment construire quelque chose avec une telle somme ? » s’interroge Mustapha, qui, la trentaine passée, n’a jamais vécu ailleurs que dans ce bidonville en pisé qui compte encore 45 foyers, contre 225 avant le lancement de cette politique. D’après les chiffres officiels, 3 515 ménages sur 9 510 ont d’ores et déjà été relogés.

Les habitants des 96 foundouks recensés sont aussi concernés par le dispositif. « Nous n’en sommes qu’au début. Sur les 1 568 familles que nous avons ciblées, une cinquantaine ont été recasées », détaille Mounir Chraïbi, wali (préfet) de Marrakech.

En parallèle, l’Erac a entrepris un vaste programme de construction de logements sociaux. « La meilleure façon de lutter contre la flambée des prix de l’immobilier est de renforcer l’offre, ajoute le wali. En outre, il nous faut combler un retard évalué à 30 000 logements, tout en prenant en compte les besoins réels annuels, qui correspondent à quelque 10 000 unités. »

D’après l’établissement public, 14 274 appartements à bas prix ont été construits à Marrakech. « L’Erac n’est pas le seul maître d’ouvrage. Le privé a assuré la moitié de ces réalisations », indique encore Mounir Chraïbi. Mais ces logements sociaux ne sont disponibles qu’à la vente. Par conséquent, ils ne sont pas accessibles à tous. Et, si des aides existent pour faciliter l’attribution d’un crédit, la grande majorité de la population ignore tout de ces dispositifs.

Le grand souk couvert de Marrakech

Trois questions à Mounir Chraïbi

Le wali de Marrakech présente ses projets pour développer l’offre de logements dans sa ville

Quelle politique l’Etat met-il en œuvre pour venir en aide aux mal-logés de Marrakech ?

Il faut éradiquer les logements insalubres. Nous nous sommes fixé comme objectif le relogement de 21 775 ménages, soit 100 000 personnes. C’est chose faite pour 43% d’entre elles. Il faut aussi résorber la pression sur la ville. Des milliers de personnes y arrivent chaque année. L’attractivité économique et l’absence d’activités dans les zones rurales sont les causes de ce phénomène. Nous devons donc construire massivement et rapidement. Près de 32 000 logements économiques ont été ainsi mis en chantier en 2006.

Comment expliquez-vous que les plus pauvres n’accèdent pas à ces logements ?

Il faut d’abord qu’ils en fassent la demande. Or ces familles ignorent souvent qu’il y a aujourd’hui des logements accessibles à toutes les bourses. Nous proposons des appartements à partir de 100 000 dirhams (9 000 euros). Les solutions existent. L’Etat a mis en place un fonds de garantie, destiné à ceux qui n’ont pas de revenus fixes. Pour acheter leur bien, ils peuvent verser 10% du montant total, par exemple, puis payer des traites de 400 ou 500 dirhams (de 36 à 45 euros) par mois.

Que faire contre le rhâne et ses abus ?

Le rhâne a toujours existé, à Marrakech. Il ne s’agit pas d’habitat insalubre. Ce système ne me pose pas de problème d’ordre public et nous n’avons enregistré aucune plainte. A moins de l’interdire par la loi, nous ne pouvons le contrôler. Le fisc peut éventuellement s’en mêler, afin de récupérer des impôts. Mais, ces loyers étant très faibles, les propriétaires ne seraient même pas imposables sur ces revenus.

Marrakech en chiffres

2,4%
La croissance démographique annuelle est supérieure à la moyenne nationale (2,1%).

34,5%
La ville représente, à elle seule, plus d’un tiers de la région Marrakech- Tensift- Al Haouz.

60%
des flux migratoires vont à Marrakech.

10 000
C’est le nombre de logements supplémentaires qu’il faudrait construire chaque année, selon les évaluations des autorités marocaines.

L’Express - Xavier Renard

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