Vous vous êtes distinguée lors de la campagne présidentielle française en étant porte-parole de Ségolène Royal. Ne croyez-vous pas que vous tronquez les principes démocratiques en acceptant d’être nommée membre d’une instance devant être élue ?
Mon engagement politique est en France et nulle part ailleurs. C’est là que je sollicite le suffrage des électeurs et que je rends compte de mon action. Le Conseil des Marocains de l’étranger est une instance consultative et non représentative au sens strict, puisque nous n’y sommes pas élus, mais désignés, un peu comme le Conseil économique et social en France. Il n’est pas question pour moi que ce Conseil se substitue d’une manière ou d’une autre à l’expression de la volonté populaire des Marocains. Je ne vois pas de reniement de quelque principe démocratique que ce soit dans cette démarche. Si cette instance avait été élective, en revanche, je n’y aurais pas participé.
Je crois que c’est aussi l’occasion d’apporter le témoignage que l’on peut être parfaitement à l’aise avec une double culture et, pour ce qui me concerne, une double nationalité.
Certes, le CCME dans sa version actuelle est provisoire, mais il n’empêche que votre position n’est pas très confortable...
Dans sa phase transitoire, le CCME exprime à travers ses membres un point de vue de Marocains de l’étranger, riches de plusieurs cultures et engagés dans la vie locale, économique, associative, politique de leur pays de résidence... Je ne vois pas dès lors en quoi ma position est inconfortable. En France, à Lyon plus précisément, j’ai travaillé dans le cadre de mon activité auprès du Maire de Lyon, sur la création d’un Conseil des résidents étrangers permettant aux habitants étrangers de Lyon, privés du droit de vote, de pouvoir s’exprimer et d’enrichir l’action locale de leurs avis et propositions. Les membres de ce Conseil sont aujourd’hui désignés (et non élus) au terme d’une procédure de sélection impartiale visant essentiellement à représenter de façon juste les différentes communautés, les différents âges, les différents sexes et les différentes catégories socioprofessionnelles.
Connaissez-vous suffisamment les MRE et leurs problèmes pour pouvoir vraiment en être le défenseur ?
Je crois qu’il ne faut pas se tromper sur l’objet de cette commission. C’est un conseil consultatif et pas un organe décisionnel. Les représentants des Marocains de l’étranger, ce sont les parlementaires marocains, pas les membres du CCME. Je le répète, nous ferons valoir un point de vue sur les sujets dont le CCME sera saisi compte tenu de nos expériences, de nos sensibilités et de nos responsabilités et de notre attachement au Maroc. Quant à connaître les Marocains de l’étranger, il serait bien présomptueux de prétendre les connaître parfaitement, cependant, l’histoire de beaucoup d’entre eux est aussi la mienne.
Justement, c’est quoi le rôle du Conseil ?
Le Conseil a vocation à être consulté sur un certain nombre de sujets intéressant les Marocains de l’étranger, on évoque en particulier la question de la politique migratoire. Je souhaite que l’on puisse, au-delà, parler aussi de co-développement. Mais je crois que nous pourrons être saisis d’autres sujets liés à la mise en œuvre de politiques publiques, la volonté de Sa Majesté le Roi étant d’accorder un champ assez large au Conseil.
Des ONG, en Europe notamment, montent au créneau pour dénoncer la procédure de formation du Conseil. Qu’en dites-vous ?
Je pense que comme toute nouvelle instance celle-ci suscite à la fois des attentes, des interrogations, voire des inquiétudes, a fortiori lorsque celle-ci procède de la désignation et non de l’élection ; c’est normal. Moi-même, j’ai beaucoup de questions à poser sur le fonctionnement de ce conseil. Aucun des membres du CCME ne veut ni être une caution, ni un faire-valoir. On ne signe pas de chèque en blanc. Le Conseil devra apporter la preuve qu’il est légitime. Cette légitimité, il l’acquerra par un travail libre et indépendant.
Pensez-vous que la composition du Conseil reflète la diversité de la communauté marocaine de l’étranger ?
Je ne saurais vous répondre vraiment, je ne connais pas beaucoup les autres membres du Conseil. C’est toujours difficile de composer une commission. Je note néanmoins que celle-ci n’est pas complète, puisque seulement 37 des 50 membres ont été nommés par le Roi. Il y a sans doute la place pour des ajustements.
Certes, la personnalité du président fait l’unanimité, mais aura-t-il les coudées franches ?
Vous avez raison de dire que la personnalité du président, Driss Elyazami, est importante et constitue en soi un signe qui devrait rassurer. Le président, comme l’ensemble des membres de la commission, devront avoir ce que vous appelez les coudées franches.
A nous de rendre cette commission crédible et légitime, et pour cela il faut que le président et les membres de la commission n’aient aucun interdit. Je n’ai pas, pour ma part, l’intention de renoncer de quelque manière que ce soit à la liberté de parole qui est la mienne, ni aux valeurs auxquelles je crois, et qu’il faut défendre en France comme au Maroc.
Quelle démarche comptez-vous adopter pour être à l’écoute des MRE et défendre leur cause ?
Je voudrais à nouveau dire qu’il n’appartient pas à cette commission ni de se substituer aux représentants élus des Marocains de l’étranger, ni aux consulats qui, au premier chef, doivent défendre les intérêts des Marocains.
La commission s’exprimera d’abord sur les sujets dont elle sera saisie par Sa Majesté en faisant valoir un point de vue de Marocains de l’étranger, et pour ce qui me concerne de Franco-Marocaine engagée dans la vie politique française. J’espère que le Conseil pourra également relayer un certain nombre de préoccupations dont les ONG que vous mentionniez tout à l’heure se font l’écho. Très concrètement, je ne sais pas encore comment la commission va fonctionner. J’imagine qu’elle aura un secrétariat auquel les requêtes pourront être adressées.
Maroc Hebdo - Noureddine Jouhari