L’introduction du système de jour-amende dans le cadre des peines alternatives pourrait devenir une réalité au Maroc. Une loi devrait être bientôt votée dans ce sens.
Sous ses airs de jeune femme sage et un peu triste habillée tout en noir, Sarah est une rescapée, du genre battante. "Avant, j’étais une racaille, un bonhomme. De la ####, quoi", explique cette gamine antillaise de la cité Balzac, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), là où Sohane, 17 ans, est morte brûlée vive, le 4 octobre, agressée par un ancien copain de cité.
Dans un univers où les rapports filles-garçons se déclinent souvent sur le mode de la violence, Sarah a longtemps survécu en jouant les garçons manqués : "De 11 à 19 ans, j’ai fait toutes les conneries. T’es obligée de vivre comme ça, c’est la loi de la cité."
A 20 ans, ce bout de femme de banlieue aux huit frères et sœurs commence pourtant une deuxième vie. Sous son pull à col roulé, une longue cicatrice lui sillonne la poitrine. Le 14 avril 2001, un garçon lui a tiré dessus à bout portant, dans un appartement de Vitry. "Dans cet endroit, il y avait des armes et des gens plus âgés, je n’étais pas à ma place. Encore maintenant, je ne sais pas ce qui s’est passé, raconte Sarah. La balle est passée à trois centimètres du cœur. Elle est restée neuf jours dans mon corps. Je suis une miraculée."
La jeune femme décide alors de prendre un nouveau départ : "Je me suis posé des tas de questions et j’ai décidé de changer d’attitude." Après avoir quitté l’école sans obtenir son BEP de comptabilité et fait des petits boulots, Sarah perçoit aujourd’hui les allocations chômage et suit des cours de théâtre, tout en vivant chez sa mère.
Maquillée, savamment coiffée, élégante dans une veste cintrée et un "pantalon de fille", Fatia, elle aussi, a décidé de changer et n’a plus peur, à 19 ans, d’affirmer son statut de jeune femme vis-à-vis des garçons. "Avant, je camouflais mes seins et mes fesses avec des vêtements amples. J’étais toujours en survêtement et sweat, explique cette lycéenne d’origine malienne, qui habite aussi la cité Balzac. Même si j’étais une fille à l’intérieur, je ressemblais à un garçon." Fatia évoque la difficulté d’assumer sa différence comme fille ainsi que la tentation de se protéger et d’affirmer son appartenance au groupe en imitant les garçons. "Faut être rebelle, avoir une grande gueule, encore plus quand tu es une fille", explique-t-elle.
Autre contrainte, le poids du qu’en-dira-t-on, dans des cités où tout le monde vit en vase clos. D’où le fait d’aller trouver un petit copain plutôt en dehors du quartier ou de cacher une liaison, comme l’explique Fatia, qui sort depuis trois ans avec un garçon de la cité Balzac : "Quand on est dans la cité, on ne se tient pas par la main, on ne se fait même pas la bise." Par réflexe d’autodéfense, elles résistent à la demande sexuelle des garçons, car perdre sa virginité, c’est perdre sa réputation. "Il ne faut pas se donner comme ça, il ne faut pas se salir et faire complètement confiance à quelqu’un", explique Sarah."Une fille qui fume dans la rue, qui n’est plus vierge ou qui est sortie avec plusieurs garçons, pour eux, c’est une ####", surenchérit Kahina, 18 ans, blonde aux yeux bleus d’origine algérienne. Ce contrôle social est souvent exercé par les grands frères ou les cousins. "Un jour, mon cousin m’a baffée parce qu’il avait trouvé des cigarettes dans mes affaires, raconte Kahina. Lui, il fume depuis l’âge de 13 ans, mais moi, je n’ai pas le droit. Ce n’est pas pour ma santé, c’est parce qu’il trouve que c’est vulgaire."
"ON CONTOURNE"
Choquées par la mort de Sohane, les trois copines ont décidé, avec d’autres amies de la cité Balzac, de créer une association. Elles ne savent pas encore ce qu’elles veulent faire, mais toutes se plaignent des contraintes qui pèsent sur elles et qui les distinguent des filles ne vivant pas en cité."Elles n’ont pas la même pression, elles ont plus de liberté et elles sont choquées quand on leur raconte notre vie", explique Sarah, qui relativise néanmoins la situation. "Il ne faut pas généraliser et, de toute façon, on s’arrange avec tout ça, on contourne." D’ailleurs, d’après elle, la situation s’est améliorée."Nos petites sœurs n’ont plus besoin de faire tout ce qu’on faisait pour s’affirmer. Elles sortent, elles ont des petits copains", affirme-t-elle. C’est le cas de Nelly. A 16 ans, cette lycéenne, qui vit dans une cité difficile du Val-d’Oise, a un petit ami depuis un an et demi. Mais elle a fait le tri parmi ses copains masculins. Il y a les cinq qu’elle continue à fréquenter et les autres, ceux qui traînent dehors, fument du haschich dans les cages d’escalier, boivent de l’alcool dans les soirées. "Quand on parle avec eux, on a l’impression qu’une fille, c’est de la chair. Ils en voient une passer et disent "hum, c’est bon, c’est pour moi"."
Avec ses jolis yeux noirs en amande, ses longs cheveux bruns, Nelly, qui a des origines espagnoles, est une adolescente timide et méfiante. Dans la semaine, elle rentre directement à la maison après les cours et fait ses devoirs. Le week-end, elle va au cinéma, au McDo ou regarde un DVD avec sa petite bande, mais ne rentre pas chez elle après 20 h 30. "Nos mères, qui se connaissent, ont édicté des règles auxquelles nous nous tenons. Je suis la seule fille du groupe, mais je suis la petite protégée. Je connais la mère de mes copains, ils connaissent la mienne."
Nelly refuse de faire l’amour avec son ami. Ce n’est pas qu’elle craigne qu’il lui fasse "une réputation", mais elle ne se sent pas prête."Certaines disent non et on ne les embête plus, mais il arrive que des garçons fassent aussi une réputation à celles qui leur résistent. Une copine à moi avait refusé de sortir avec un garçon qui l’a fait passer pour une traînée." Mais, précise la jeune fille, son ami est différent des autres, il attendra. "L’an dernier, au collège, beaucoup de garçons forçaient les filles. Ils leur donnaient des rendez-vous dans des lieux sales, des caves ou des porches. Pour obtenir ce qu’ils voulaient, ils les menaçaient de raconter à leur grand frère ou à leur père ce qu’elles avaient déjà fait avec un tel ou un tel."
Nelly, elle, tient les garçons à distance. Elle ne leur fait pas la bise, mais leur serre la main. Jusqu’en novembre 2001, elle n’avait jamais eu peur. Et puis sa meilleure amie, Anna, a été violée par son petit copain. "Après, je ne sortais plus, j’ai fait des cauchemars pendant plusieurs mois. Je rêvais qu’on violait mes petites nièces." Le retour de son amie au collège s’est très mal passé. "Anna avait rompu la loi du silence. Elle avait porté plainte. Pour les autres filles, c’était insupportable. Alors elle s’est fait accuser d’être une allumeuse, d’avoir cherché ce qui lui était arrivé. Les filles l’agressaient, disaient qu’elle avait menti."
Depuis, Nelly n’a plus trop confiance dans les filles. "Beaucoup vivent dans le mensonge et, pour qu’on ne salisse pas leur réputation, elles sont prêtes à salir celle des autres." Mais, depuis cette année, elle reprend plaisir à les côtoyer. Dans son lycée professionnel, il n’y a quasiment pas de garçons, alors l’ambiance est plus détendue. "J’avais oublié comment c’était, les conversations entre filles, plaisante Nelly. Oui, on parle de fringues, et des garçons aussi..."
Frédéric Chambon et Martine Laronche
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