Fatima O., 24 ans, et Majda O., 18 ans, ne sont pas parentes mais toutes deux ont une histoire familiale tissée par la misère, le sens du devoir et la soumission au père. Pour les convaincre de les suivre, les époux Oughalmi ont promis à la première un bon mariage, à la seconde la possibilité de poursuivre ses études, aux pères des deux, un travail et un salaire. Arrivées à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), leur rêve d’adolescente s’est usé sur les tâches ménagères, les mensonges et les menaces. A la barre, la fluette Fatima raconte : « Je me réveillais à 6 heures, je préparais le petit déjeuner puis je conduisais les enfants à l’école. A 8 h 30, je partais travailler chez un couple à Paris je reversais mon salaire à M. Oughalmi pour la nourriture et l’hébergement. Je récupérais leurs enfants à 16 heures Au retour, je faisais la vaisselle, le ménage, puis le dîner, puis je berçais les enfants. Parfois jusqu’à 1 heure du matin. Quand ils faisaient des bêtises, je prenais les coups... »
Hier, tard dans la soirée, leur employeur a été condamné à douze ans de réclusion criminelle par la cour d’assises du Val-d’Oise, pour avoir réduit en esclavage les deux jeunes Marocaines et avoir violé l’une d’elles. Sa femme, Rkia Oughalmi, s’est vu infliger une peine de trente-six mois d’emprisonnement, dont six mois ferme. Le couple Oughalmi, habitant Garges-lès-Gonesse, comparaissait depuis mercredi pour « soumission à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité humaine » concernant les deux jeunes filles qui habitaient chez lui.
« Visite médicale. » Plus encore que Fatima, Majda sait que, pour elle, il n’y a pas de retour au pays possible : à l’entendre, l’adolescente, qui n’avait pas 16 ans à son arrivée en France, a été, moins qu’une domestique, une esclave sexuelle entre les mains de l’homme. Déshonorée, elle n’a plus sa place au Maroc : sa terreur d’être arrêtée sans papiers et expulsée vient de là. « Ils m’ont sortie du pays en juillet 2002. En Espagne, on s’est arrêtés près d’un restaurant. L’homme m’a conduite dans les toilettes femmes, m’a dit qu’il devait me faire passer une visite médicale pour les papiers et m’a demandé de me déshabiller. Il m’a bandé les yeux et m’a sodomisée avec un objet, j’ai vu après que c’était un phallus en plastique orange. Puis il a voulu me pénétrer, je me suis débattue. Il s’est excusé, a dit que c’était une faute pour que j’arrête de pleurer. On est repartis. » Simple trêve. Car, une fois à Garges, Jamal Oughalmi aurait exigé davantage : « Il m’a dit que, désormais, je devrai faire l’amour avec lui deux fois par semaine. Au début c’était ça, dans sa fourgonnette ou chez lui. Un jour, il m’a emmenée dans un hôtel Formule 1. Il y avait un autre homme qui a regardé. »
Epouse « perturbée ». Dans le box, Jamal Oughalmi ne bronche pas. Incarcéré depuis déjà deux ans, l’ancien chauffeur-livreur, au chômage depuis janvier 2003, nie en bloc. Ces jeunes filles, il les a à peine vues. D’ailleurs, il ne « comprend rien » à cette histoire, et ne s’explique toujours pas pourquoi la police a fait irruption dans son appartement, le 15 avril 2003.
Ce jour-là, alertés par deux appels sur le 17, les policiers trouvent chez les Oughalmi les deux jeunes filles hagardes : Fatima, pieds nus, affolée, a les chevilles et les poignets cerclés de rouge ; Majda est cachée sous un lit. Au médecin, qui l’examine le lendemain, Fatima explique : « Il dit qu’il veut que je travaille le trottoir pour lui. Il veut que je ####. » Interrogée sur ses ecchymoses corporelles, elle raconte sa fuite de l’appartement, son retour forcé, les coups : « Il me frappe avec un truc de balai. Il m’attache les mains dans le dos et me laisse la nuit comme ça. » Majda confirme ses dires, et précise : « Je suis venue porter de l’eau à Fatima, qui était attachée dans la salle de bains. Je lui ai dit qu’elle devait lui donner 3 millions de dirhams ou coucher avec lui pour qu’il la laisse tranquille. Elle a refusé. »
Nathalie RAULIN - Liberation.fr