Les Marocains du monde ont transféré au Maroc près de 115,15 milliards de dirhams (MMDH) à fin décembre 2023, soit une hausse de 4 % par rapport à la même période de 2022 (110,72 MMDH), révèle l’Office des changes.
Le discours royal du 6 novembre 2005, à l’occasion du 30ème anniversaire de la glorieuse Marche Verte, renvoie à des enjeux centraux en termes démocratiques, politiques et de participation citoyenne.
Ce discours fondateur concernant le dossier stratégique de la communauté marocaine établie à l’extérieur, constitue un tournant d’une très grande portée et une opportunité riche en perspectives prometteuses. Reçu avec enthousiasme au sein de la communauté et par les démocrates à l’intérieur du pays, il a réparé une injustice concernant cette population (évaluée maintenant à plus de trois millions de Marocains vivant à l’étranger) qui était, depuis 1992, privée du droit de vote et d’éligibilité au parlement, qui lui avait été confisqué.
Pris désormais comme des acteurs majeurs, les Marocains de l’extérieur sont réintégrés dans leurs droits civiques et politiques et considérés comme des citoyens marocains à part entière, devant assumer tous leurs devoirs et responsabilités, mais bénéficiant également de tous leurs droits, induisant ainsi la notion d’égalité dans la citoyenneté. Ce faisant, les Marocains d’ailleurs recouvrent les droits que leur confère la Constitution et ce, sans restriction aucune.
L’initiative royale, qui a fait l’objet d’une demande citoyenne pressante aussi bien à l’intérieur du Maroc que surtout, au sein de la communauté elle même, à travers les sensibilités diverses de ses forces démocratiques et militantes, et sous différentes formes depuis longtemps, (journées d’études, interventions dans les média, doléances, motions, pétitions, remise de mémoires, visite à des dirigeants politiques et groupe parlementaire dans deux chambres, sensibilisation des décideurs, recours à la Cour suprême etc ...) a été complétée par l’annonce de la prochaine mise en place d’un conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger, présidé par le Souverain.
Relevons à ce propos, que l’idée de création de ce conseil, avait fait l’objet notamment d’une proposition de loi du Parti de l’Istiqlal, renouvelée il y’a plus d’un an et demi, par son groupe parlementaire à la Chambre des Représentants, après une première mouture déposée en 1990...
Un problème de suivi au niveau gouvernemental
Si le cadre général de ces réformes a été tracé et les grandes directives clairement annoncées dans le discours royal, on ne voit pas encore, au niveau du gouvernement, de feuille de route ou de mode d’emploi, permettant la visibilité nécessaire en ce qui concerne les modalités pratiques de concrétisation.
Concernant d’abord le droit de vote et à la représentation à la Chambre des Représentants, certes il y’a lieu d’attendre le vote de nouvelles lois au parlement (code électoral et loi organique liée à la première chambre) pour connaître avec précision les conditions d’exercice du droit de vote et d’éligibilité des Marocains de l’extérieur lors des législatives de 2007. Mais entre temps, d’autres impératifs ne sont pas encore pris en compte par les administrations marocaines concernées (Intérieur et Affaires étrangères).
Ainsi, si les listes électorales ont été réouvertes à l’intérieur du Maroc, ceci n’a pas encore été le cas au niveau des consulats du Maroc à l’étranger pour préparer les élections législatives à l’extérieur et l’opération de vote concernant le Conseil supérieur. Or, ceci est une urgence. De plus et préalablement, l’établissement et la délivrance des cartes d’identité nationale, surtout pour les jeunes générations à l’étranger, se doivent d’être organisés au plus vite. Parallèlement à cela, tout un travail d’explication, de communication et de motivation doit commencer pour convaincre les indécis et encourager les hésitants à retirer leur carte et à s’inscrire sur les listes.
Les sujets d’interrogation et de démobilisation ne manquent pas. Certains craignent de perdre le bénéfice de la nationalité acquise du pays d’accueil, soulevant ainsi la question très importante et cruciale de la double citoyenneté (ici et là bas), de la double loyauté et fidélité. D’autres manifestent de l’indifférence ou bien émettent des doutes sur les avancées démocratiques pourtant réelles et consistantes du Maroc, et craignent à tort le retour à la falsification des élections, ou bien la mise en place d’un Conseil - décor ou vitrine...
Si l’on veut que l’opération réussisse dans la transparence avec l’adhésion du plus grand nombre, en particulier des nouvelles générations, en réduisant le plus possible le taux d’abstention, alors les consulats doivent commencer très rapidement ce travail technique et de sensibilisation, aidé en matière de communication par le réseau associatif et les médias marocains (surtout les télévisions).
Un outil démocratique et efficient.
S’agissant maintenant de manière plus précise du Conseil supérieur et selon les termes du discours royal, il sera « constitué de façon démocratique et transparente, et bénéficiant de toutes les garanties de représentativité authentique.
Ce conseil comprendra également des membres nommés par Notre Majesté parmi les personnalités connues pour leur implication remarquable dans la défense des droits des immigrés marocains et des intérêts supérieurs de la nation, ainsi que des représentants des autorités et des institutions concernées par les questions de l’émigration ».
L’institution du Conseil étant une des orientations stratégiques à l’ordre du jour, il importe, de notre point de vue, de ne pas sous-estimer son importance, mais de lui accorder au contraire tout l’intérêt requis, en réfléchissant de manière sereine aux opportunités qu’elle recèle et aux perspectives d’actions constructives qu’elle permet désormais à la communauté marocaine à l’étranger, dans la diversité de sa composition et de ses attentes.
A notre sens, le Conseil supérieur est un outil pour le renforcement du rôle et de la place des Marocains résidant à l’étranger dans la nouvelle marche multidimensionnelle du Maroc, dans laquelle les générations montantes vivant à l’extérieur, doivent jouer un rôle fondamental. Son institution fait partie de la dynamisation de la citoyenneté pleine et entière, de la nouvelle approche participative, et s’intègre dans l’activation du processus démocratique et des avancées du pays en matière d’Etat de droit.
On ne peut élaborer des politiques en direction des Marocains vivant hors des frontières nationales, sans les impliquer ou les associer directement, en recueillant sans intermédiaire leurs attentes et leurs suggestions, et en les faisant participer eux-mêmes à la prise des décisions les concernant.
Clarifions d’abord certains éléments. Le conseil se crée dans un esprit constructif et positif dans l’intérêt général de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Il n’est pas conçu pour être une simple institution de plus, jouant un rôle de façade, mais il est envisagé en tant qu’organe efficient, productif et responsable. Par ailleurs, le conseil se veut également une instance - relai pour le monde associatif de la communauté expatriée et non pas une structure de substitution. De même, il n’est pas fait pour remplacer le Ministère chargé des M.R.E ou d’autres institutions para-publiques.
Son rôle n’est pas non plus de constituer le moyen pour se faire élire à la Chambre des Représentants. Le Conseil est en effet une entité à part, qui n’a rien à voir avec l’élection à la première chambre qui suit d’autres mécanismes, encadrés notamment par le future code électoral et la future loi organique concernant la première chambre, et déterminant en particulier le nombre et l’étendue des circonscriptions électorales de l’étranger.
Pouvant être réuni en sessions plénières et formé de commissions (permanentes et provisoires), le Conseil Supérieur, formé de toutes les composantes de la communauté marocaine établie à l’étranger, de toutes ses sensibilités et de tous ses profils de compétences, pourrait, de notre point de vue, se voir attribuer cinq autres finalités principales :
• être le porte-parole des Marocains de l’extérieur ;
• constituer un espace de dialogue et une force de propositions avec une consultation de proximité ;
• permettre une participation des Marocains de l’émigration à un Maroc solidaire ;
• être un outil pour la défense des causes nationales à l’extérieur ;
• permettre la représentation extra-parlementaire au Maroc des Marocains des ailleurs.
Un mini-parlement
Au total, le Conseil Supérieur de la Communauté Marocaine à l’étranger, pourrait être une instance de dialogue et de médiation, une structure de mobilisation et d’encadrement démocratique, à partir d’une vision d’ensemble de ce secteur et une force de propositions. Il s’agit en quelque sorte d’un « mini-parlement » où la communauté marocaine établie à l’étranger peut s’exprimer et agir de manière constructive, dans un cadre institutionnel doté de prérogatives réelles et de moyens de travail conséquents.
L’institution de ce nouvel espace démocratique et de participation, reflète le caractère de priorité nationale accordée au dossier stratégique des Marocains résidant à l’étranger et permet d’avoir sur ce plan, une meilleure visibilité de l’avenir.
Se pose maintenant la question du comment de la création de ce Conseil, de sa faisabilité, de sa composition, des profils de ses membres et modalités de leur participation, de l’organisation pratique, du passage à l’acte, des méthodes de concrétisation des structures et de la manière dont les attributions du Conseil doivent être exercées. Ceci doit faire l’objet (au même titre que les finalités et prérogatives du Conseil, ainsi que des modalités de la représentation des Marocains d’ailleurs à la première chambre du parlement à Rabat), d’une large consultation préalable des milieux concernés.
A notre sens, il y a lieu d’insister d’ores et déjà sur le fait que le Conseil ne saurait être ni l’appendice du Département chargé des MRE, ni mis de fait et dans la pratique sous sa tutelle, alors qu’il a été annoncé officiellement, que l’institution est présidée par le Souverain lui-même, ce qui est un gage de crédibilité. Cette nécessaire autonomie par rapport au gouvernement, devrait être prise en compte également au niveau des modalités de désignation des membres nommés du Conseil parmi les Marocains Résidant à l’Etranger (établissement de la liste proposée), ainsi que du fonctionnement du Conseil à travers l’ordre du jour.
Se concerter préalablement avec les M.R.E
L’organisation de ce dialogue entre le gouvernement, les partis politiques et les syndicats au Maroc, ainsi que les représentants de la diaspora marocaine, est une urgence. Il s’agit notamment de voir comment traduire dans la pratique la vision royale pertinente d’instituer ce conseil qui doit être au niveau de la composante diaspora, « constitué de façon démocratique et transparente et bénéficiant de toutes les garanties de représentation authentique ».
Il y a lieu par conséquent de saisir l’opportunité de l’initiative royale pour engager un débat libre, approfondi, réfléchi, serein et fécond autour de la question, en le menant dans un esprit constructif, loin des petits calculs politiciens, du sectarisme, du nihilisme, de la surenchère ou d’intérêts égoïstes.
L’objectif de ce dialogue nécessaire et incontournable à notre sens, consiste notamment à poser les termes de mécanismes et de règles crédibles, de manière à assurer à l’intérieur du Conseil une représentation de la communauté qui soit large (compte tenu du volume de la population concernée et pas uniquement en Europe, mais dans bien d’autres pays dans les autres continents, et de la nécessité de prendre en considération différents paramètres), équilibrée, démocratique, transparente et efficace, à travers des élections libres et sincères. Ceci en vue de favoriser une dynamique de représentation large (avec une présence significative des jeunes et des femmes), honnête, solide et pérenne pour défendre l’intérêt général des Marocains du monde et les intérêts supérieurs de notre pays.
Tout comme les modalités de fonctionnement et de consultation du conseil doivent être précisées, afin qu’il joue un rôle effectif, qu’il prenne en considération de façon sérieuse les dossiers revendicatifs des Marocains d’ailleurs et contribue de manière positive avec un esprit de citoyenneté engagée, à la nouvelle marche du Maroc dans tous les domaines, en particulier celui du processus de démocratisation et de modernisation de la société marocaine.
L’apport inestimable de la communauté marocaine résidant à l’étranger ne doit pas être perçu uniquement en termes de devises et d’investissements économiques, mais également en termes de plus value démocratique, de citoyenneté active et responsable, de mobilisation sociale et de solidarité.
Abdelkrim Belguendouz, Universitaire, chercheur en migrations - L’Opinion
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