Tanger métamorphosé

31 mai 2008 - 23h25 - Maroc - Ecrit par : L.A

De la petite plage chère aux baigneurs et aux surfeurs, il ne reste rien. A une quarantaine de kilomètres à l’est de Tanger, une armée de bétonneuses a transformé la côte sauvage en port géant. Inauguré l’été dernier, Tanger Med, construit en partie par Bouygues, plonge ses tentacules loin à l’intérieur des terres : ici, une autoroute flambant neuve, là, une voie de chemin de fer et une nationale en chantier, des viaducs... Avec lui, c’est tout le nord du Maroc qui renoue avec sa vocation géographique, celle d’un carrefour stratégique entre l’Afrique, l’Europe, l’Asie et l’Amérique.

Le ballet des immenses porte-conteneurs commence à peine. S’ils ne sont encore qu’une quarantaine par mois à accoster, leur nombre va aller crescendo : à plein régime, le port pourra atteindre les 3 millions d’EVP (« équivalent vingt pieds », unité de mesure des conteneurs). Autant que le voisin espagnol d’Algésiras. Et ce n’est qu’un début, puisqu’un deuxième port, encore plus important, sera bientôt construit à côté. Le royaume pourra alors se vanter de posséder la plus grande installation portuaire d’Afrique.

Emplacement stratégique

Tanger Med servira avant tout pour le transbordement des marchandises, mais il représente aussi un atout logistique de taille. Son emplacement lui-même est symbolique. Il devait au départ se situer sur la côte atlantique avant de s’installer ici, à 14 kilomètres de l’Espagne. Et tant pis si cela doit engorger encore un peu plus la navigation en Méditerranée. Car le nord du pays, abandonné sous Hassan II à sa misère, au trafic de drogue, à la contrebande et aux pateras, ces embarcations qui emportent vers l’Europe - ou vers la mort - les candidats à l’exil, est la nouvelle priorité du Maroc de Mohammed VI. Sa vocation ? Devenir une plate-forme industrielle privilégiée pour le marché européen, l’Afrique du Nord et les Etats-Unis. On parle déjà de 150.000 unité et de composants électroniques pour l’automobile, a été le premier à signer avec l’alliance pour son projet marocain. Implanté depuis 2000 à Tanger, il emploie près de 3000 personnes et a doublé son chiffre d’affaires au Maroc l’an passé, atteignant 136 millions d’euros. « Yazaki réduit aujourd’hui son activité en Europe de l’Est, qui a perdu en compétitivité, indique El Mostafa Khaledi, représentant du groupe au Maroc. Et cela profite au royaume. »

Mais Tanger n’a pas attendu Renault pour se développer. Sa zone franche grossit à vue d’oeil depuis plusieurs années. Près d’une centaine de sociétés s’y sont implantées l’an passé, portant leur nombre à 352. Au total, les investissements s’y élèvent à près de 400 millions d’euros. Les Espagnols arrivent en tête, talonnés par les Français. Les secteurs d’activité sont aussi variés que l’électronique, la métallurgie, les services, le textile et même l’aéronautique. « Avec la baisse du dollar, nous étions de moins en moins compétitifs », confie Jacques Bodet, PDG de BMP, un groupe spécialisé dans la sous-traitance aéronautique. Il a alors prospecté en Asie, en Europe de l’Est avant de porter finalement son choix sur Tanger, qui « regroupe les avantages de coûts et de logistique », pour ouvrir sa filiale Atlas Productions. « Ce que nous produisons ici nous revient 20 à 30% moins cher qu’en Europe, ajoute-t-il. Cela nous a permis de conserver des marchés et de développer d’autres activités en France. »

Afflux démographique

Tanger change si vite que ses habitants eux-mêmes ne la reconnaissent plus. La plage a été nettoyée de ses baraques de fortune, les trottoirs ont été refaits et une station d’épuration toute neuve, oeuvre du français Veolia, va bientôt assurer le traitement des rejets liquides. En périphérie, les logements économiques poussent comme des champignons. De nouvelles villes vont émerger partout dans la région. Vastes cités-dortoirs destinées à recevoir cette main-d’oeuvre de plus en plus nombreuse à affluer des quatre coins du Maroc.

Rien à voir avec les immenses immeubles de standing qui se multiplient sur un bord de mer de plus en plus bétonné. Ici, la spéculation immobilière bat son plein et les prix explosent pour le plus grand malheur des Tangérois. Au pied des bâtiments en chantier, quelques ouvriers dorment sous des abris de fortune. Le train du développement économique a encore oublié beaucoup de passagers sur le quai...

Casablanca ne reste pas à la traîne

Si les nouvelles priorités se situent au nord, Casablanca n’est pas délaissée pour autant. Avec son « aéropole » regroupant près de cinquante sociétés aéronautiques, la capitale économique conserve une longueur d’avance dans ce secteur. Les plus grands noms se sont installés à côté de l’aéroport Mohammed-V. Safran, EADS et Sogerma ont attiré auprès d’eux des dizaines de sous-traitants. La ville blanche s’est aussi dotée de son « Casanearshore ». Après des mois de retard et une communication catastrophique, le dispositif des autorités marocaines pour développer les centres d’appels, l’offshore informatique et l’externalisation de services à Casablanca a fini par accueillir ses premiers locataires : HPS, BNP Paribas et l’indien Tata Consulting. D’autres devraient suivre, parmi lesquels GFI, Atos Origin, Capgemini... A terme, les autorités marocaines promettent 100.000 mètres carrés de bureaux en 2010. L’aéronautique et l’offshoring font partie des secteurs identifiés par le plan Emergence, qui fixe les grandes lignes du développement économique du royaume. Mais dans certains domaines, la main d’oeuvre se raréfie. Les bons profils se font rares, le turnover est de plus en plus important et l’inflation des salaires n’est plus une fiction. Formation, fiscalité, climat des affaires... Autant de réformes que le pays va devoir rapidement mettre en place s’il tient à rester compétitif et sortir de la simple sous-traitance.

Source : Challengers - Julien Félix

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Tanger - Tanger Med - Développement

Ces articles devraient vous intéresser :

L’ONCF séduit les investisseurs et prépare l’avenir du rail au Maroc

Le plan d’expansion ferroviaire séduit les investisseurs qui sont prêts à financer les projets marocains. En témoigne la réussite par l’Office national des Chemins de fer (ONCF) d’une levée de fonds.

Le Maroc, capitale mondiale de la chasse aux météorites

De 1999 à aujourd’hui, le Maroc est devenu la capitale mondiale de la chasse aux météorites. Plusieurs facteurs expliquent ce développement rapide.

Hassan Abkari limogé : une faute grave à l’origine de son départ du port Tanger Med

Hassan Abkari, directeur général du Port Tanger Med, a été démis de ses fonctions, pour « faute grave ».

Un coup de pouce bienvenu pour les commerçants marocains

Suite à la directive de Bank Al-Maghrib (BAM) publiée le 25 septembre 2024, qui plafonne désormais le taux d’interchange domestique à 0,65%, le Centre monétique interbancaire (CMI) a été contraint de s’aligner.

Tanger Med, un port hub pour l’Afrique d’ici 2030

Le Maroc poursuit sa stratégie portuaire à l’horizon 2030 avec Tanger Med comme référence. Le royaume a engagé une politique de développement de ports modernes et compétitifs.

Bientôt une plateforme pour aider les MRE à investir au Maroc

Karim Zidane, ministre délégué chargé de l’investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques, encourage les Marocains résidant à l’étranger (MRE) à davantage investir au Maroc, soulignant la nécessité pour le royaume...

Tanger Med menace les ports européens

Malte craint l’avantage fiscal du port Tanger Med à cause de l’introduction d’une taxe environnementale dans les pays de l’Union européenne(UE) à partir de 2024. Les grandes compagnies maritimes peuvent se détourner vers le port marocain.

Maroc : la construction se porte bien, mais...

Au Maroc, la construction connaît une embellie qui n’est pas près de s’arrêter. Les perspectives sont certes globalement positives, mais le secteur reste confronté à des défis majeurs.

Maroc : Trop de centres commerciaux ?

Au Maroc, la multiplication des malls soulève des inquiétudes. Les fermetures de plusieurs franchises enregistrées ces derniers temps amènent à s’interroger sur la viabilité de ce modèle commercial.

Internet au Maroc : des zones complètement oubliées

Certes, le Maroc a enregistré des avancées significatives pour garantir internet mais des défis majeurs restent à relever.