La Vision 2010 compromise

6 avril 2008 - 19h51 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le tourisme est devenu un levier primordial et prioritaire pour le développement économique et social du Maroc. Quel est l’état de santé véridique de ce segment essentiel de l’économie nationale ? Quel est son mode de fonctionnement et ses méthodes d’évaluation et de prospective ? Quelles sont ses failles de dysfonctionnement structurelles et ses points d’inadéquation, en termes de conception et de gestion, par rapport à notre environnement socio-culturel ? Y a-t-il une véritable harmonie de vision entre l’approche quantitative livrée par les statistiques et une attitude plus regardante sur la qualité du produit touristique ? La destination-Maroc est-elle attractive ; à quel prix et pour quels atouts intéressants et motivants ? Notre politique touristique est-elle proactive ou simplement réactive ?

Ce sont là des questions que se posent les professionnels du secteur tout autant que le public, concernés sans être suffisamment impliqués.
L’association nationale Convergence tourisme et université vient de publier un “livre blanc” sur le tourisme marocain. Une réflexion qui se veut une projection sur le cap 2020, à partir d’un constat sous la forme d’un état des lieux ici et maintenant. Un éclairage pertinent et informatif.

Un chiffre et une date résument la situation de ce secteur : 10 millions de touristes pour 2010, avec le triplement de la capacité hôtelière, comme élan d’accompagnement. Où en sommes-nous par rapport à cette ambition affichée par les Assises nationales du tourisme, tenues à Marrakech en 2001 sous la présidence de SM Mohammed VI ?

Un bref rappel pour savoir, d’abord, d’où nous venons et par rapport à qui. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, le Maroc était considéré comme une destination méditerranéenne pionnière, devançant tous les pays de la rive sud, y compris la Tunisie. Il a cependant peu bénéficié de ce placement précoce sur le marché touristique mondial, puisque, en l’an 2000, avec 2,6 millions d’arrivées de touristes internationaux il ne s’est situé qu’en troisième position après la Tunisie (4,8 millions de touristes) et l’Egypte (4,5 millions) ; ainsi qu’une quatrième place au niveau du continent africain. Le Maroc est toujours en course pour améliorer ce classement. La concurrence est rude.

Elle est aggravée par un marché mondial naturellement fluctuant. Si tant est que l’on ne peut convoquer un touriste, l’unique parade pour être compétitif demeure la création d’un produit séduisant, sûr et de qualité.
C’est dans cette optique que s’inscrit le contrat-programme 2000-2010, signé en janvier 2001 entre le gouvernement et le patronat. Les objectifs fixés tablent sur 80.000 chambres supplémentaires ; 6 nouvelles stations balnéaires ; 600 mille emplois à créer ; 20% de contributions du tourisme au PIB, soit un doublement de l’apport actuel ; le tout soutenu par un taux de croissance de 8,5% , générant des recettes en devises de 480 MDh, grâce aux 30 MDh d’investissements escomptés. Il y a déjà sept ans que cette projection décennale a été élaborée.

Visibilité

Au jour d’aujourd’hui, deux années, à peine, nous séparent de 2010. Il est donc temps de faire un bilan d’étape. Valeur août 2007, nous étions à 5,263 millions d’arrivées, pour atteindre au mois de septembre 6,400 millions, dont 3,900 millions de MRE. D’après le ministère du Tourisme et de l’Artisanat, nous aurions déjà dépassé le cap des 7 millions ; un optimisme statistique à prendre avec des pincettes. Quoi qu’il en soit, le compte n’est pas bon, surtout, si l’on tient compte de la part de nos RME dans la comptabilisation des arrivages.

La vérité, c’est que notre tourisme souffre d’un certain nombre de tares quasi-congénitales. Il y a d’abord ses structures administratives et professionnelles entre l’ONMT (Office national marocain du tourisme) ; la FNT (Fédération nationale du Tourisme) ; la FNIH (Fédération nationale de l’industrie hôtelière) ; la FNAVM pour les agences de voyage ; la Fédération des restaurateurs ; la Fédération des accompagnateurs et guides de tourisme ; etc. La liste n’est pas exhaustive. Mais, déjà, à ce stade, on se perd dans cette jungle de sigles trop barbares pour être des vecteurs de loisirs et d’agréments touristiques. La nuance professionnelle est évidemment de mise, mais cet enchevêtrement d’entités n’est pas de nature à faciliter la visibilité de ce secteur. Il suppose une toile de canaux de communication et de coordination pour être lisible et efficace. Ce qui ne semble pas être le cas en l’état actuel des choses, de l’avis même des professionnels. La tutelle administrative, elle, use et abuse de la langue de bois, dans un discours suranné pour édulcorer un état de fait complexe, quitte à faire passer des vessies pour des lanternes.

Parmi les abcès infectieux et handicapants pour notre tourisme, la fameuse “commission” que le prestataire de service, en l’occurrence l’hôtelier ou le restaurateur, verse aux intermédiaires-rabatteurs. Cette commission n’est pas illégale. Elle est reconnue dans tous les pays du monde. À cette différence près qu’ailleurs, elle est réglementée. Chez nous, c’est l’anarchie totale qui prévaut. C’est même l’origine du mal qui ronge le tourisme marocain. Appelée jaâba dans le jargon professionnel, la commission mine les circuits touristiques et contribue à renchérir la destination Maroc. C’est comme cela que Marrakech, la station phare du tourisme marocain, est devenue la plus chère du bassin méditerranéen. Du fait de la jaâba, les prix à la consommation par les touristes atteignent parfois jusqu’à 50% du tarif global du voyage.

Réglementation

Et lorsque le touriste est ainsi déplumé, lors de son séjour, c’est toute la destination qui paie les pots cassés. Il est donc urgent d’assainir les circuits informels qui parasitent le secteur et agissent négativement sur le taux de retour. L’objectif étant de formaliser les relations interprofessionnelles du tourisme par une charte éthique.

Puisque nous sommes dans une revendication de réglementation, restons-y. Car, il y a lieu, aussi, de réglementer les cafés-restaurants qui s’ouvrent à une vitesse effroyable et exigent une demi-heure par consommation. Le touriste n’a même pas le temps de respirer. Le cas de Marrakech, pour ne citer que cette ville porte-drapeau du tourisme marocain, est à ce titre édifiant. Quant aux restaurants tout court, la panoplie des enseignes s’est fabuleusement élargie. L’arnaque aussi. Entre les restaurants zen, tendance, branchés, loft, after, clubbing, etc, les appellations à la mode cachent des prix prohibitifs et des horaires impossibles. Le touriste retiendra finalement qu’il a mal mangé et payé cher une sortie gastronomique hasardeuse. Il n’est pas sûr, à 90%, qu’il reviendra.

Horizon

C’est sur la base de ce regard critique de notre secteur touristique que l’association Convergence tourisme et université a pris pied pour construire une projection 2020 du secteur touristique. En 2020, d’après les prévisions de l’OMT (Organisation mondiale du Tourisme), le Maroc devrait être en mesure d’accueillir 17 millions de touristes. Comment nous donner les moyens d’atteindre ce chiffre ? Comment booster une activité touristique tellement vitale pour l’équilibre de notre balance des paiements qu’elle représente une bonne part de nos réserves en devises jusqu’à serrer des près le rapatriement des économies de nos MRE ? La réponse est simple : un tourisme professionnel, moderne, ingénieux, créatif, évolutif et attractif. Pour que la vision 2020 puisse rattraper les déficits de l’horizon 2010, il faudrait instituer un cadre organisationnel qui obéit à des logiques rationnelles de concertation permanente avec les opérateurs économiques, les associations professionnelles et les populations. Le décollage du tourisme sur lequel nous comptons tant est à ce prix.

Source : Maroc Hebdo - Abdellatif Mansour

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