Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, s’active pour la protection et l’amélioration des plages dans le cadre de la préparation de la saison estivale 2024.
Aussi bien à Mohammédia qu’à Settat-Berrechid, les autorités portent une lourde responsabilité dans les conséquences des inondations qui ont eu lieu. Autorisations de construire, d’investir et de lotir en zones inondables, manque de réactions en dépit des précédents. Quand l’Etat se décidera-t-il à faire face à ses responsabilités ?
Lundi 25 décembre. Vers 11 heures, un véhicule équipé d’un sonotone sillonne la ville basse à Mohammédia, encore ensommeillée en ce jour de Ramadan. Il s’agit d’une alerte, la seconde en moins de 10 jours. Encore une fois, les pluies (diluviennes, tombées la veille) risquent d’inonder la ville. Mais si le pire a pu être évité de justesse le 14 novembre, il en sera autrement cette fois-ci. Aux environs de 15 heures, la lagune servant d’épanchement naturel au lit de l’Oued Maleh ne peut plus contenir le volume des eaux. A 15 h 10 l’eau commence à envahir les maisons. Deux heures plus tard, la messe est dite ! Sur une zone de 10 km2, il n’y a plus de rez-de-chaussée. L’eau a atteint 3 mètres de hauteur. A 19 heures, une bonne partie de l’avenue des FAR, qui n’a jamais été envahie auparavant, est inondée. Et le niveau des eaux qui n’en finit pas de monter. Et pour cause, la mer est à marée haute !
21 heures. La ville est prise de frénésie, les pompiers et les policiers sont sur le pied de guerre. Sur l’avenue des FAR, une pelleteuse, seul engin capable de s’aventurer dans la zone immergée, fait le va-et-vient. Elle ramène tantôt un camion-benne piégé par la rapidité de l’inondation, tantôt de pauvres hères, transis de froid et maculés de boue, blottis entre des mâchoires d’acier qui d’habitude servent à déplacer la terre.
Trois mètres d’eau au bout de deux heures !
Sur le boulevard Mohammed V, même topo, à la nuance près que ce sont des canots qui se chargent du sauvetage. En fait de canots, il n’y a que 4 zodiacs dont la foule attend à chaque fois le retour avec angoisse espérant voir le visage d’un proche. Dans une sorte de rituel, quand une embarcation surgit des ténèbres, les gens se précipitent. Une femme BCBG, en pleurs, supplie l’un des pompiers de la laisser monter à bord. Travaillant à Casablanca, elle a laissé chez elle un enfant en bas âge avec pour seule compagnie une sœur âgée de 15 ans. A ses côtés, une femme en djellaba est au bord de l’hystérie, son mari, handicapé, est seul à la maison et...il n’y a pas d’étage. Pareilles scènes se répètent à l’infini. Les pompiers sont débordés et le manque de moyens se fait sentir cruellement. Acte de citoyenneté à saluer : un particulier adepte de la plongée sous-marine gonfle à la hâte son propre canot à l’aide d’une bouteille d’oxygène et s’élance dans la nuit pour porter secours au malheureux.
21h 25. Une forte déflagration se fait entendre. Visibles à distance de 2 km, des flammes jaillissent de la Samir. C’est la panique. La foule, pompiers compris, s’éparpille dans tous les sens. Ces derniers mettront une quinzaine de minutes avant de se remettre à l’ouvrage. A 22 heures, autre explosion, les flammes redoublent d’intensité, la peur a gagné les esprits.
Ces explosions n’ont pourtant pas empêché les curieux de s’amasser sur un autre lieu, le pont portugais que l’on traverse en arrivant à Mohammédia quand on a emprunté l’entrée Ouest. Le pont ? Il n’y a plus de pont. Juste un torrent qui charrie des citernes de semi-remorque, des bonbonnes de gaz et des voitures. Spectacle hallucinant.
En huit heures seulement, Mohammédia a subi les pires dégâts de son existence. Ville à moitié noyée, habitations et infrastructures détruites, réseau électrique en piteux état et la plus grosse raffinerie du pays immobilisée. Cela sans compter bien sûr le nombre de morts que l’on ne connaît pas jusqu’à présent. Tout juste si l’on sait, de source confirmée, que deux hommes ont péri carbonisés dans l’incendie qui a ravagé la Samir.
Deux morts à la Samir, combien dans les jours à venir ?
Comment en est-on arrivé là et qui en est responsable ? La conjonction d’événements naturels est certainement un des éléments de réponse (voir article p. 6) mais la responsabilité la plus lourde incombe à l’Homme. A commencer par le barrage de Oued El Maleh, qui a déversé des flots qu’il ne pouvait contenir. Construit en 1931, avec une capacité originelle de 18 millions de m3, il en est aujourd’hui, envasement aidant, à 8,2 millions de m3 à peine. Ce barrage est alimenté par deux bassins versants. Celui de Benslimane qui s’étend sur 1800 km2 et celui de l’Oued Hassar qui couvre 200 km2. Avec un tel déversement, il est évident que la structure est largement dépassée. En cas de fortes précipitations, les eaux débordent par dessus le barrage (voir infographie en page 6). C’est ce qui s’était passé en décembre 2001 déjà, quand la ville a été inondée du fait d’un débit de 140 m3/seconde (140 tonnes d’eau). C’est ce qui allait se passer le 14 novembre dernier quand le débit a atteint 107 m3/seconde, et c’est ce qui s’est passé le 25 novembre avec un débit de 200 m3/seconde.Pourtant, on savait depuis longtemps que la capacité du barrage était insuffisante, on savait que le seuil critique d’inondation correspondait à un débit de 120 m3/seconde mais rien n’a été fait. Ni nouveau barrage ni autre solution technique.
Un centre emplisseur de gaz dans le lit de l’oued !
Second facteur relevant également de la responsabilité de l’homme, le squat progressif de la lagune servant de dégorgeoir naturel au lit de l’oued (voir carte ci-contre). En effet, au niveau de la zone basse de Mohammédia, existe depuis longtemps une zone marécageuse, appelée « Merja », qui a été au fil des années phagocytée par l’urbanisation de la ville. Alors qu’en 1986 elle s’étendait sur près de 1 000 hectares, aujourd’hui elle ne couvre guère plus de 200 hectares. Les 800 hectares manquants ont été utilisés pour des projets industriels, des lotissements ou des décharges sauvages. Le lit de l’oued n’a pas échappé à ce squat illégalement « autorisé » et organisé. Lui aussi a été progressivement investi parfois même par des unités industrielles hautement stratégiques mais aussi dangereuses. La preuve : au niveau de la ville basse, en amont du pont portugais, dans le lit de l’oued, a été construit le plus grand centre d’emplissage de gaz du Maroc. Incroyable ! Irresponsable oui ! Ce n’est pas la seule aberration. La Samir, elle-même, se trouve en zone inondable. Cet état de fait, conjugué à des fuites d’hydrocarbures, a provoqué le plus grave incendie que la raffinerie ait connu. Flottant sur l’eau qui a envahi la centrale, le carburant s’est retrouvé au contact de zones « chaudes » et a pris feu. Le risque de pénurie est écarté, mais il est question aujourd’hui de plusieurs mois d’arrêt pour la raffinerie (voir page 8).
Enfin, dernier facteur relevant de la responsabilité de l’homme : l’absence de précautions, alors qu’il y avait précédent et que les causes étaient connues. Comment se fait-il qu’une année après, Mohammédia revive le même scénario ?
En Septembre 2002, Jettou avait tiré la sonnette d’alarme
Il est vrai que les inondations de l’année dernière ont déclenché un plan d’action général pour protéger la ville. Ce plan d’action visait à réguler le débit de l’oued El Maleh de manière à ce qu’il ne dépasse pas le seuil fatidique des 120 m3/seconde. Plusieurs intervenants devaient prendre part à ce plan d’action, notamment la préfecture, la municipalité, la Lydec et, surtout, le ministère de l’Equipement qui devait résoudre d’urgence le problème du barrage. La Lydec, quant à elle, devait prendre en charge un certain nombre de travaux au niveau de la ville basse qui portaient essentiellement sur le curage du lit de l’oued. La préfecture et la municipalité devaient construire des digues pour la protection de certaines zones.
Or, à la veille de la saison des pluies, la problématique du barrage de l’oued El Maleh n’avait toujours pas été résolue. Des sources au ministère de l’Intérieur révèlent, à ce titre, que Driss Jettou aurait envoyé en septembre 2002 déjà une correspondance au ministre de l’Equipement le sommant de mettre en place d’urgence, et comme convenu, les solutions qui s’imposent pour augmenter la capacité du barrage de l’oued El Maleh et éviter à Mohammédia une nouvelle catastrophe. Les craintes de Jettou étaient justifiées puisqu’il a vu venir la tempête. Mais n’était-il pas trop tard à ce moment-là ?
Rien ou presque n’a été fait en un an. Ni à Mohammédia, ni, par ailleurs, à Settat-Berrechid où 13 habitants du Douar Chkoum et 17 autres des douars environnants ont péri sous les eaux dans la nuit du 24 au 25 novembre. La zone industrielle de Berrechid a été inondée, de même qu’une partie des pistes de l’aéroport Mohammed V et la circulation a été interrompue sur l’autoroute. Là encore, il y avait précédent. On savait que la zone industrielle était trop proche du lit de l’oued mais cela n’a pas empêché la municipalité de créer la zone et même de venir démarcher les investisseurs potentiels (voir page 12). On savait que des douars étaient installés en zone inondable mais on n’a rien fait pour déloger les habitants et enfin on connaissait le risque afférent à la proximité de l’autoroute, mais en vain. Tout juste en est-on aux réflexions et projets. Jusqu’à quand ?
Intervenant cette semaine devant les caméras de télévision, le wali de Casablanca n’y a pas été de main morte assénant à la face des citoyens la cruelle vérité. « Rien ne changera l’année prochaine car il n’y a pas de budget ». Quand l’Etat se décidera-t-il à faire face à ses responsabilités ?
Fadel Agoumi pour la vie économique
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