Ce fléau qui fait mal au Maroc

4 février 2025 - 12h00 - Maroc - Ecrit par : S.A

Malgré l’adoption en 2015 de la stratégie nationale de lutte, la corruption ne recule pas au Maroc en raison de principales résistances rencontrées, aussi bien au niveau intra-étatique que dans l’ensemble de la société, et en particulier dans le domaine économique. Ahmed Bernoussi, secrétaire général de Transparency Maroc, dépeint un tableau sombre.

« La corruption au Maroc est devenue endémique depuis des années. Elle touche tous les secteurs économiques et administratifs, publics et privés », précise d’emblée Ahmed Bernoussi, secrétaire général de Transparency Maroc, dans une interview accordée à Challenge. Pour étayer ses propos, il s’appuie sur les indices de perception de la corruption édités par Transparency International depuis plus de 20 ans et les enquêtes récentes menées par l’Instance nationale de Probité, de Prévention et de Lutte contre la Corruption (INPPLC). « Le secteur de la santé reste le plus touché par la corruption, suivi par les partis politiques, le gouvernement, le parlement et les syndicats », révèle l’enquête menée en 2022 par l’INPPLC auprès des citoyens.

Selon cette enquête, « la corruption est largement répandue dans les domaines des recrutements, nominations et évolution de la carrière dans le secteur public. Elle est aussi répandue dans les domaines des aides sociales, de l’octroi des licences d’agréments, dérogations et autorisations exceptionnelles ». Elle « touche une personne sur quatre parmi les citoyens résidents. » À en croire Bernoussi, les secteurs les plus touchés par ces pratiques sont la gendarmerie, les transports, la police, la santé dans le secteur public, la justice, l’urbanisme, l’habitat et l’immobilier dans le secteur privé ainsi que les caïds et les pachaliks. De même, l’enquête auprès des chefs d’entreprises a montré que « 68 % estiment que la corruption est répandue ou très répandue au Maroc », précise-t-il.

À lire :Soupçons de corruption à Rabat

Le responsable de Transparency Maroc fait également savoir que la corruption fait perdre au Maroc entre 3 et 5 % du PIB, soit près de 50 Milliards de DH qui se traduit par la dégradation de la qualité des services sociaux : santé publique, enseignement…, selon les estimations de la Banque mondiale. Pourtant, une stratégie nationale de lutte contre la corruption a été officiellement adoptée en décembre 2015. Dix ans après, « cette stratégie a été quasiment gelée par manque de volonté politique de mise en œuvre », constate Bernoussi. La commission nationale qui devrait suivre sa mise en œuvre s’est réunie 2 fois en 8 ans, alors que le décret de sa création stipulait sa convocation au moins 2 fois par an ».

Bernoussi a fait savoir que l’évaluation de sa mise en œuvre par l’INPPLC est mitigée dans ses rapports de 2022 et 2023. « L’année 2018 a connu tout de même la promulgation de la loi 31-13 du droit d’accès à l’information. C’est une mise en œuvre de l’article 27 de la Constitution qui stipulait ce droit. Malheureusement, cette loi comporte plusieurs exceptions qui ont montré ses limites en 7 ans d’exercice », explique-t-il. La promulgation de cette loi a permis un saut pour le Maroc dans l’indice de perception de la corruption en 2018 : le Maroc a eu une note de 43/100 et s’est classé 73 sur 180 pays. « Mais le gel de la stratégie n’a pas manqué de faire reculer le Maroc annuellement dans l’indice de perception de la corruption », note le responsable de Transparency Maroc, précisant que en 2023, le royaume a obtenu une note de 38/100 et a reculé à la 97ᵉ place à l’échelle mondiale, soit un recul annuel de 1 point et 5 places dans le rang mondial.

À lire :Corruption au Maroc : les chiffres qui révèlent l’étendue des dégâts

La lutte contre la corruption est entravée par de principales résistances rencontrées, aussi bien au niveau intra-étatique que dans l’ensemble de la société, et en particulier dans le domaine économique. « Les résistances au niveau intra-étatique se manifestent par le manque de cohérence des actions entre les différents départements, notamment entre le gouvernement et les instances de contrôle et de bonne gouvernance. Les rapports de ces dernières sont soit ignorés, soit contestés et dénigrés : Conseil de la concurrence, INPPLC, Cour des Comptes…, explique encore Bernoussi. Alors que le citoyen n’aspire qu’à bénéficier de ses droits légitimes et accéder à des services publics de qualité dans de bonnes conditions, sans être contraint de les ‹surpayer› de manière ‹informelle› ».

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Administration - Corruption - Transparency Maroc

Aller plus loin

Maroc : vaste scandale de corruption dans une banque

Au Maroc, une banque mène une vaste enquête sur les conditions d’octroi de plusieurs prêts. Cette mission d’inspection pourrait se transformer en affaire judiciaire.

Maroc : la liste des députés poursuivis pour corruption s’allonge

Trois députés marocains viennent d’être déférés devant la justice pour corruption. Déjà une vingtaine de parlementaires sont poursuivis en justice pour des faits de corruption...

Corruption au Maroc : les chiffres qui révèlent l’étendue des dégâts

Une étude de l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC) dresse un état des lieux préoccupant de la corruption au Maroc.

Corruption : des élus locaux pris la main dans le sac

Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, tente d’en finir avec la corruption et la dilapidation de deniers publics. Dans son viseur, une trentaine de présidents de commune et...

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : les parlementaires traqués

Au Maroc, le bureau de la Chambre des représentants renforce la traque contre les députés absentéistes en faisant installer des caméras de nouvelle génération dans l’enceinte de l’institution.

Saïda Fikri règle ses comptes avec les personnalités corrompues

La chanteuse marocaine Saïda Fikri crie haut et fort son aversion pour les personnalités corrompues qui détestent et combattent l’art engagé.

Maroc : les voitures de fonction sous haute surveillance

L’administration publique marocaine veut en finir avec le phénomène de l’exploitation des voitures de service à des fins personnelles pendant la période des vacances. Les services compétents de la police et de la gendarmerie royale sont mobilisés à...

Le Maroc s’oriente vers une administration sans papier avec une nouvelle plateforme numérique

Le ministère délégué chargé de la Transition numérique entend développer une plateforme dénommée « le compte numérique de l’usager » pour améliorer la qualité des services de l’administration aux usagers.

Corruption : des élus locaux pris la main dans le sac

Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur, tente d’en finir avec la corruption et la dilapidation de deniers publics. Dans son viseur, une trentaine de présidents de commune et de grand élus dont il a transféré les dossiers devant l’agent judiciaire...

Corruption au Maroc : des élus et entrepreneurs devant la justice

Au Maroc, plusieurs députés et élus locaux sont poursuivis devant la justice pour les infractions présumées de corruption et d’abus de pouvoir.

Marocains, le temps presse pour la déclaration des avoirs à l’étranger

La régularisation des contribuables, ainsi que la déclaration des avoirs liquides détenus à l’étranger, touchent à sa fin. Ces deux opérations avaient été lancées par l’Office des changes et de la Direction générale des Impôts (DGI).

Le Maroc adopte les livrets de famille électroniques

Face à la pénurie des livrets de famille dans certains services d’état civil, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit a annoncé l’adoption progressive des livrets de famille électroniques.

Maroc : la retraite à 65 ans ?

Alors que les députés de l’opposition rejettent le projet du gouvernement d’Aziz Akhannouch de porter l’âge de la retraite à 65 ans, Younes Sekkouri, le ministre de l’Intégration économique, de la Microentreprise, de l’Emploi et des Compétences, dément...

Démolition controversée d’une célèbre bâtisse à Marrakech

Les habitants de Marrakech sont en état de choc après la démolition soudaine de la célèbre villa Luciene, située dans le quartier Guéliz.