A quoi sert le Conseil français du culte musulman ?

28 septembre 2004 - 07h08 - France - Ecrit par :

Une majorité d’élus locaux est prête, aujourd’hui en France, à faciliter la construction de lieux de culte dignes, cependant, ils sont souvent confrontés aux dissensions au sein des milieux religieux musulmans et à la volonté de certains de politiser la demande de construction des lieux de culte.

Ils sont également confrontés à une méconnaissance du culte musulman d’où la nécessité d’un travail de médiation, de pédagogie et d’explication. Certains élus sont également habités par une volonté d’avoir des lieux de culte sur mesure et selon un schéma qu’ils ont établi sans se soucier des demandes des intéressés, ce qui les fait entrer parfois en conflit avec les porteurs de projets de mosquées. De la part des musulmans, après une période de privation, quand des ouvertures se présentent, ils voient trop grand. La mosquée devient un lieu de pouvoir qui leur donnera une grande visibilité locale ou régionale, ils rivalisent ainsi dans la construction de la plus grande mosquée sans se soucier des moyens dont ils disposent et le besoin réel des populations musulmanes locales. Dans les années à venir, il faudra faire de ces mosquées des lieux de spiritualité, d’adoration, de formation et d’études et non des lieux idéologiques ou d’exercice d’un pouvoir politico-religieux.
Pour la construction d’édifices de culte, plusieurs dispositifs permettent de favoriser les projets, indépendamment du caractère cultuel ou non de l’association qui les porte : l’Etat, les départements et les communes peuvent accorder une garantie d’emprunt pour la construction d’un édifice religieux, facilitant considérablement la recherche d’un prêt bancaire ; les édifices de culte ne sont pas assujettis à la taxe d’habitation ; la formule dite des "chantiers du cardinal" est aujourd’hui encore d’application courante pour des églises mais aussi des mosquées, des temples ou des synagogues. Ce dernier instrument est efficace et précieux pour les associations souhaitant construire un édifice cultuel. Il se développe néanmoins dans un contexte juridique incertain (voir encadré sur les différents statuts).
Cependant, d’autres problèmes demeurent. Les imams sont sous la responsabilité des associations qui les nomment. Le Conseil des imams qui regroupe une centaine parmi eux veut garder son indépendance par rapport au CFCM. En effet, il a reçu de Sarkozy la promesse que le CFCM ne s’ingère pas dans les affaires des imams. C’est pour cela qu’il n’existe pas au sein du CFCM une commission dédiée aux imams. Lesquels restent alors confrontés à différentes difficultés, la précarité de leurs situations sociales et administratives.

La fin de l’autoproclamation ?

La tradition musulmane encourage le soutien et la compassion des personnes en situation d’enfermement et invite à la visite et l’accompagnement des malades. De nombreux bénévoles se présentaient aux administrations pénitentiaires et hospitalières afin d’avoir des autorisations de visite. Ces bénévoles se confrontaient à la réglementation en vigueur. Seule la mosquée de Paris est reconnue officiellement pour délivrer le statut d’aumônier. Devant cette situation, de nombreux imams ou aumôniers autoproclamés assuraient cette fonction de façon arrangée.
La loi 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat offre des possibilités de nomination d’aumôniers dans les lieux dits fermés : armée, hôpitaux, prisons et dans les écoles, collèges, lycées et universités. L’institutionnalisation de ce corps au sein du culte musulman sera un pas supplémentaire dans la sécularisation de l’islam et la création d’un corps religieux spécialisée. Le nombre limité des aumôniers reconnus est dû d’une part à l’absence de structures musulmanes, l’absence de réflexion et d’émergence de propositions d’action sur cette question, la diversité de l’islam et d’autre part à la suspicion qui hante les institutions publiques concernées du fait de l’absence d’une formation religieuse adaptée des candidats et de la peur du non-respect du cahier des charges. Quels sont les critères de nomination de ces aumôniers et quel rôle doit jouer le CFCM ? Un projet est en élaboration par la commission aumônerie du CFCM.

Formation des imams, le point sensible

Pendant longtemps, les discussions étaient focalisées sur la création d’un institut de théologie islamique à Strasbourg à l’image des deux instituts de théologie protestante et catholique. Ce projet a été porté par l’ancien recteur de l’Université strasbourgeoise Etienne Trocmé. Plus positivement, dans le colloque organisé par le journal la Médina en octobre 2003, Vianney Sevaistre, chef de bureau central de culte au sein du ministère français de l’Intérieur, a proposé la création de plusieurs structures de formation de cadres religieux à l’image de l’institut Saint Serge de la communauté orthodoxe. La formation des imams reste le chantier le plus sensible. Cette formation ne pourra se faire d’une manière constructive que si une confiance s’installe entre l’Université, les responsables et intellectuels religieux musulmans sur les programmes à suivre, la pédagogie à adopter et les complémentarités possibles. De même, à côté des imams et des aumôniers, il ne faut pas oublier les gérants et présidents des lieux de culte qui eux agissent en grande partie dans l’ignorance du droit des cultes. Des formations sous forme de stages s’imposent aujourd’hui. Le master « laïcité et droit des cultes » d’Aix en Provence peut être un outil de formation idéal pour les cadres religieux musulmans, vu la qualité des intervenants et la pratique des programmes.
La formation concernerait deux catégories : les imams et les aumôniers en poste et les futurs cadres religieux.
Pour la première catégorie, la formation pourra se faire sous forme de stages : des formations accélérées en matière du droit des cultes (en arabe et en français), une initiation à la langue et à la culture française pour les imams non francophones, une adaptation du prêche à la société française. Pour la deuxième catégorie, des instituts de formation devront être créés sous le label du CFCM, ils permettront un accompagnement des futurs imams qui au préalable auraient suivi une formation dans des départements d’études arabes et islamiques dans les universités françaises, ils permettront de suivre également les évolutions de la pensée musulmane.
Ces nombreux chantiers nécessitent des moyens financiers. Le marché de la viande halal a été longtemps considéré comme un moyen de financement du culte musulman, la présence de forts lobbies commerciaux et religieux au sein de ce marché ainsi que les nouveaux comportements des populations de culture musulmane, qui se posent des questions sur le bien-fondé du label halal, rendent cette éventualité très incertaine. Des acteurs musulmans réfléchissent à la création d’une fondation française du culte et des affaires sociales musulmanes, qui pourra centraliser les dons et participations des pays et bienfaiteurs musulmans ainsi que des financiers français. De son côté, la commission juridique du CFCM travaille sur un projet de loi pour le financement du culte musulman. Les dispositions de la loi 1905 et les différents avis du Conseil d’Etat en matière de culte peuvent servir de base pour une meilleure intégration du culte musulman dans l’espace de la République.
Pour y arriver, une confiance mutuelle est nécessaire. Mais le processus de l’institutionnalisation du culte musulman de France est en train de définir les champs d’action du culte et les relations avec l’Etat. On chemine à petits pas, mais sûrement, vers une sécularisation de l’islam, cette sécularisation est accompagnée d’un changement des mentalités et des modes de réflexions et de raisonnements. Le cas français pourra donner des exemples de régulation du culte musulman à l’Europe, voire au monde de l’islam qui est à la recherche d’une adaptation de la pratique religieuse au monde moderne.

Hakim EL GHISSASSI - L’économiste

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